INTRODUCTION
Le Var est un département “ rouge ”.
C'est sa particularité aux yeux des observateurs
extérieurs et, pour la gauche varoise, sa gloire. S'il y a
une spécificité départementale, c'est
là qu'elle réside. Le Var est avec l'Aude et
l'Hérault l'un des prototypes du Midi “ rouge ”.
D'où l'intérêt qu'y présente
l'étude de la Résistance et plus
généralement celle des années 40. Pour
reprendre la problématique de Kedward, y a-t-il
rupture ou continuité ? Y a-t-il une vocation en quelque
sorte naturelle à la résistance alors que
règne sur ces terres républicaines le régime
le plus “ blanc ” depuis le Second Empire ? Est-ce
sur le terreau de la démocratie traditionnelle qu'elle
s'est épanouie ou, au contraire, n'est-ce pas par
l'extérieur qu'elle a été apportée ?
Qu'est-ce que résister en pays rouge ?
1 - Présentation sommaire
Le Var est soumis à
l'attraction de Marseille, surtout, et de Nice, mais c'est en
fait un condensé de la Provence. Il en rassemble les
traits essentiels et d'une façon plus
équilibrée que ses voisins
écrasés par leur métropole ou par la
solitude de leurs montagnes. Seul le Vaucluse pourrait lui
être comparé de ce point de vue, la mer en moins
cependant ce qui n'est pas peu. La description en a
été souvent faite et de façon
excellente par les historiens qui chronologiquement nous
précèdent. Aussi est-il inutile de reprendre
en détail ce qu'ils ont parfaitement décrit.
Le Var réunit d'abord tous les
ingrédients physiques de la Provence. La montagne alpine
vient y déployer ses dernières hauteurs. Au
pied de ce rebord, les collines et les bassins constituent un
ensemble fragmenté en petites unités. C'est dans le
Var que cette Basse-Provence connaît son extension
maximale. Elle est ouverte et tournée vers l'Ouest, vers
Marseille donc, beaucoup moins vers l'Est où le relief se
resserre et s'accidente. Si le littoral a une unité, ce
sont les hommes qui la lui donnent, par la voie ferrée en
particulier qui associe Toulon à ses grandes voisines et
qui commence à égrener
néo-résidents temporaires ou permanents. Il est d'un
côté le prolongement d'une Côte d'Azur avec
laquelle il n'est pas encore confondu, il est de l'autre comme une
antenne industrielle et touristique de Marseille alors que
Toulon, tout aussi populeuse et entassée, même
à moindre échelle, tourne elle aussi le dos à
l'arrière-pays.
Trois zones principales par conséquent :
- La marge montagnarde, vidée de ses
habitants, annonce les espaces déserts des Alpes du Sud. On
y est déjà loin de tout et un peu hors du temps.
C'est la Provence rude de Giono.
- Le moyen pays n'est pas loin de
Manosque. Si ce n'est l'extrême nord-ouest du Var, il n'a
pas les yeux tournés vers la Durance, mais il participe
de la même culture. C'est un monde ouvert sans doute,
parcouru de courants migratoires, traversé de routes
fréquentées, apte à l'innovation comme Yves
Rinaudo l'a montré pour la fin du XIXe siècle. Mais le culte du progrès ne va pas sans une
certaine méfiance et le républicanisme
avancé sans une bonne dose de prudence et de
réalisme. Les petits mondes mi-agricoles, mi-urbains sont
aussi des lieux de repli. Les nouvelles du monde arrivent vite,
mais comme amorties. Giono exagère lorsqu'il en
témoigne ainsi à propos de Manosque avant la
guerre :
“ C'est peut-être cruel
de le dire, la guerre d'Espagne n'existait pas à Manosque
... Elle existait à Paris. ”
Les petites villes et villages qui composent le tissu
humain si caractéristique de la région ont
alors atteint une sorte d'optimum. Le système paraît
équilibré, les tensions sociales
atténuées, les mutations digérées. Une
sorte d'âge d'or évoqué avec nostalgie il y a
peu encore par les vieux républicains restés
attachés à la Troisième République. Le
pays “ rouge ” par excellence est aussi celui des
petits propriétaires et d'un horizon communal assez clos.
Cette zone, celle de la vigne et de l'olivier, des
coopératives et des petites industries traditionnelles,
englobe les massifs côtiers et touche encore le littoral, au
moins à l'Ouest à Saint-Cyr et au centre dans la
région de Grimaud-Cogolin.
- Il est courant à l'époque d'opposer le
littoral à l'arrière-pays en utilisant les
traits de caractère supposés collectifs de leur
population. Une “ description
ethnique ”, non datée mais
vraisemblablement rédigée vers 1943 ou 1944
pour les besoins du cabinet du préfet, offre un bon exemple
de ces stéréotypes courants :
“ Actuellement, de plus en
plus, le “ méridional ” se distingue du
“ provençal ” : accueillant et chaleureux,
comme tous les peuples méditerranéens, mais
inconstant, on rencontre au contraire à
l'intérieur une réserve qui va jusqu'à la
froideur. ”
Le trait est gros, mais il met le doigt sur le
particularisme des uns et sur l'ouverture de ce littoral où
ont afflué des populations diverses à la recherche
de travail (et venant en particulier de l'arrière-pays
provençal, haut ou bas, de Corse et d'Italie) et où
s'installe une bourgeoisie retraitée de professions
libérales et de commerçants marseillais
à l'ouest de Toulon, d'officiers autour de la ville, et le
long de la côte des Maures, de nouveaux venus issus des
mêmes milieux, mais de cieux plus septentrionaux.
L'empreinte rurale reste prégnante cependant,
entretenue notamment par un prolétariat italien qui
travaille dans les domaines ou la forêt. Alors que les
industries traditionnelles déclinent dans les
bourgades du nord ou du centre du département, l'industrie
moderne se concentre sur la côte, fortement liée
à la mer et à la Marine Nationale. Avec sa
dizaine de milliers de salariés, l'arsenal de Toulon et ses
dépendances fait encore de la ville un centre ouvrier
important, épaulé, de l'autre côté de
la rade, par La Seyne, la deuxième cité du Var
où les Forges et Chantiers de la Méditerranée
emploient près de 2 500 personnes. On pourrait opposer
les ouvriers corses de l'arsenal aux métallos de La Seyne,
souvent d'origine italienne.
On retrouvera cette géographie dans la mesure
où la circulation et l'ouverture conditionnent la naissance
de forces nouvelles.
Toulon représente 38 % de
l'ensemble d'une population qui a franchi la barre des 400 000
habitants. On compte précisément 418 808 Varois
en 1942, soit 20 000 de plus qu'en 1936. Il faut alors tenir
compte des quelque 25 000 réfugiés de l'Est puis
de Menton et des repliés de la zone occupée qui
sont venus s'y établir, mais il est parti entre temps
près de 7 000 étrangers. Malgré ses 177 000
habitants (150 000 en 1936), Toulon est trop excentrée
(et pas seulement géographiquement) pour influer
fortement sur le département. Le pourcentage de
la population urbaine est lui aussi trompeur avec ses 70 %
avant-guerre et même 77 % pendant. Les autres villes sont
de gros bourgs ruraux que ce soit Hyères, centre de
lucratives activités agricoles (29 000 h.), ou
même Fréjus (9 500 h.) malgré le poids des
camps coloniaux et Draguignan, la préfecture (15 700 h.).
La Seyne a elle-même une campagne non négligeable.
Que dire alors des 28 autres localités de plus de 2 000
habitants !
Le Var est déjà un département
dominé par le tertiaire. Il concerne 46,5 % de la
population active en 1936, concentrés surtout dans les
fiefs de l'administration militaire ou civile. Mais la
paysannerie emploie encore plus de 27 % des actifs, non
compris les nombreux salariés ou non-salariés
paysans que l'on trouve un peu partout.
L'immigration est présente
là où les possibilités de travail l'ont
attirée. Autant dire partout puisqu'elle fournit nombre
de salariés agricoles, beaucoup de
commerçants et d'ouvriers du bâtiment et
l'essentiel des bûcherons. Mais les plus fortes
concentrations se trouvent évidemment près des
activités industrielles : La Seyne, mais aussi les
tanneries de Barjols, le bassin minier de Brignoles, les
carrières de l'Estérel en particulier. Il s'agit
avant tout de l'immigration italienne qui regroupe 35 000 des 40
000 étrangers recensés au 1er janvier 1939. Les
Espagnols qui viennent ensuite ne sont que 1 319. Aux 9 % d'étrangers de 1936 (7 % en 1942)
s'ajoutent de fait plus de 22 000 naturalisés puisqu'ils
ne sont pas considérés différemment
par les autochtones. Cette communauté italienne n'est pas
une. Elle est parcourue de clivages qui tiennent à la
position sociale, à l'origine régionale et
aux dates d'arrivée. Ils la rendent plus complexe que ce
que laisse croire une xénophobie latente, mais toujours
prompte à se réveiller. Fascistes et antifascistes
affirmés ne sont que des minorités, tandis que la
majorité, besogneuse, souvent analphabète se
situe hors du champ politique au désespoir des
militants. L'agitation que les fascistes, encouragés
par le consulat, ont entretenue avant-guerre a suscité
des réactions d'hostilité et de rejet. C'est
ainsi que d'importantes manifestations ont pris pour cible des
commerçants italiens à Draguignan et à
Saint-Maximin les 13 et 16 avril 1939. Cette poussée de
xénophobie, en quelque sorte républicaine,
est un des signes du trouble politique qui saisit même les
régions solidement ancrées à gauche.
2 - Situation politique
Le Var “ rouge ” n'est pas un mythe,
même si ses adversaires, par une réaction de peur
classique, en amplifient la cohésion. Les observateurs
venus de l'extérieur portent sur cet état de
choses le regard un peu amusé qui sied depuis que
l'inquiétante étrangeté du “ Midi ”
en général s'est muée en exotisme, un
siècle auparavant. Sous leur plume, et en particulier sous
celle des administrateurs, le “ radicalisme ” varois
apparaît comme une sorte de manifestation folklorique
liée à l'extrémisme verbal des
Méditerranéens. Analysant le
“ caractère politique ” du département, un
rédacteur anonyme écrit que :
“ Le
Var républicain est devenu le Var rouge avec cette
particularité que ce n'est pas le sentiment d'une
masse, mais l'effet d'un individualisme prononcé, rebelle
au moins en paroles à toute forme de l'Autorité...
Le bon sens, la finesse naturelle des paysans varois
tempèrent les excès d'une imagination verbale
et lorsqu'il s'agit de quelques intérêts fondamentaux, le “ Var rouge ” pourrait
rendre des points aux plus conservateurs de nos
départements... Le Var rouge, comme tous les pays
méridionaux, a donc adapté les théories
qu'il professe aux nécessités du pays et à
la fameuse douceur de vivre qu'on a toujours trouvée sous
ces cieux. ”
On ne peut limiter le Var rouge
à une SFIO effectivement dominante, et encore moins
à un Parti communiste dont les progrès au moment
du Front Populaire enregistrent la réussite de sa greffe
sur la tradition “ avancée ”. Il ne
peut non plus se limiter à la paysannerie. Ce serait
oublier le rôle déterminant de la
micro-bourgeoisie et des catégories non-agricoles
des villages qui fournissent la plupart des cadres du
“ parti rouge ”. Ce serait oublier que les
militants se trouvent surtout dans les villes les plus
peuplées. Le Var rouge n'est pas homogène,
même s'il s'exprime par un vote qui l'est relativement
plus. Il comprend toutes les nuances du
républicanisme laïque. L'attachement que les
modérés ou les opportunistes gardent à
l'étiquette “ socialiste ” est aussi le signe
de leur allégeance à ce bloc. Globalement
entendu, à travers toutes ses strates constitutives,
on peut affirmer avec les Renseignements Généraux
en 1942 que
“ l'examen
de la situation politique d'avant-guerre... établit
surabondamment que la réputation de “ Var
rouge ” n'était pas surfaite. ”
La répartition du pouvoir l'atteste :
- Les trois sénateurs avec l'ancien ministre
René Renoult, successeur de Clemenceau, le philosophe
Gustave Fourment, l'un des pères du socialisme varois
passé à l'USR, et Henri Sénès, maire
du Muy et président du Conseil Général,
prototype du notable socialiste (SFIO) rural.
- Quatre députés sur cinq avec les
socialistes Joseph Collomp, maire de Draguignan, et Michel Zunino,
maire de La Garde, et les communistes Jean Bartolini, le leader
ouvrier toulonnais, et Charles Gaou, la facette rurale du Parti.
- La presque totalité du Conseil
général et des conseils d'arrondissement. Dans le
premier, la droite patentée n'est présente
qu'à travers un seul conseiller (URD) tandis que la gauche
“ molle ” en compte huit (deux radicaux-socialistes,
quatre socialistes indépendants, deux USR), la SFIO
dix-sept et l'extrême gauche quatre (un PSOP, trois PCF). Le
Conseil d'arrondissement de Brignoles est exclusivement SFIO (huit
membres), celui de Toulon majoritairement (huit SFIO, un USR,
un radical et un républicain de gauche) et celui de
Draguignan à moitié (cinq SFIO, trois USR, un
radical et un communiste).
- La grande majorité des 151
communes. On ne sait que trop la difficulté qu'il y
a à étiqueter la plupart des conseils municipaux
ou même de nombreux maires. Les sources sont souvent
approximatives, les sources policières tout
particulièrement. Le moins aléatoire est de se
référer aux maires. La gauche prend à ce
niveau une couleur plus atténuée et le
patronage bourgeois (avec souvent alliance à droite)
limite encore le déport vers la SFIO. Le maire est
parfois moins “ avancé ” que ses conseillers au
moins sur le plan de l'appartenance politique. Mais les
étiquettes passe-partout, républicain de
gauche, républicain socialiste, peuvent masquer aussi
bien un modérantisme affirmé qu'un ancrage
“ rouge ” plus marqué que chez des
adhérents de la SFIO Toutes les nuances du socialisme
sont donc représentées dans les 92 communes
(environ) qui s'y rattachent de près ou de loin : une
quarantaine de maires SFIO, 36 USR ou socialistes
indépendants et six communistes. Les 16
républicains de gauche, présents surtout dans
les petites communes du Nord, n'en sont parfois pas très
éloignés, tandis que les 22 radicaux (presque
tous “ socialistes ”) ne peuvent être
rejetés si facilement à droite. Cette droite qui
s'affirme rarement ne contrôle qu'une demi-douzaine de
localités. Il est vrai qu'il y a
Toulon dans le lot où l'ancien socialiste Marius
Escartefigue, réélu de justesse en 1935,
représente une autre version du modèle
municipal marseillais (ou des grandes villes
méditerranéennes ?) en tant que chef de file
populiste et populaire d'une droite
hétérogène et un peu honteuse d'un
personnage au passé et au présent assez
chargés, de son point de vue. Les autres villes sont soit
socialistes SFIO (Draguignan, La Seyne, Saint-Raphaël,
Fréjus) soit USR (Hyères, Ollioules) ou
radicales (Brignoles).
Les apparences peuvent laisser
croire que la droite est, sauf exception, inexistante. Au
premier tour des législatives de 1936, les partisans du
Front Populaire n'ont-ils pas recueilli plus de 83 % des
suffrages exprimés ? Le report des voix ne s'est-il pas
fait avec discipline sur les communistes tandis que
les renaudellistes perdaient leurs deux députés ?
La même suprématie n'est-elle pas
confirmée aux cantonales de 1937 où leurs scores
vont de 84,6 % des suffrages exprimés dans
l'arrondissement de Brignoles à 72,4 et 68 % dans ceux de
Toulon et Draguignan (avec une SFIO attirant 70,6, 53,2 et 40,3
% des suffrages) ? La situation partisane de la droite
n'est-elle pas aussi critique ? Le Var est un département
où l'étoile du PSF ne brille guère, ce qui
est assez remarquable. Sa Fédération
départementale revendique une quinzaine de
sections communales sur le littoral et dans les principales
localités de l'intérieur, mais la police les donne
pour peu actives et n'évalue qu'à 3 ou 400 le
nombre de leurs adhérents, loin des 1 800
revendiqués en 1939. La phobie du “ rouge ” pousse à la
radicalisation, aussi le PPF est-il vraisemblablement le
parti de droite le plus nombreux, et certainement le plus
actif (ce qui ne signifie pas le plus influent). Sur sa
douzaine de sections communales, il ne possède
que deux points forts, Toulon et Hyères, avec 3 ou 400
adhérents chacune, soit la quasi-totalité du
millier de membres que la police lui accorde un peu trop
largement, sans doute. Le village de Saint-Zacharie ne constitue
pas à vrai dire un bastion, mais plutôt une
curiosité due à la conjonction d'un maire
populaire et de l'influence marseillaise
proche.
Mais la droite ne peut se mesurer
seulement aux résultats électoraux que certains
des siens boudent ou aux effectifs partisans. À la
tradition “ rouge ” s'oppose, tout aussi vivace, une
tradition “ blanche ”, rassemblée dans les
petites localités autour de l'église et des
associations cléricales, foyers d'opposition actifs,
tandis qu'en ville et sur la côte, elle est
renouvelée par l'apport de militaires et des bourgeois
retraités. Toulon offre une concentration plus
grande qu'ailleurs, la Marine aidant, de ces couches où
l'on ne dédaigne pas de s'abonner à L'Action Française. La
ville
“ comprend une haute bourgeoisie, peu nombreuse,
composée de vieilles familles, nobles ou roturières,
les unes d'antique souche provençale, les autres
venues de différentes provinces et fixées
à Toulon au gré de la carrière militaire
ou maritime de quelqu'un des leurs. Puis des
négociants en relation d'affaires avec la Marine et
des commerçants d'origines diverses ”
et l'auteur de ce rapport, après avoir
évoqué les couches populaires, n'omet pas d'ajouter
les retraités et autres
“ attirés par la
douceur du climat, la vie facile de Toulon, le milieu
intéressant qu'on y rencontre. ”
La prééminence “ rouge ”
occulte trop souvent cette permanence “ blanche ”, de
même qu'elle fait parfois oublier l'importance de
l'abstentionnisme. En 1936 encore, 25 % de l'électorat ne
s'est pas rendu aux urnes.
Le bloc “ rouge ” n'est pas sans failles. Il
apparaît par bien des côtés comme l'expression
d'un système socio-politique figé. Jacques Girault,
analysant les élections de 1936, a pu remarquer que
“ la commune rouge est donc
avant tout rurale, française de souche et plus
vieille. ”
L'appartenance à ce camp se
traduit avant tout par la parole et le bulletin de vote alors
que l'adhésion partisane reste très minoritaire. Malgré sa puissance électorale, la SFIO
ne rassemble que 1 500 à 1 800 adhérents dont un
tiers à Toulon. Les notables élus (politiques ou
syndicaux) en sont les cadres. Les 70 ou 80 sections n'ont
qu'une vie épisodique, rythmée par les campagnes
électorales. L'USR, de son côté, a un
caractère encore plus notabiliaire et le Parti
radical-socialiste n'existe qu'à Toulon, et encore
depuis peu (417 membres). Le Parti communiste fournit
l'essentiel des forces militantes à gauche.
L'évaluation policière de 1942 paraît
sous-estimer son implantation en ne lui accordant qu'un millier
d'adhérents, alors que, lui-même en revendique,
sans doute excessivement, 3 000 en 1939. La moitié
réside à Toulon et La Seyne, mais il est représenté par des noyaux
militants dans toutes les petites localités
semi-ouvrières : Draguignan et Flayosc et leurs
ouvriers de la chaussure ou leurs employés,
Saint-Tropez et La Londe et les salariés de la Marine
Nationale, Tourves et ses mineurs, Carnoules et Pignans et leurs
cheminots, Barjols et ses tanneurs. Ce seront autant de
pôles de résistance à la disparition et de
bases de reconstitution. Comme ailleurs, le PCF a introduit
ici un autre type de militant “ rouge ”, ouvrier,
citadin et souvent jeune, et une autre forme de culture
politique, celle des “ camarades ”, qui s'oppose (mais
pas toujours) à celle des socialistes qui ressort surtout du
patronage, sinon déjà du clientélisme,
traditionnel dans la mesure où elle s'appuie
davantage sur les cadres sociaux ou politiques (les
élus, le maître d'école, le chef de service,
le “ coq de village ”). Par le biais du syndicalisme,
le PCF a commencé à grignoter la base
ouvrière de la SFIO et à s'élargir aussi au
prolétariat immigré, non sans provoquer des
réactions de rejet, et pas seulement chez les
“ Blancs ”. Malgré l'électorat
qu'il a pu gagner dans le Var rural, sa position n'y est
pas encore solidement assurée. Les héritiers de la
tradition tiennent encore fermement les associations et les
organisations corporatives.
Le pragmatisme est un trait
ordinaire de cette gauche varoise, peu portée à
l'idéologie, sinon républicaine et
anticléricale, mais marquée par une pratique de socialisme municipal qui est
à la base de son succès (et de son
élimination du radicalisme). L'adhésion
viscérale à ce qui paraît
défendre les “ petits ” au mieux se
transmet par la famille, une famille qui s'élargit
facilement aux dimensions de la localité. Autant dire que
le campanilisme se porte bien. Paul Veyne constatait pour
un autre coin de Provence l'importance de ce village centre
du monde il y a peu de temps encore.
Si l'État Français
réussit son installation avec autant de facilité,
au moins apparente, les raisons n'en sont pas seulement la
permanence “ blanche ”, le poids de la
ruralité, la xénophobie ou l'essoufflement d'un
système. Il est des causes plus conjoncturelles et
des étapes préliminaires. La dissolution du Front
Populaire et Munich font ressortir les contradictions de
l'alliance, sur fond de désillusions de la base. Tandis
que la SFIO penche vers le paulfaurisme, le PCF traverse
une grave crise militante qui enraye sa progression
spectaculaire depuis 1935. La CGT qu'il contrôle aurait
perdu les trois-quarts de ses adhérents entre 1937 et
1939 et, après le relatif échec de la
grève du 30 novembre 1938, se trouve au bord de la
scission tant les relations entre “ unitaires ” et
“ confédérés ”,
emmenés par les “ Amis de Syndicats ”, se
sont dégradées.
Déchirée,
déçue, mise implicitement en accusation, la gauche
socialiste est sur la défensive et, avec elle, toute la
gauche. En porte-à-faux face à la montée
des périls, elle est tiraillée entre le
pacifisme, le nationalisme et l'antinazisme. La
période est au reflux, voire au rejet, du politique et au
repli sur la sphère individuelle après les
emballements collectifs de 1936 et devant les malheurs du temps.
Ce réel angoissant mais que l'on voudrait écarter,
l'exode pitoyable des républicains espagnols n'en
est-il pas le signe annonciateur ? Il en arrive 1 700 au
début de 1939. On ne peut pas dire qu'ils soient
reçus à bras ouverts, en dépit de la
solidarité de quelques groupes de militants. Le temps du repli est en même temps
celui de la dérive des valeurs républicaines
forgées par la tradition jacobine. La commémoration du 150e anniversaire
de la Révolution Française est ici aussi “ un service funèbre et un bel
enterrement ”. Elle traduit la timidité des hommes au
pouvoir, la division des héritiers, comme
l'adhésion superficielle des élites,
particulièrement de celles qui dirigent l'appareil
d'État, souvent marquées par d'autres courants de
pensée. Aux discours figés des uns
répondent les proclamations enflammées de ceux qui
se réclament encore du Front populaire dans des
meetings peu suivis. Ce repli “ rouge ” que l'on ressent,
même ici, laisse le champ libre à la droite.
L'annonce du pacte germano-soviétique et la guerre ne
font qu'accélérer le mouvement.
3 - La “ drôle de guerre ”
La gauche entre en guerre à
reculons, affaiblie par la division et par le doute. Ce qui
reste du militantisme “ rouge ” est
désorienté et déchiré par l'annonce
de la signature du pacte germano-soviétique. La
mobilisation qui intervient aussitôt désorganise
tout. À la base, la quasi-disparition des partis
politiques et des syndicats date en fait de ce moment-là.
Pierre Laborie a écrit très justement que la
période qui s'ouvre alors est “ une des clés de la compréhension
générale des comportements ” et il a montré son importance dans la
formation des obsessions qui semblent tenir lieu d'opinions. Son
analyse de la presse du Lot pourrait s'appliquer à celle
que lisent les Varois, qu'elle vienne de Toulon (Le Petit Var) ou de Marseille
(Le Petit Marseillais du groupe de droite Jean Gaillard-Bourrageas,
propriétaire aussi du journal toulonnais, Le Petit Provençal du
sénateur radical Vincent Delpuech qui est l'organe de la
gauche avec pour complément Le
Radical, Marseille-Matin
de l'armateur Jean Fraissinet, très
marqué à droite). Les mêmes thèmes envahissent tout, occupent l'attention
et font passer, sinon au second plan, du moins en retrait
relatif les peu mobilisatrices péripéties de la
guerre en cours. Les sources administratives, peu abondantes,
s'en ressentent de la même façon. Qu'en ressort-il
?
a - Un anticommunisme obsessionnel
Le pacte
germano-soviétique est généralement
ressenti comme une trahison et non sans jubilation par tous ceux
qui ont quelques comptes à régler avec le Parti
communiste, et, sur ce plan, la droite et la gauche non
communiste se rejoignent. Avant même la
déclaration de guerre, Le Petit
Var est plein de condamnations du pacte
et d'attaques contre les communistes. La censure rétablie
le 29 août étoufferait, s'il y en avait, les voix
discordantes. Les quelques affiches que les communistes
essaient de coller, au Luc par exemple, sont l'occasion des
premières poursuites judiciaires. On chercherait pourtant
en vain un acte d'hostilité quelconque à la guerre
de leur part et leur présentation du pacte n'est pas
encore “ anti-impérialiste ”, on le sait. Ils
partent comme tous les mobilisés rejoindre leur
affectation et leurs élus jouent le jeu commun de la
discipline patriotique. Ainsi le maire et conseiller
général du Beausset appelle-t-il ses
concitoyens à unir leurs efforts pour mener à bien
des vendanges affectées par le départ des
hommes et qu'il présente comme faisant partie du
devoir patriotique.
Pourtant déjà la vague anticommuniste recouvre
tout. Tel témoin se souvient que, lors de la
réquisition des chevaux de la région de Brignoles,
il y a la débandade dans les rangs de la colonne qui doit
les mener à Draguignan et que la faute en est
imputée d'emblée aux communistes qui auraient
lâché en pleine nuit les bêtes dont ils ont
la charge.
Opinion admise sans discussion, colportée 30 ans
après inchangée, l'évidence quoi ! Est-il
besoin d'ajouter qu'il n'y a aucune trace d'un incident
pareil qui n'aurait pas manqué d'entraîner
l'ouverture d'une enquête et qu'il est, de plus, assez
invraisemblable. Mais faute d'hitlérophiles
avoués, le PCF constitue un merveilleux bouc
émissaire. Pourtant ses
élus désavouent le pacte au fil des semaines, et
parfois le Parti lui-même, après le choix de l'orientation
anti-impérialiste par la direction et malgré
l'arrestation des deux députés communistes
varois.
L'anticommunisme devient un
phénomène d'opinion majeur. La place qu'il occupe
dans les sources conservées en témoigne, qu'il
s'agisse de la presse ou des documents policiers et
administratifs. Parallèlement au front véritable,
un front intérieur s'ouvre auquel s'associent les
éléments les plus divers, militaires et syndicaux
au premier chef. La censure et l'état de guerre aidant,
la vague prend une allure paranoïaque. Sur le plan
syndical, l'offensive est menée par “ Les Amis de
Syndicats ” qui s'appuient ici sur le Syndicat du personnel
de la ville de Toulon. Leur animateur, Antoine Berne, est
soutenu par la tendance Jouhaux et par la SFIO. L'un des chefs
socialistes, Albert Lamarque, rédacteur local du Petit Provençal, en
tracera un portrait flatteur. L'Union Locale de Toulon est reconquise la
première. Entre octobre et novembre, toute la C.G.T. est
remaniée avec la dissolution des syndicats qui n'ont
pas désavoué le pacte. Quant à convaincre
les ouvriers de suivre les nouvelles directions, il y
a là une étape dont on se rend vite compte de la
difficulté. Malgré leur passivité, leur trouble
ou le désaccord exprimé, la répression
traque les militants les plus en vue, surtout ceux qui sont
mobilisés et que l'armée tente de
“ démasquer ”. Elle reste cependant
limitée jusqu'en avril 1940 à quelques
emprisonnements, parfois suivis de non-lieu, et à la
suspension des élus communistes, puis à leur
révocation (à l'exception de la
majorité du conseil municipal de Flayosc). Le
décret du 18 novembre 1939 permettant l'internement
administratif n'a d'incidence notable qu'à la fin du
printemps 1940 où l'on assiste à un net
durcissement : 42 internements de Français
entre avril et août 1940, 56 mobilisations en
“ compagnies de passage spéciales ”, de
nouvelles arrestations et des mesures d'éloignement
prises à l'encontre de cheminots et d'agents des PTT.
Depuis le 21 mars, les communistes des
Alpes-Maritimes sont internés à
Saint-Maximin.
Pourtant rien ne justifie cette
évolution. Aucune activité clandestine du PCF
n'est décelable à travers les sources
policières. Des témoins, cheminots, nous ont
dit avoir fait la liaison avec Marseille et avoir apporté
des papillons. S'il y a eu des distributions, elles ont
été confidentielles. Un embryon
d'organisation souterraine (plus que clandestine) subsiste avec
de vieux militants toulonnais et seynois, mais il reste en
position d'attente. Seul Jacques Sadoul, replié à
Sainte-Maxime, se fait remarquer, mais c'est pour
télégraphier à Paul Reynaud qu'il faut
négocier avec Moscou et que la guerre doit être
menée avec les communistes jusqu'à
l'écrasement de l'Allemagne. C'est le 24 mai. La machine répressive
fonctionne alors à plein contre l'ennemi de substitution.
Il est le communiste, mais il est aussi l'étranger.
L'époque est à la résurrection des vieilles
peurs.
b
- La xénophobie instituée
C'est l'autre pilier de
l'idéologie dominante. Arthur Koestler l'a
très bien définie dès l'époque comme “ une variante nationale, un ersatz de
l'antisémitisme allemand ”. Elle frappe sans discernement les
étrangers sans souci de leurs positions
vis-à-vis de la France ou de l'Allemagne. Les Allemands,
émigrés politiques, antinazis notoires, sont
internés comme les autres. Si le premier internement au
camp de La Rode, à Toulon, est humiliant, mais
momentané, celui qu'on leur impose au printemps aux
Milles, près d'Aix, est autrement significatif de
l'institutionnalisation de la xénophobie. Lion
Feuchtwanger, une de ses victimes, témoigne du
climat d'espionnite, de bêtise, de paresse intellectuelle
et de conformisme qui sévit alors, notamment sur ce
littoral où se sont réfugiés des
écrivains tels que lui. Les
étrangers, communistes ou supposés tels, en
avaient déjà fait l'expérience puisqu'ils
avaient été les premiers affectés par
les internements administratifs,
dès octobre 1939. La participation à la
guerre d'Espagne avait alors suffi à les faire
considérer comme suspects. Les républicains
espagnols réfugiés dans le Var sont
regroupés dans des camps et, comme pour
rasséréner une opinion hostile, Le Petit Var annonce le 22
février 1940 que l'on y envoie une trentaine de femmes et
d'enfants. Par contre, l'hostilité aux Italiens (en
général) ne ressort plus guère. Aucune
réaction dans l'opinion. Plus de manifestations hostiles.
Rien dans la presse. Silence d'attente. L'administration reste
vigilante et l'opinion ne peut rester insensible au fait que
les étrangers continuent à vaquer à leurs
occupations alors que les Français sont mobilisés.
Les clivages ne se sont pas envolés, la peur
subsiste. Que fera l'Italie ? Mais le climat idéologique
lui est plus favorable et le conseil municipal de Toulon
n'hésite pas à l'appeler aux côtés de
la France, le 18 mai 1940, au nom d'une commune civilisation
romaine. La déclaration de guerre du 10 juin
ressuscite l'archétype de l'Italien fourbe et
lâche. Dès le lendemain, commence un tri
arbitraire, suivi par des internements au camp de Saint-Cyprien
(Pyrénées-Orientales) dont les conditions
lamentables fourniront des arguments commodes à
Mussolini. La tension provoque des incidents et, même dans
une localité sans histoires comme Le
Cannet-des-Maures, on redoute des bagarres dès le 11 juin. À la même date, le préfet
maritime laisse poindre l'indignation de ceux qui croyaient en
cette Italie “ reniant son
histoire et la civilisation dont elle est issue ”. Le fossé entre les communautés s'est
élargi. Avec l'anticommunisme, cette
xénophobie, anti-italienne en particulier, participe
du fonds commun idéologique sur lequel Vichy va
prospérer.
c - La tentation autoritaire
Les mesures de contrôle sont
inhérentes à l'état de guerre et, pour
éviter une dérive, il faut que le pouvoir politique
tienne bien en main l'appareil militaire surtout. Ce n'est pas
précisément l'impression que l'on a dans cette
période. À la place déterminante prise dans
la lutte contre les communistes et les étrangers suspects,
s'ajoutent progressivement d'autres éléments.
À Toulon, fief de la Marine, cette évolution est
très sensible. Dès la fin août 1939, sont
prises les premières mesures de défense. La
Défense Passive distribue des masques à gaz le 27 et
ne cesse de multiplier les conseils. La circulation, rapidement
entravée par le passage du camp retranché en
“ zone des armées ”, n'est que lentement
libérée (le 11 décembre) avant d'être
de nouveau perturbée en juin. À partir du 16 mai
1940, le préfet maritime est chargé du maintien de
l'ordre et de la police dans ce périmètre. Le
tribunal maritime est déjà l'un des rouages
essentiels (avec le tribunal militaire de Marseille) de la
répression contre les communistes et les espions. La
croissance du pouvoir militaire va de pair avec celle des
groupes de pression qui lui sont socialement et
idéologiquement proches alors que, par la force des choses,
les contre-pouvoirs habituels, syndicaux ou politiques, sont
affaiblis par la mobilisation, la volonté unitaire, la
division et la répression.
Tout autour des mobilisés
fleurissent quantité de comités qui se
chargent d'organiser la solidarité qu'on leur doit
naturellement. La gauche a les siens, comme le montre l'exemple
de La Seyne où la SFIO et l'Amicale socialiste des
Chantiers participent aux envois de colis. Mais, en ce domaine,
la tradition charitable et militariste de la droite fait
merveille. Le PSF et les catholiques font preuve de
dynamisme et épaulent les associations d'anciens
combattants chargées de diriger les nombreux
comités municipaux. De cette action à la
dénonciation politique, la marge est parfois
étroite. Le “ Comité de vigilance ” de
Bandol est un exemple limite, mais pas unique et
précurseur. Créé le 4 novembre 1939,
il associe l'aide aux mobilisés à la
dénonciation des étrangers et des communistes. Il
est dirigé de plus en plus contre la municipalité
SFIO d'Octave Maurel, président de l'Amicale des maires
du Var, et conjugue son action avec celle du PSF et de son
annexe “ Les Auxiliaires de la Défense
Passive ”.
La presse est pleine de
communiqués d'associations de ce type dans ses rubriques
locales. En revanche, la gauche semble comme évanouie
tant sont rares les mentions de son activité. Cette
sensation n'est pas qu'illusion puisque la SFIO d'Ollioules
s'inquiète dans Le Petit Var du 24 janvier de cette quasi-disparition et appelle
à réagir. Seule la CGT épurée
intervient régulièrement dans ses colonnes,
surtout par l'intermédiaire des articles que la
Confédération envoie ou ceux que
rédige Dupuis, le secrétaire du syndicat de
salariés de l'arsenal (le Syndicat des travailleurs
réunis du port de Toulon). Farouchement antistaliniens,
ils traitent des thèmes corporatistes et de la
collaboration de classe. La guerre et la
dénonciation de
“ l'hitléro-communisme ” donne l'élan
que la gauche a perdu à une droite renaissante. Elle
commence à pétitionner contre les
municipalités “ Front Populaire ” de la
côte. Le Dr Frèze, maire de Sainte-Maxime (juif), est dénoncé
comme “ bolchevik ” par ce moyen le 15 février.
Gaillard, le maire SFIO de Cavalaire, est accusé
à plusieurs reprises d'antimilitarisme et de
communisme tout comme la municipalité SFIO de La
Seyne. La délation anonyme suscite déjà les
demandes d'enquêtes de la part du ministère de
l'Intérieur. Elle comporte tous les
ingrédients que le pullulement des mois suivants rendra
classiques. La lettre de La Seyne est signée par une
institutrice privée au nom d' “ un
groupe de Français patriotes ” et l'on y dénonce en amalgamant SFIO et
PCF les journées de juillet 1936 avec drapeau rouge, feu
d'artifice, défilés, les menaces d'un PCF
prépondérant et le molestage des opposants.
La “ drôle de
guerre ”, c'est aussi un “ drôle ” de
climat qui s'instaure, “ un climat
malsain de suspicion ”. Même le vocabulaire est déjà
là. Les associations d'anciens combattants ont
constitué une instance commune pour coordonner leur
action à la fin de 1939 et elles l'ont appelée
“ Légion ”.
d - Une amorce d' “ ordre moral ”
Cette évolution s'accompagne d'une
poussée de moralisme. Elle est nettement perceptible
à la mi-mai 1940, préparée de longue date
dans les milieux où il allait de soi que les
“ folies ” d'avant-guerre seraient tôt ou tard
punies par la justice immanente. Le 13 mai, est annoncée la
création d'un Comité varois d'action contre
l'immoralité publique. L'appréhension de la
défaite ouvre un champ plus large. Le 26 mai, la
cérémonie de supplication se déroule à
Toulon, sous la houlette de l'évêque, non seulement
en présence des autorités maritimes, mais aussi avec
celles de responsables politiques et administratifs qui
semblaient jusque-là plutôt portés vers
le rationalisme.
La recherche du miracle s'accompagne
de celle de l'homme “ providentiel ” et c'est à
un militaire que l'on songe même dans le
département de Clemenceau. Dans la rubrique locale
de Sanary de ce 26 mai, Le Petit Var fait passer un appel à la
générosité en faveur des
réfugiés qui est aussi un acte d'allégeance
au général Weygand. Le thème de la
nécessité du retour à la terre est
évoqué dès le 15 janvier dans le
supplément du soir du Petit Var, République du
Var, et les mesures que le gouvernement
prend en faveur des chômeurs voulant retourner à la terre, répercutées
dans la presse le
11 mai, donnent la mesure d'une orientation qui est moins
sociale que morale et qui met en accusation une
société urbaine sur laquelle le poids de la
défaite va retomber.
Denis Peschanski a raison de
souligner les différences de nature qu'il y a entre
la Troisième République qui ne se sait pas
finissante et le régime de Vichy, entre ce qui tient
du “ régime
d'exception ” et ce qui participe
d'une “ vaste et nécessaire
entreprise de mise en ordre et d'assainissement national ”
inscrite dans “ un projet de société ”,
cependant il faut bien constater qu'à la faveur des
circonstances s'est développé comme une
manière de pré-Révolution Nationale.
Le communiqué du préfet
maritime du 23 mai donne le ton en annonçant que “ nous traversons une épreuve ”. Avec l'entrée en guerre de l'Italie, la
menace est désormais toute proche. À deux
reprises, l'aviation italienne
vient même attaquer les installations militaires du
Var. Le 13 juin, elle occasionne quelques
dégâts à La Seyne et à Toulon. Le 15,
elle entend répliquer à l'opération Vado qui a permis à la
Marine de purger sa colère contre le coup de Jarnac
italien en allant bombarder Gênes et Savone. L'affaire est
ce jour-là plus sérieuse, marquée par
l'attaque des bases aéronavales et du port de Toulon
ainsi que par des combats aériens sur la majeure
partie du département. Les territoriaux d'Agay et de
Saint-Tropez auraient abattu à cette occasion les
aviateurs qui avaient sauté en parachute, affaire sur
laquelle les Italiens reviendront sans cesse les années
suivantes.
Mais les yeux sont fixés sur
Toulon où la marine s'apprête au combat sans
négliger un repli éventuel outre
Méditerranée. L'atmosphère est
résolue aux dires des témoins et le
préfet maritime (suivant en cela les ordres de
l'Amirauté) intervient quelques minutes après le
message du Maréchal Pétain du 17 juin pour
dissiper les inquiétudes : la lutte continue. Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que la
censure ait laissé passer le 19 le message que le
général de Gaulle a prononcé la veille
à Londres et qui figure en première page du Petit Provençal et du Petit Marseillais. Ce
jour-là, l'Amirauté a confirmé les ordres
de défense du camp retranché de Toulon,
malgré les efforts du maire qui préférerait
que sa cité soit déclarée “ ville
ouverte ” comme Marseille. Mais il est bien tard pour
mobiliser une opinion que “ l'attentisme
calculateur ” a
désarmée et qui n'est pas plus
préparée à la défaite qu'elle ne
l'avait été au combat. Après la guerre,
réglant quelques comptes, un journaliste du Petit Var rappelait que son
directeur l'avait empêché d'écrire des
articles sur la Grande Guerre comme il le projetait alors
que celle-ci commençait. Il ajoutait que
“ la guerre s'ouvrait dans un
climat décourageant. Pas de fièvre
patriotique, rien de comparable aux heures d'exaltation de
1914. ”
On avait laissé l'héroïsme au
peuple finlandais à qui plusieurs municipalités
avaient rendu hommage, des municipalités de gauche, celle
du député socialiste Zunino (La Garde) le 24
février et celle d'Hyères le 4 mars. La France
s'était retranchée derrière la ligne Maginot.
La municipalité de Pierrefeu, elle aussi
républicaine “ avancée ”, avait sans doute
traduit un sentiment commun en honorant Painlevé et
Maginot le 17 février. Mais, une fois la ligne
percée, que faire sinon recourir à l'intercession
divine ?
.
Nous nous référons évidemment aux travaux de
Maurice AGULHON, Emilien CONSTANT et Yves RINAUDO, sans oublier
Jacques GIRAULT qui a étudié de façon
extrêmement minutieuse l'Entre-deux-guerres varois et
qui nous a fait bénéficier de ses recherches alors
en cours.
.
Y. RINAUDO, Les paysans du Var, fin du
XIXème siècle, début du XXème
siècle, Aix, 1978.
.
Entendu dans un entretien avec Jean Amrouche au début des
années 50 et rediffusé sur France-Culture
en juillet 1987.
.
ADV, cabinet 687, tableau départemental après
l'Occupation (incorporant des éléments
rédigés pendant celle-ci).
.
ADV, cabinet 600 : fichier départemental établi par
les Renseignements Généraux en 1942. Le
département compte aussi à cette époque
plusieurs milliers de militaires, marins et jeunes des
Chantiers de jeunesse
.
Nous avons évoqué ce sujet dans “ Les
étrangers dans la Résistance
provençale ”, Revue d'Histoire
moderne et contemporaine, tome XXXVI, octobre-décembre 1989, p.658-671.
.
ADV, cabinet 687, tableau déjà cité,
chapitres II et VI, ce dernier sur l'arrondissement de Draguignan.
.
J. GIRAULT, “ A la recherche du Var rouge ”, Cahiers de la
Méditerranée n°7, décembre
1973, p. 18.
.
ADV, cabinet 600, fichier déjà cité.
.
Les renseignements policiers étant sujets à caution,
cette statistique est de notre cru, mais comporte cinq lacunes.
À partir de l'étiquetage des maires, nous avons
abouti à 40 SFIO, 11 socialistes proches de la SFIO, 15
USR, 6 socialistes indépendants, 14
républicains socialistes, 22 radicaux et
radicaux-socialistes, 16 républicains de gauche, 6
communistes et autant de maires de droite. Voir carte en annexe.
.
Ces renseignements sont tirés du fichier des Rens.
gén. qui fait le point sur la situation politique
avant-guerre (ADV, cabinet 600, été 1942).
.
ADV, cabinet 687, tableau déjà cité. Le style
fait penser à un recopiage de guide touristique ou
géographique un peu ancien, mais sa réutilisation en
1943, si réutilisation il y a, est significative.
.
Dans son étude inédite sur le Var du Front Populaire
qu'il a eu la gentillesse de nous communiquer à
l’époque alors que sa thèse n’était pas
encore éditée (Le Var rouge. Les
Varois et le socialisme de la fin de la Première Guerre
mondiale au milieu des années 1930, Paris, 1995).
.
Voir notre contribution in J.-P. AZÉMA, A. PROST et J.-P.
RIOUX dir., Les communistes français de
Munich à Châteaubriand, 1938-1941, Paris,
1987, p. 289. Les chiffres valent moins en eux-mêmes que par
les comparaisons que l'on peut faire. Le chiffre de 3 000 est sans
doute excessif, il est, par contre, vraisemblable que le PCF a
plus d'adhérents que la SFIO.
.
Interview à L'Histoire n°106,
décembre 1987, p. 69 : “ De toute
façon, le centre du monde se trouve au village : c'est
là qu'on se connaît et là que s'enracine le
système des clans ”.
.
La CGT aurait regroupé 24 ou 25 000 adhérents en
1937, répartis en 151 syndicats et sept Unions Locales. Sur
cette crise, voir J.-P. AZÉMA, A. PROST et J.-P. RIOUX, Les communistes ..., op. cit., p. 289.
.
Voir les remarques de M. AGULHON dans Histoire
vagabonde, Paris, 1988, p. 165, sur son affaiblissement.
.
J. GUÉHENNO, Journal des années
noires, Paris, Gallimard, 1947, p. 47
(rééd. Folio, 1973).
.
Voir notre contribution sur ce thème de la
commémoration de 1789 dans le Var dans Var,
terre des Républiques, Toulon, 1988, p. 235-244.
Elle rejoint sur le 150e anniversaire le sentiment de J.
Guéhenno que nous ne connaissions pas alors.
.
P. LABORIE, op. cit. p. 3.
.
J.-M. GUILLON, Le Var, la Guerre, la
Résistance 1939-1945, Nice, CRDP, 1984
(rééd. Toulon, CDDP, 1994) document n°4 qui se
termine par “ se dérober, c'est
trahir ”. Cet élu est Marius Mari..
.
Jean Pizan, alors maire de Cabasse et qui fut chargé de
réorganiser la colonne.
.
Notre étude dans J.-P. AZÉMA, A. PROST et J.-P.
RIOUX, Les communistes ..., op. cit., p.
289-290.
. Le Petit Provençal du 3
décembre 1939 : “ Avec Antoine Berne, courageux
reconstructeur ”.
.
J.-P. AZÉMA, A. PROST et J.-P. RIOUX , Les
communistes ... , op. cit., p.
289-291.
.
J. Sadoul est arrivé le 3 mars 1940 à Sainte-Maxime.
L'opposition de la droite locale et des autorités
l'empêchera de s'y installer définitivement. Il
écrit beaucoup et toujours pour prôner un
rapprochement franco-soviétique contre l'Allemagne (ADV,
cabinet 883 2).
.
P. LABORIE, op. cit., p. 51.
.
A. KOESTLER, La lie de la terre, Paris,
1947, rééd. de poche 1987, p. 92.
.
L. FEUCHTWANGER, Le diable en France, Paris,
Jean-Cyrille Godefroy, 1985.
.
J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit.
document n°5, lettre du préfet du 24 décembre
1939 sur l'attitude de l'administration vis-à-vis des
immigrés et du Consulat.
.
ADV, 202 936, Le Cannet : lettre du secrétaire
général de l'Office des Mutilés et
Combattants qui réclame des mesures d'urgence tant la
population est hostile aux Italiens
.
ADV, 3 Z 22 25, ordre du jour du vice-amiral d'escadre Devin.
.
Dont O. Maurel se plaint le 5 juin 1940 (ADV, 1 W 35, Bandol et,
sur le Comité de vigilance, 3 Z 4 19, notamment
rapport de police spéciale du 8 mars 1941).
.
ADV, 1 W 52, La Seyne, lettre transmise le 25 mai 1940. Pour
Cavalaire, 1 W 39, intervention de Paris du 19 avril 1940 et
lettre anonyme du 27 mai et sur Sainte-Maxime, 1 W 51.
.
P. LABORIE, op. cit. , p. 91.
.
D. PESCHANSKI, “ Le régime de Vichy a
existé ”, in Vichy 1940-1944,
quaderni e documenti inediti di Angelo Tasca,
Paris-Milan, Feltrinelli, 1986, p. 29-33.
.
J. GIRAULT, J.-M. GUILLON, R. SCHOR, Le Var de
1914 à 1944, Nice, CRDP, 1985, document 56 :
message téléphoné par la préfecture
maritime et aussi témoignage G. Havard, p. 6.
.
J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit.,
document 9. Appel publié aussi par Le
Petit Dauphinois.
.
P. LABORIE op. cit., p. 73.
.
ADBdR, Cour de Justice d'Aix, dossier 170, déposition Ma.