Le mythe, sans cesse renouvelé, de l'unité de la Résistance a caché sa fragilité. La victoire et le pouvoir que les résistants en tirent après-guerre sont minés par la division. Fallait-il que la pression d'en bas, celle de la population, et celles d'en haut, les contraintes extérieures et leurs traductions nationales, soient fortes pour que la fiction unitaire, réactivée dans l'allégresse de la Libération et face aux troupes libératrices, parvienne à se maintenir tant de mois !
Dans le Var, et en Provence en général, la Résistance au pouvoir reste principalement divisée entre le Parti communiste et le Parti socialiste. La Libération accentue même la polarisation entre ces deux forces. L'existence de mouvements de résistance autonomes n'est pas viable, aucun n'ayant la structure et la doctrine nécessaires pour résister à l'attraction des partis qui les ont bâtis. À vrai dire, seul le MLN aurait pu le faire, mais il pâtit de son hétérogénéité, de sa confusion ici avec les socialistes et surtout du repliement partisan de ceux-ci. La Résistance entre donc dans le jeu politique traditionnel, mais sa composition dans la clandestinité rendait cette évolution inévitable.
Les communistes dont la pression est forte pour un partage plus équitable du pouvoir, à leurs yeux, sont marginalisés en même temps que les institutions ou les forces armées parallèles, celles qui sortent de la clandestinité. Les socialistes s'intègrent dans les institutions officielles, en alliance avec ceux que le Parti communiste effraie, puis dans la désunion quand socialisme et gaullisme divorceront.
Le souvenir de la Résistance et de la Libération ne se commémorera pas dans l'unité. Les gardiens de l'héritage resteront divisés selon le même partage qu'au temps de la clandestinité, même si de périodiques rapprochements politiques, la dénonciation des résurgences des ennemis d'hier et la réelle confraternité de ceux qui ont combattu les mêmes ennemis dans les mêmes conditions redonnent de la substance à l'unité résistante. Cette dispersion de la mémoire n'empêche pas l'édification d'un légendaire, marqué par les épisodes de la vie politique nationale ou locale, mais de plus en plus consensuel au fil des années. Jusqu'au moment où les tabous que l'on croyait avoir solidement ancré paraissent céder et que la certitude de la pérennité cède la place à l'inquiétude, en particulier dans un département qui connaît une évolution politique aussi considérable que le Var.
L'histoire de l'héritage résistant se confond avec celle de l'après-guerre. Elle marque profondément la vie politique et culturelle d'un pays qui n'est pas vraiment remis de la fracture des années 40, d'autant qu'elle a fait rejouer des failles plus anciennes. Il n'est pas question d'en traquer toutes les traces. On se limitera donc à deux aspects. Le premier, ce sera l'héritage immédiat, c'est-à-dire la Résistance au pouvoir, avant que les élections ne donnent un caractère plus classique à la République. C'est précisément cette question du pouvoir qui nous servira de fil conducteur. Le deuxième, ce sera la mémoire de cette Résistance, sans avoir l'ambition de l'embrasser toute, surtout dans une période où les spécificités locales tendent à s'atténuer, noyées qu'elles sont par le brassage général des hommes, des images et des mots.
CHAPITRE II - LA RÉSISTANCE, DU LÉGENDAIRE
À LA PEUR DE L'OUBLI