La guerre a éclaté dans l’atmosphère de désillusions et de démobilisation qui a suivi la fin du Front Populaire. Les partis de gauche sont désunis et la CGT, déchirée, est en plein recul. A droite, la volonté de revanche sociale et politique, l’indulgence vis-à-vis des dictatures voisines brouillent les attitudes. La “drôle de guerre” ne fait qu’aggraver les déchirures et les doutes. Conduite par des gouvernements et un état-major dont l’attitude n’est pas comprise, mise à profit par les adversaires du régime, elle prépare le terrain qui permet l’installation du régime de Vichy en favorisant l’installation d’un climat délétère et d’un pouvoir militaro-policier que plus aucun contre-pouvoir ne freine.
La défaite est un choc, un cauchemar, d’autant que le Var n’a connu la guerre que de loin. Le département n’a pas été le théâtre de combats, à l’exception des attaques aériennes italiennes des 13 et 15 juin. Il n’a pas connu l’exode, même si réfugiés de l’Est et de Menton sont venus s’y installer. Il ne subit pas d’occupation.
Dans le désarroi du moment, l’armistice est populaire. Il
est perçu comme la fin du drame, l’antichambre de la paix,
l’annonce du retour à la normale. En faveur du gouvernement
Pétain, joue dans tous les milieux un réflexe d' “union
sacrée”. Il est encouragé par la propagande. Il
paraît justifié dans un souci général de
solidarité dans le malheur. La tragédie de
Mers-el-Kébir dont le retentissement est considérable
à Toulon conforte encore l’unanimisme.
Incontestablement, le Maréchal a du succès dans ce Var
“rouge” où quatre députés sur cinq, où la
grande majorité du conseil général, des conseils
d’arrondissement et municipaux, où tous les sénateurs se
situent à gauche. Pourtant quatre des six parlementaires varois
présents à Vichy - les trois socialistes Collomp,
Sénès et Zunino, le radical-socialiste Renoult - votent
contre les pleins pouvoirs le 10 juillet. Mais cet acte n’est-il
pas, plus qu’un premier geste de résistance, l’ultime
raidissement d’hommes qui n’admettent ni la fin de la République
qu’ils incarnent, ni leur échec politique?
Syndicats et partis ont volé en éclats. La
responsabilité de la défaite est reportée sur la
République. Le ralliement derrière le nouveau
régime est donc massif. Mais la “Bataille d’Angleterre” est
suivie attentivement et l’anglophilie reprend vite le dessus. On
attribue la politique de Montoire à Laval, autrement dit le
Maréchal est exonéré de la collaboration qui est
soit rejetée d’emblée, soit perçue comme
imposée.
Les partisans de Vichy tiennent le haut-du-pavé. Ils bénéficient de l’adhésion populaire à la personne du Maréchal. C’est ce que l’on appelle le “maréchalisme” pour le distinguer du “pétainisme” qui, lui, est adhésion aux valeurs du régime. L’accueil enthousiaste que reçoit le chef de l’État Français à Toulon, après Marseille, le 4 décembre 1940, en témoigne.
Il en va de même avec le succès de la Légion Française des Combattants - 22 000 adhérents en 1941 - qui regroupe les anciens combattants de toutes tendances, y compris des militants ou des élus de gauche que cette organisation allait attaquer et rejeter ensuite. Pour son premier anniversaire, le 31 août 1941, faisant encore illusion en dépit du sectarisme dont elle a souvent fait preuve, elle réunit 10 000 personnes à Toulon.
En dépit de la collaboration et des mesures d’exclusion que le pouvoir s’est empressé de prendre, malgré l’idéologie affichée et la volonté de créer un État autoritaire, la popularité du nouveau “sauveur” est si grande et le conformisme si répandu que critiquer le nouveau régime semble inconcevable, tout au moins au début. On ne peut qu’être frappé par la passivité de l’opinion devant l’épuration politique et administrative, la répression et les lois indignes adoptées.
Cette population, déboussolée, cherche planche de salut et boucs émissaires. Elle se replie sur elle-même. Plus que jamais, le temps est au chacun pour soi. Cette attitude est encouragée par l’ampleur des problèmes quotidiens (chômage momentané, restrictions grandissantes, hausse des prix), par les meurtrissures de la guerre et par l’angoisse du lendemain.
L’inspecteur d’académie Pierre Abraham, ancien membre du cabinet Jean Zay, contraint de quitter Paris après le démantèlement du réseau du Musée de l’Homme et réfugié à Toulon en 1941, avoue ne pas retrouver ici la solidarité qu’il a connue en zone occupée et que suscitait la présence de l’occupant. Il trouve que la population toulonnaise est, sous l’influence d’une marine omnipotente, franchement vichyste. Le jugement est sévère, sans doute trop, mais il est révélateur.
Pourtant, de façon souterraine, l’opinion se détache
progressivement du pouvoir. L’impact de la propagande qui émane
de la résistance extérieure s’amplifie au fur et à
mesure que les mois passent. Il est vrai que les
événements prêtent à réfléchir
et lui donnent raison :
- Cette guerre que l’on croyait terminée dure et
s’élargit à l’URSS puis aux États-Unis. Les
Britanniques ne sont plus seuls et l’on craint que la politique de
l’amiral Darlan n’entraîne la France à s’engager aux
côtés de l’Axe.
- Les conséquences de la collaboration, le pillage qu’elle
engendre sont, chaque jour, mieux mesurés. Les restrictions
s’aggravent, les ventres vides constituent un terrain propice au
développement des critiques contre le régime.
- Ce régime, en qui beaucoup avaient espéré
naïvement, se révèle dictature. La propagande parle
d’union nationale, mais la réalité est toute
différente. À l’évidence, la Révolution
nationale est l’instrument de revanche des battus du suffrage
universel, des “blancs”, de la partie la plus réactionnaire de
la droite, soutenue, en l’occurrence, par ceux qui se disaient
modérés. Vichy est une aubaine pour les élites
sociales que le Front Populaire avait apeurées. Elles mettent
véritablement la main sur le pouvoir et en profitent pour
attaquer tous ceux qui leur déplaisent : les Juifs, les
étrangers, les francs-maçons, les communistes, les
socialistes, ceux que l’on considère comme trop attachés
à l' “ancien régime”. L’épuration massive des
municipalités élues en 1935 commence dès l’automne
1940 ; 63 sont ainsi remaniées avant l’occupation, y
compris celles - nombreuses ! - qui ont donné des
gages de prudence. La répression est tous azimuts. Elle va des
procès-verbaux pour écoute de la BBC jusqu’au tribunal
maritime de Toulon qui, couronnant l’édifice répressif
local, est spécialisé dans la condamnation des marins
ayant rallié la France Libre (par exemple, l’amiral Muselier
condamné à mort par contumace), des communistes (Jean
Mérot condamné à mort en octobre 1941, mais
grâcié peu après) et des premiers résistants
qui tentent de gagner l’étranger (Guillain de Bénouville
par exemple).
Dès le dernier trimestre de 1940, certains signes permettent de discerner que quelque chose commence à bouger dans l’opinion. Déjà, les actualités cinématographiques doivent passer dans une demi lumière. La police évalue les lycéens gaullistes au tiers de l’effectif à Toulon (ce qui est cependant moindre qu’à Nice ou Marseille).
Cette évolution se confirme au premier semestre de 1941. En mars et avril, à l’appel de Londres, de multiples V et croix de Lorraine sont tracés à la craie, au charbon, au goudron à Toulon, Hyères, Carqueiranne, Brignoles, Barjols, Saint-Raphaël, etc. C’est la preuve de l’influence de la radio anglaise contre laquelle les autorités tentent en vain de réagir.
Au printemps, des inscriptions gaullistes fleurissent dans les établissements scolaires de Toulon (Lycée, Collège Rouvière, Externat Saint-Joseph) ainsi qu’au collège de Draguignan où des incidents opposent anglophiles et “nationaux”.
Le rejet de cette politique mesquine et sectaire s’accentue au deuxième semestre de 1941 et s’affirme en 1942. C’est cette opposition plus ou moins larvée qui sert de terreau à la Résistance.
Elle ne s’édifie pas comme par un coup de baguette magique. Elle ne sort pas toute du même moule. Il n’y a d’ailleurs pas de moule, ni de recettes. Les premiers à réagir, très peu nombreux, ne savent pas bien comment faire. Ils sont pourtant décidés à refuser la passivité et l’obéissance. Parmi eux, se trouvent beaucoup de réfugiés, de prisonniers évadés, de réprouvés du régime, d’antifascistes ardents (français ou étrangers), des hommes et des femmes que leurs opinions antérieures marginalisent, mais aussi des patriotes qui croient au double jeu du Maréchal.
La Résistance s’édifie donc en
tâtonnant à partir de milieux divers, très
éloignés les uns des autres qui, peu à peu, se
polarisent autour de deux ensembles, qui ont chacun leurs analyses
politiques, leurs références, leurs méthodes.
Appuyés sur des bases sociales et géographiques
différentes, ils se méconnaîtront longtemps :
- Il s’agit d’une part de la mouvance inspirée, puis
ralliée à la France Libre. Elle comprend surtout des
socialistes et des francs-maçons qui n’acceptent ni l’armistice,
ni la dictature, qui surmontent le pacifisme dont ils étaient
souvent les tenants en 1938-1939 et l’inquiétude qu’ils
ressentent parfois à l’égard du général de
Gaulle. Elle concerne aussi des démocrates-chrétiens peu
nombreux avant-guerre mais antinazis précoces et très
actifs dans cette résistance naissante où ils retrouvent
quelques nationalistes et quelques militaires qui n’admettent pas la
collaboration. Ce courant hétérogène ,
anticommuniste, de plus en plus antivichyste, a un recrutement d’abord
urbain et de classes moyennes (fonctionnaires, employés,
commerçants), même si les ouvriers, à Toulon
notamment, n’en sont pas absents.
- L’autre pôle est celui que les communistes parviennent à
reconstituer. D’abord très isolés, entourés par
l’opprobre, menacés par la répression, ils
réussissent finalement à briser le ghetto, surtout
après que l’attaque de l’URSS les replace dans le “bon” camp,
par une pratique visant à se réenraciner dans la classe
ouvrière et les milieux populaires, puis à élargir
cette assise par le biais de mouvements parallèles. Ils
parviennent en même temps à lever une
génération de nouveaux et jeunes militants, inconnus de
la police, dont le rôle sera décisif.
Les débuts de la résistance “gaulliste” sont très modestes et spontanés. Il s’agit, la plupart du temps, d’écouter la radio anglaise et d’en diffuser, par le bouche-à-oreille, les informations et les mots d’ordre. Travail à l’aveuglette, le plus souvent sans liaison, cette action ponctuelle est conduite par des individus ou de petits noyaux d’amis, de camarades de travail, d’anciens militants.
Le tout premier tract signalé, intitulé ”La Vérité”, le 4 octobr e 1940, à Toulon, est reproduit en quatre exemplaires et la police l’attribue à un “illuminé”. Mais, dès octobre-novembre 1940, circulent dans toute la région des textes signés “Légion Française De Gaulle”. Ainsi se constituent des “chaînes” comme celle qui est découverte à Toulon en octobre 1940. Son mécanisme, ainsi révélé, est significatif des premiers pas d’une résistance en cours d’invention : un marin a remis l’un de ces tracts à un contremaître qui travaille dans l’arsenal ; celui-ci le montre à ses partenaires de belote et le cède à l’un d’eux qui, de retour chez lui, le passe à son fils ; celui-ci, employé à la gare du PLM, le fait copier en une dizaine d’exemplaires à son bureau et le répand jusqu’à l’intervention de la police.
Au fil des mois, s’accroît la diffusion d’affichettes, presque toujours manuscrites, et de tracts, souvent envoyés par la poste comme autant de bouteilles à la mer.
Dans le même temps, beaucoup de ceux qui cherchent à continuer le combat tentent de quitter la France, de passer en Algérie pour pouvoir, par là, croient-ils, gagner l’Angleterre. Ce sont des officiers polonais ou de jeunes ouvriers bretons, les passagers clandestins du chalutier Le Poitou arrêtés le 14 mai, parmi lesquels des hommes que l’on retrouvera plus tard dans les mouvements (René Hardy). Ce sont surtout des adolescents. Derrière certaines de ces tentatives, se trouvent des filières plus ou moins sérieuses. À Toulon, l’un des recruteurs est le sportif et téméraire John Mentha, assureur d’origine suisse, l’un des pionniers de la résistance varoise.
Ces initiatives montrent surtout que, dès le départ, les jeunes jouent un rôle majeur dans la prise de conscience et le refus qui sont à la base de cette résistance. Ce sont encore des jeunes que l’on arrête à Cavalaire pour avoir couvert la localité d’inscriptions gaullistes au goudron. On en retrouvera beaucoup dans les rangs de la résistance organisée quelques mois après et, parfois, dans son martyrologue.
Certains petits groupes locaux parviennent à trouver un
contact extérieur et deviennent éléments
d’ensembles en train de se structurer à l’échelon de la
zone sud :
- Comme à Marseille, autour de Fréjus et
Saint-Raphaël, le capitaine Henri Frenay recrute ses premiers
compagnons à partir de septembre 1940 et crée l’un des
premiers noyaux de son Mouvement de libération nationale avec
des éléments des troupes coloniales comme le capitaine
Teulières, des commerçants et des cadres comme
André Ruelle, ingénieur à la SNCF, qui devient le
premier responsable MLN du secteur.
- Parallèlement, l’ingénieur Jean Herbinger Bressac,
directeur des Carrières du Dramont, monte à partir de
Saint-Raphaël, un réseau de renseignements en liaison avec
l’Intelligence Service, le futur réseau Mithridate.
- Les appels du général d’aviation Cochet sont
diffusés par ses relations à Toulon et Cavalaire
notamment.
- Les syndicalistes chrétiens Gaston Havard, ancien
secrétaire départemental de la CFTC et père de
cinq enfants, et Auguste Brun, avec des ouvriers de l’arsenal
constituent l’embryon du sous-réseau Marine du réseau F2
dès l’automne 1940 grâce au contact obtenu avec des
officiers de l’armée polonaise. Le socialiste Franck Arnal,
président du Syndicat des pharmaciens du Var, fait partie de
cette première équipe.
De leurs côtés, les communistes, très isolés depuis le pacte germano-soviétique, sont affaiblis par les défections et l’arrestation des militants les plus en vue. En plus des emprisonnements, 242 internements administratifs touchent ceux que rien ne permet d’inculper entre mai 1940 et l’été 1942. L’apogée de cette répression se situe entre septembre et décembre 1940 avec l’ouverture du camp de Chibron (commune de Signes).
Le premier souci des quelques militants restés “organisés” consiste à renouer les contacts, à rechercher ceux qui veulent agir, à collecter de l’argent pour aider les victimes de la répression et leur famille et subvenir aux besoins des quelques cadres clandestins. En liaison avec la direction régionale de Marseille, le parti clandestin est réorganisé autour de La Seyne, Ollioules et Toulon. En novembre 1940, une première campagne d’inscriptions et de diffusion de papillons répand les mots d’ordre du moment que reprennent aussi des tracts et L’Humanité du Var, premier journal clandestin varois. La police, parfaitement renseignée par un membre du comité régional de Marseille, démantèle cette première tentative entre fin janvier et avril 1941. Les Jeunesses communistes qui en ont été le fer de lance perdent leurs animateurs. Les responsables locaux du parti, en particulier Baptistin Étienne et l’instituteur Lambert, sont arrêtés peu après, mais leur mentor clandestin, Fernand Vigne Roger, peut fuir. Le Parti communiste est désorganisé pour de longs mois.
Le bilan peut paraître maigre si l’on s’en tient aux 138 actions
de propagande recensées depuis l’automne 1940, mais tout
était à apprendre, à construire ou à
reconstruire, il n’y avait pas de modèles, il fallait improviser
avec des moyens réduits (papier grossier, tampons de fortune,
rares machines à ronéotyper, etc...). Pourtant la liaison
des petits groupes locaux avec l’extérieur s’est
consolidée. On le mesure à la diffusion des journaux
clandestins qui commencent à se répandre dans
l’été 1941 (Les Petites Ailes devenues plus tard Combat,
Libération). Depuis l’automne, le temps de la résistance
organisé a commencé.
- Le MLN, solidement implanté autour de
Fréjus-Saint-Raphaël par Ruelle en liaison avec Marseille
et Cannes, essaime vers Draguignan. Il s’est étendu à
Toulon en absorbant le groupe du colonel de réserve Robert Blum,
industriel alsacien et juif, qui en devient le responsable
départemental au début de 1942, et celui que les
francs-maçons Joseph Orsini et Auguste Marquis ont
créé autour de la Pro-Patria, société de
gymnastique et de préparation militaire. Reposant sur des
sizaines, il met en place quelques groupes de contre-propagande et
réalise les premières et modestes tentatives de sabotage
effectuées sur les installations ferroviaires. L’orientation
générale du mouvement est très
modérée, voire assez favorable au Maréchal et
à la Révolution nationale jusqu’à ce que la
politique de Darlan la radicalise. En effet, la répression ne
l’épargne pas. Ruelle est arrêté avec d’autres
militants le 24 décembre 1941 et enfermé dans les
infectes cellules du Fort Saint-Nicolas (celles de la prison maritime
de Toulon ne valent pas mieux) où se trouve déjà
Arnal, arrêté, lui, au titre du réseau F2. Le MLN
est alors devenu le mouvement Combat.
- Parallèlement, Libération connaît dans le Var une
naissance difficile : une première initiative à partir
d’un groupe qui gravite autour de Mentha, Abraham et du
commerçant Maxime Oukrat avorte faute de liaison à
l’automne 1941. Le mouvement ne prend son vrai départ
qu’à la fin 1941 (ou peut-être début 1942),
à partir de La Seyne avec le franc-maçon Pierre
Fraysse et le socialiste Marc Baron, ancien adjoint au maire, sous
l’impulsion du délégué régional Albert
Cohan. Il recrute à Toulon parmi les socialistes et les
syndicalistes qui trouvent Combat trop modéré. Parmi eux,
le cégétiste “confédéré”, Justin
Portalis, administrateur de la caisse d’assurances sociales “Au
Travail” qui lui sert de couverture. Le mouvement se répand peu
à peu vers l’intérieur du Var par tout un réseau
d’instituteurs (Méounes, La Roquebrussanne, Brignoles, etc...)
et absorbe à Draguignan le groupe qu’anime le militant
chrétien et ingénieur des Ponts et Chaussées
Georges Cisson et à Fayence des éléments
liés au général Cochet.
- Franc-Tireur, le plus petit des trois principaux mouvements de zone
sud, s’implante dans le Var au dernier trimestre de 1941, quand
Jean-Pierre Lévy, son animateur, prend contact avec Arnal
et les gens de F2. Déjà pris par le travail du
réseau, ceux-ci qui ne peuvent se charger de cette tâche,
le dirigent vers Mentha et la première équipe de
Libération. Cette organisation ne s’étendra guère
au-delà de la région toulonnaise et hyéroise.
- Comme on peut le constater, ces mouvements ne recrutent encore que
dans des milieux restreints et identiques. Dans ce petit monde, on
passe aisément de l’un à l’autre par le biais de contacts
communs, formant passerelles entre les petits clans qui tentent de
faire quelque chose. Ils sont épaulés par ceux des
francs-maçons qui ne se résignent pas. Cette
franc-maçonnerie maintenue joue un rôle majeur dans la
naissance et le développement de cette résistance.
Elle-même, malgré la répression, tente de se
reconstituer et de former des triangles clandestins sous l’impulsion de
l’assureur socialiste Paul Custaud, vénérable du Grand
Orient.
- Du côté des socialistes, la situation est critique par
suite de l’effondrement du parti et de l’éparpillement des
militants. Ceux que les sirènes de Vichy n’ont pas
attirés et qui sont décidés à agir
adhèrent, quand ils en ont l’occasion, à l’un ou l’autre
des mouvements, plutôt à Libération, comme, par
exemple, l’instituteur Charles Sandro, secrétaire
général adjoint de la SFIO avant-guerre. Sans songer
encore à reconstituer le parti, même si le contact est
établi avec le Comité d’action socialiste (CAS) et Daniel
Mayer dès 1941, certains socialistes se groupent de façon
informelle autour de telle ou telle personnalité, en particulier
à Toulon autour du très populaire docteur Risterrucci.
- Après la longue coupure qui suit la vague
d’arrestations des premiers mois de 1941, le Parti
communiste est à nouveau reconstitué à l’automne.
La propagande par tracts, papillons et journaux reprend à partir
de novembre avec des diffusions parfois massives (Toulon, La Seyne) qui
prennent prétexte de la condamnation à mort de
Mérot ou de la situation alimentaire. Un embryon d’Organisation
spéciale (OS) est mis en place, ainsi qu’un mouvement nouveau
destiné à rompre l’isolement du parti, le Front National
de lutte pour l’indépendance de la France (octobre 1941). Sous
la responsabilité de Paul Rigon Laporte, ouvrier de l’arsenal
licencié, il reste à créer, mais les consignes
insistent sur la nécessité de l’élargir en
particulier en direction des socialistes. L’état du parti en
cette fin d’année est bien connu par les rapports du responsable
politique (le “polo”) qui vient d’arriver dans le Var et dont on ne
connaît aujourd’hui encore que le pseudonyme André
Mulland. À travers ses papiers, saisis en mars 1942, on peut
percevoir l’effort fait pour imposer le cloisonnement, la constitution
de trios à tous les niveaux et de sévères
consignes de sécurité. On peut mesurer l’ampleur de la
propagande : reparution de Rouge-Midi tiré à 2 000
exemplaires, reproduction de L’Humanité à 1 200
exemplaires, création de La Voix des Femmes, diffusion de
milliers de tracts fin décembre, projet de journal d’usine
à La Seyne. Mais tout ce travail de reconstruction attire
à nouveau l’attention de la police.
- De son côté, le Parti communiste italien s’est
réorganisé séparément dans le courant de
l’année sous la direction de Giuliano Pajetta,
évadé du camp des Milles, en liaison avec la direction
extérieure du parti installée à Marseille.
Avec Saint-Tropez comme base de repli, il parvient à
mettre sur pied de petits groupes à Toulon, La Seyne,
Saint-Raphaël, La Londe, Les Arcs. Regroupant non seulement des
Italiens, mais aussi d’autres immigrés, il jette les bases des
futurs noyaux de la MOI.
Cependant la Résistance reste fragile, reposant sur les épaules de quelques individus, limitée pour l’essentiel aux villes de la côte et à quelques milieux précis. Il faut attendre 1942 pour la voir s’étendre socialement et géographiquement dans une population devenue plus réceptive. C’est alors seulement qu’est dépassé ce que Jean Cazalbou, professeur au lycée de Toulon, appelle dans son roman Anne et les ombres (Paris, Editeurs Français réunis, 1972) “la fronde en petit comité”.