B - LA RÉPARTITION DU POUVOIR

 

 

 Le transfert du pouvoir de fait vers un pouvoir reconnu et légal n'est pas un retour pur et simple à 1939. De nombreux problèmes d'ajustement sont à résoudre entre les cadres administratifs qui se juxtaposent. Sorti renforcé de la période, le cadre régional paraît promis à un certain essor, tandis que l'émiettement du pouvoir local qui résulte de la dernière phase de l'occupation et de la Libération pose des problèmes de normalisation. Les comités créés par la Résistance sont des structures nouvelles qui peuvent entrer en concurrence avec les institutions traditionnelles. La répartition du pouvoir dépend, en dernier ressort, de l'évolution des rapports de force, locaux et départementaux dans la commune, nationaux aux échelons supérieurs.

 

1 - La revanche du département

La région a été l'échelon de commandement déterminant pour toutes les organisations de résistance. À partir de l'été 1943, alors que la Libération est attendue sous peu, les instances des MUR ont décidé de donner plus d'importance au département dans leurs structures internes, alors que, parallèlement, on mettait les CDL sur pied. Cette départementalisation de la Résistance n'a pas réellement affaibli le pouvoir régional dans les MUR La dispersion et l'émiettement consécutifs au 6 juin lui ont porté un coup plus sérieux. L'autonomie des pouvoir locaux s'en est trouvé accrue, bien que, chez les communistes, l'interrégion (c'est-à-dire le niveau régional) soit restée le lieu de commandement par excellence. La période de la Libération consolide, comme prévu, l'échelon départemental dans la re-constitution des appareils. Mais rien n'était joué d'avance. Le commissariat régional de la République ne redonnait-il pas la supériorité à la région ?

 

a - Pouvoir régional ?

Les commissaires de la République ne sont pas les héritiers du préfet régional de Vichy, comme on l'a dit au moment de les faire disparaître, pour justifier leur mort par une origine infamante. Ils sont les continuateurs du chef régional des MUR (qui, à l'origine, devait occuper cette responsabilité1). Ceci étant, le pouvoir théoriquement illimité qui est le leur rencontre des limites politiques, administratives ou, tout simplement, matérielles qui laissent aux départements une réelle autonomie par rapport à eux. L'émergence temporaire du CDL et, surtout, l'affirmation du pouvoir préfectoral auquel le commissaire délègue ses prérogatives amoindrissent nettement l'influence régionale. La Libération sera donc la consécration du département. C'est la raison pour laquelle notre étude, après avoir débordé de ce cadre par nécessité avant la Libération, y est revenue avec elle.
On peut constater les limites du pouvoir régional en voyant combien l'influence du Commissaire régional de la République dans le Var paraît peu sensible, après les premiers jours passés à Saint-Tropez2. Le pouvoir de Raymond Aubrac est filtré par celui du préfet Sarie. Rien n'indique d'ailleurs que l'humanisme républicain, peu porté à l'indulgence vis-à-vis des communistes de celui-ci, soit entré en conflit avec les sympathies que l'on reprochera à Aubrac. Le seul point de désaccord que l'on connaisse concerne l'organisation des FRS, dont l'acte de naissance date de Saint-Tropez. La divergence ne porte pas sur cette création, mais sur la part de pouvoir ainsi laissée aux communistes. C'est le seul domaine où prévaut l'autorité régionale et pour lequel elle impose au préfet, moins porté à faire la part du feu, une décision qu'il désapprouve. Mais rien n'indique que l'on condamne à Marseille la très grande prudence dont Sarie fait preuve à l'égard des FRS de son département3. Dans le domaine de l'épuration, l'action des deux instances de pouvoir est parallèle. Remarquons enfin que les réquisitions d'entreprises, la grande originalité et le principal “ crime ” d'Aubrac, sont restées limitées à la région marseillaise et que telle entreprise - les Forges et Chantiers de la Méditerranée - réquisitionnée à Marseille ne l'est pas à La Seyne.
L'affaiblissement du pouvoir régional par rapport à la période de la clandestinité est particulièrement sensible avec l'échec du Comité régional de Libération. Présidé par le communiste Jean Cristofol, il est créé en octobre 1944. Les communistes, en particulier les communistes locaux, ont-ils cru possible, à ce moment-là, de développer l'échelon régional dans les institutions ? Peut-être. C'est alors que le CRL rédige son seul travail régional significatif, un “ projet de règlement sur l'organisation et le fonctionnement des CDL de la Région de Marseille ” qui restera partiellement lettre morte4. Le CRL n'est très vite qu'une affaire marseillaise à laquelle les délégués des départements provençaux ne participent que très épisodiquement5. Dès sa naissance, il sert surtout à faire pièce au CDL des Bouches-du-Rhône, dirigé par Juvénal. Il ne retrouvera qu'une très relative signification régionale en coordonnant la préparation des États-Généraux de juillet 19456.

Faut-il recourir à la référence révolutionnaire ? Mais comment l'éviter tant elle est présente à ce moment-là ? Le modèle jacobin qui imbibe la culture historique de la gauche dessert la région. Les fédéralistes sont encore vus comme des contre-révolutionnaires.

 

b - Pouvoir départemental sans dualité

Le rétablissement de l'État passe donc par le département. Curieux début pour une République que l'on veut “ neuve ”7. À la tête du département, le CDL et l'administration travaillent d'abord ensemble, complémentairement, avant de passer à la lutte larvée et inégale.
De la Libération à la fin de la période de transition, la stabilité prévaut à la tête du département du Var. Les résistants nommés restent en place, sauf Rainaud, le sous-préfet de Toulon, qui abandonne l'administration en juillet 1945. Sarie est entouré de Maurice Maurin, secrétaire général, personnalité résistante incontestable, et par Roger Mouret, chef de cabinet, membre du réseau Ajax. Comme ses collaborateurs, Sarie est très représentatif de ce courant qui fait du rétablissement de l'autorité de l'État la priorité8. Sa longue proclamation du 25 août éclaire bien ses options. Après avoir souligné qu' “ une tâche immense nous appelle ” qui “ embrasse amplement tout le champ de l'activité humaine ” et que “ chacun doit se montrer digne d'une aussi grande époque ”, il poursuit :

“ Pour cette grande entreprise de salut national, des disciplines collectives seront nécessaires... Une sensation d'ordre, le sentiment du respect absolu de la loi, de la personne humaine et des biens, le sérieux et l'assiduité dans le travail, le souci de la probité dans tous les domaines, la notion élevée du devoir d'entr'aide et de générosité constituent les facteurs moraux et psychologiques qui, seuls, peuvent créer le climat propre à favoriser le développement de ces disciplines collectives. Nous userons de toute l'autorité que nous confèrent les textes pour les imposer, si la nécessité s'en faisait sentir, tellement nous sommes pénétrés de leur vertu salvatrice et de leur haute signification humaine ”.

Sa première note aux directeurs des administrations publiques et aux chefs de service n'est pas moins claire :

“ Il ne vous échappera pas, Messieurs, que les Administrations publiques et le Corps des Fonctionnaires en entier auraient une grande part dans le sentiment d'estime ou de désaffection que le peuple de France témoignera à la République renaissante. Il ne doit échapper à aucun fonctionnaire ou agent des services publics la responsabilité morale qu'il encourt à un moment aussi décisif de l'histoire intérieure de notre pays. ”9

Personne ne conteste vraiment la nécessité du relèvement de l'État, même si ses initiatives sont trouvées insuffisantes sur les points sensibles du ravitaillement et de l'épuration. Nous avons vu que le CDL et le préfet ont travaillé ensemble à la réduction des micro pouvoirs, séquelles de la Libération et de la période clandestine. C'est ensemble qu'ils appellent au respect du droit des gens10. Le rôle marquant de Sarie dans la Résistance varoise et les relations de complicité nouées alors avec les membres du CDL - et Arnal, son président, tout particulièrement - le servent dans sa tâche. Investi par le pouvoir central, ce haut fonctionnaire entend remettre l'État au premier rang. Réglementant l'épuration, il affirme une position de principe, même s'il ne se fait pas d'illusion sur son efficacité immédiate11. Il n'hésite pas à remettre ses amis de la Résistance à leur place s'il estime qu'ils outrepassent désormais leur rôle. C'est ainsi qu'il condamne, dès le 10 septembre 1944, le questionnaire que le NAP veut faire remplir aux fonctionnaires12. Mais, s'il veut mettre un terme au plus tôt à l'épuration incontrôlée, il opère avec pragmatisme et tient compte, à l'occasion, des pressions de la Résistance locale. Il reconnaît être revenu “ à deux ou trois reprises ” sur une décision13. C'est parce qu'il considère que les FRS sont trop indisciplinées - traduisons : parce qu'il les estime trop dépendantes du Parti communiste - qu'il fait preuve des réticences que nous avons dites à leur égard. S'efforçant de limiter au maximum leur action il se réjouit de leur intégration dans les CRS qui, à l'évidence, le soulage d'un souci largement partagé parmi la Résistance non communiste14.
Ses relations avec le CDL évoluent avec les modifications intervenues dans sa composition et en fonction de la stratégie choisie par les communistes. Jusqu'en octobre, ses relations sont bonnes, étroites même, avec un organisme dont il a été le créateur15. Il participe à ses réunions, tandis que le CDL l'aide à prendre la situation en main. Le 7 septembre, il l'a réuni d'une façon très significative dans la salle du Conseil général et, trois jours après, il établit pour la réunion suivante un ordre du jour digne d'une assemblée délibérative16. Il y a partage du pouvoir entre eux. Il consulte le CDL sur tout et le met au courant de tout17.
L'épuration et la reconnaissance des municipalités sont laissées pour l'essentiel au CDL. Deux commissions établissent des listes de suspects18. Sa commission des municipalités joue un rôle fondamental dans la normalisation. Présidée, comme sous la clandestinité, par Custaud (représentant de la franc-maçonnerie), elle comprend un socialiste et deux communistes, dont le jeune délégué CGT, Bessone, nommé peu avant la Libération et qui assure une part importante de ce travail. Elle habilite les délégations municipales, assurant la transformation des CLL avec lesquels elles se confondent le plus souvent, poussant à l'élargissement politique, imposant aux uns comme aux autres une unité parfois difficile. Le pouvoir de fait établi à la Libération est reconnu, mais, en cas de contestation, obligé au compromis. Entre août et octobre, l'affaire est rondement menée, sans incidents graves, et dans un certain esprit d'équité19. Cependant les solutions tiennent compte davantage du rapport de force résistant que de la situation électorale d'avant-guerre. De ce fait, les socialistes ont plus à y perdre qu'à y gagner, comme on le voit à La Seyne. Les décisions ne sont pas univoques pour autant et force est de reconnaître la fréquente maigreur des services de résistance des mécontents.
Cette participation active au rétablissement de l'ordre en bonne entente avec le préfet n'empêche pas que, dès septembre, les résistants s'inquiètent de la limitation du pouvoir réel du CDL. Ils admettent difficilement le rôle principalement consultatif que les textes ont prévu dans la période post-insurrectionnelle. L'application de ces textes les surprend, bien qu'ils les connaissent depuis des mois. Dans la clandestinité, sans doute n'y a-t-on pas attaché une  importance excessive et s'est-on persuadé qu'il serait possible de les déborder ? L'orientation du CNR et celle du MLN allaient dans ce sens. À la veille de la Libération, la doctrine du MLN, rappelée par une circulaire de Copeau du 3 août, est claire : la Résistance “ peut et doit animer dans l'avenir la vie publique française ” et les CDL doivent donner au gouvernement provisoire “ sa base révolutionnaire et démocratique ”20. Les comités devaient être dans l'esprit des résistants, pas seulement communistes, l'expression par excellence du pouvoir résistant. C'est ce qu'Arnal, le président du CDL, explique dans une lettre à Aubrac, le 22 septembre :

“ Nous avions pensé dans la clandestinité que les Comités de Libération dans les premiers temps de la France Libre joueraient un rôle prépondérant.

Nous pensions pouvoir examiner toutes les questions d'intérêt public, en délibérer et proposer des solutions au pouvoir central auquel nous n'avons jamais dénié ni l'autorité, ni la compétence, ni le droit de décider en dernier ressort... La nécessité d'un organisme démocratique travaillant à côté des représentants du pouvoir central est indiscutable, et il est utile et juste que cet organisme représente les aspirations de la France nouvelle, et soit l'image de la lutte pour le maintien des libertés républicaines... En résumé, il est absolument nécessaire d'avoir une Assemblée délibérant, éclairant et appuyant l'Autorité gouvernementale, et cette assemblée ne peut être que le CDL qui a puisé dans son action passée le droit indiscutable de représenter la France Résistante. ”21

 En continuité avec la période clandestine, le CDL continue de revendiquer le pouvoir que son action dans la Résistance légitime à ses yeux. Cette affaire est l'un des points de rencontre entre les communistes et certains éléments du MLN. Elle est l'un des prétextes de la réunion des CDL de zone Sud à Avignon, le 7 et le 8 octobre, où l'on affirme que les CDL sont les seuls représentants de la volonté du pays.

La Résistance non communiste est divisée sur cette question, les socialistes au premier chef. Abandonnent les CDL ceux qui redoutent l'influence communiste, ou ceux qui n'ont pas d'intérêt particulier à ce qu'ils subsistent. Le ministre de l'Intérieur, qui est un socialiste, n'envoie-t-il pas un télégramme aux préfets, le 30 septembre, pour le mettre en garde contre la tendance croissante des CDL à se considérer comme un pouvoir administratif22 ? La crainte (pour les uns) et l'espoir (pour les autres) du rétablissement des conseils généraux permet de comprendre pourquoi la question des pouvoirs des CDL soit posée dès septembre alors que leur marginalisation n'est pas encore effective.

Elle suit peu après. La mise en place de structures judiciaires vide le pouvoir du CDL de son contenu en ce domaine (la confection de listes d'épuration) et les questions municipales sont momentanément réglées. Le CDL, sans pouvoir réel désormais, évolue vers la contestation d'autant plus facilement que les communistes passent à l'offensive et renforcent leurs positions.

Le CDL reste à 12 membres jusqu'en novembre, comme dans la clandestinité. Mais le MLN a perdu un élément (Sarie) et le PCF en a gagné un avec la nomination d'une représentante de l'Union des Femmes Françaises (UFF)23. De l'équipe de 1943, seuls subsistent Arnal, Amigas, Picoche, Lagier, Custaud et Rigon. En juin 1944, le PCF avait désigné Luciano et Bessone (CGT) à la place de Guès et Vidal. Après la Libération, le Parti socialiste remplace Henri Michel par Raoul Altieri, tandis que le MLN nomme Jean Garrus, démocrate-chrétien, à la place de Cisson et Jean Cazalbou, devenu responsable du quotidien du CDL et très proche des communistes, à la place de Fortoul, décidément marginal (et marginalisé24). De trois dans la clandestinité, les communistes et sympathisants sont passés à cinq et ne sont plus très loin de la majorité. Le CDL ne cesse alors de s'élargir à l'exemple du CNR, ouvrant ses portes à des mouvements et à des éléments au passé résistant beaucoup moins incontestable que les précédents, ce qui procède d'une volonté politique d'union nationale qui aboutit, en fin de compte, à noyer la Résistance25 : un délégué FUJP en octobre, un pour les paysans, plus un représentant supplémentaire pour le MLN et pour le FN en novembre, l'ancien député communiste Bartolini en décembre. C'est une sorte de course à la majorité entre socialistes et communistes. On est à neuf de chaque côté en décembre. Mais les communistes profitent du manque d'homogénéité de leurs concurrents, des dissensions au sein du MLN. Ils sont les porte-parole des déçus de la Libération, des partisans d'un élargissement du pouvoir des comités et des défenseurs des “ acquis ” de la Résistance.
Force constitutive du nouveau pouvoir au début, le CDL devient un organisme de contestation des autorités et de défense du patrimoine résistant. Il est intégré à la stratégie communiste. Il défend les FRS dont il se sert26 et proteste, le 2 novembre, contre la dissolution des Milices patriotiques (qui n'ont pas grande réalité dans le Var puisque absorbées par les FRS). Il allume des contre-feux en critiquant la police que l'on trouve insuffisamment épurée à partir de la fin octobre. Il pousse à la création des Gardes civiques républicaines et participe à la campagne contre la “ 5e colonne ” qui culmine par un meeting le 5 décembre27. Il encourage la formation de nouveaux CLL à l'image du CNR dont il vulgarise le programme en même temps. Il le fait reproduire et l'envoie à tous les CLL, le 7 novembre. Il popularise l'idée qu'après la lutte pour la Libération, “ la lutte pour la libération de notre pays économique, politique et morale ne fait que commencer ”28. Dans le climat de fièvre commémorative typique de l'époque, il est l'ordonnateur des cérémonies de novembre (1er et 11), et tient meeting pour la Révolution d'octobre ainsi que pour la signature urgente du traité franco-soviétique (8 novembre).

À partir de là, son évolution suit plusieurs tendances nettement perceptibles :

- le désengagement progressif des fondateurs membres du MLN: Picoche est démissionnaire en février 1945, Arnal vient de moins en moins présider, Custaud ne se déplace plus et Amigas, toujours vice-président, maintenu en tant que personnalité, est remplacé au titre du MLN.

- la perte de signification de la qualité de membre du CDL, provoquée par les nombreux changements de titulaires (deux pour le PS, trois pour le PC, trois pour les FUJP, trois pour l'UFF, deux pour le MRP, deux pour la CFTC, depuis la Libération) ou leur permutation.

- un élargissement continuel, parallèle d'ailleurs à la perte de pouvoir (et de crédibilité). On atteint 25 membres en juin 1945 (dont 10 communistes ou sympathisants).

- bien que l'équilibre paraisse à nouveau rompu en leur défaveur, les communistes sont les animateurs du CDL et ceux qui prennent le plus au sérieux son travail. Ils en assurent désormais le secrétariat et la trésorerie. Les procès-verbaux des réunions de janvier à avril 1945 permettent de se rendre compte qu'ils sont les intervenants les plus réguliers, proposant, agissant, représentant le Var au CRL pour préparer les États-Généraux, animant le front antisocialiste à la faveur de la campagne pour la liste unique29.

- une tendance à l'hétérogénéité des membres non communistes, de plus en plus divisés, non seulement par leurs étiquettes (PS, Parti radical-socialiste, MRP, CFTC, etc.), mais aussi par leur évolution politique. Les modérés comme le docteur Lagier et Amigas, ou comme les radicaux désormais représentés eux aussi voient dans le CDL un moyen de contrebalancer la domination politique des socialistes. Ils se servent des communistes autant que ceux-ci se servent d'eux.

À l'initiative des communistes, à partir de novembre 1944, le CDL essaye de redonner vie aux CLL en favorisant leur création là où il n'y en avait jamais eu ou leur reconstitution là où ils avaient disparu, en proposant la confection de cahiers de doléances pour décembre 1944 et juin 1945, en préparant des listes communes. Il se fait la caisse de résonance de leurs protestations sur l'épuration et le ravitaillement. Alors que le pouvoir central lui coupe peu à peu les vivres et les possibilités d'action (circulaire ministérielle du 26 janvier lui levant le droit d'enquête, rappel de l'interdiction de donner des instructions à l'administration, restriction de dépenses en février), le CDL essaye par là de riposter, de même lorsqu'il crée tardivement, sur des instructions du CNR datant de novembre, une commission militaire (27 février) ou lorsqu'il tente d'animer la fronde alimentaire qui perce à nouveau. Le 28 janvier, il organise une réunion de protestation sur le thème du ravitaillement et celui des transports pour dénoncer cinq mois de complaisance gouvernementale vis-à-vis des “ trusts ”.

Cette affaire survient au bout d'un mois de crise dans les relations préfet-CDL. Sur sa lancée critique, le 9 janvier, le CDL a exigé du préfet qu'il soit davantage présent à ses réunions et qu'il fasse appliquer ses propositions, notamment en laissant la liberté de perquisition aux FRS Sarie, très ému, réplique, trois jours après, en rappelant qu'il n'a aucun ordre à recevoir du CDL dont le rôle n'est que consultatif et décide de ne plus venir à ses séances. La crise atteint là son apogée. Arnal, gêné, s'abstenant plus souvent qu'à l'ordinaire de paraître aux réunions, se voit même menacé d'exclusion30. Mais ni le CDL, ni le Parti communiste n'ont les moyens et la volonté d'aller au-delà. Il y a belle lurette que l'équilibre des pouvoirs s'est inversé en faveur du pouvoir central. Après les déclarations de Thorez à Ivry, l'enterrement sans tambour ni trompette des GCR et le ralliement du Parti communiste à l'unicité de la police (donc aux CRS), le repli s'opère en bon ordre à la mi-février, les velléités contestataires s'étiolent et les relations avec Sarie prennent un tour moins agressif, ce qui ne l'empêche pas de porter un jugement très dur sur le travail du CDL “ ni sérieux, ni productif, ni cohérent ”31.

Devenu un organisme très secondaire, champ clos, mais champ mineur, des luttes partisanes, le CDL mettra du temps à mourir. Malgré les efforts des militants communistes, il n'est plus, à la fin de l'hiver 1945, qu' “ un comité de vigilance de la Résistance ”, pour reprendre une expression lucide de Cazalbou à la séance du 2 mars. L'unité devient de plus en plus difficile à sauvegarder. Les élections municipales sont une pomme de discorde décisive entre communistes et socialistes et le CDL qui a milité jusque-là pour la liste unique doit faire un constat d'échec. Il ne peut parvenir à un accord. Sur proposition du Front national, il décide d'écarter cette question de ses débats

“ afin de ne pas briser (son) homogénéité..., chaque parti et mouvement se réservant le droit de poursuivre les pourparlers hors du CDL. ”32

La tenue de ces élections, la faible mobilisation constatée pour les États-Généraux de la Renaissance et le retournement anticommuniste qu'ils ont parfois suscité (chez Arnal notamment), la suppression des indemnités auxquelles ses membres avaient droit (en juillet), la disparition des instances d'épuration locales, les élections cantonales enfin jalonnent sa fin officielle. Réduit à réclamer du papier pour ses tracts, il décide de ne plus se considérer comme un organisme officiel, le 13 octobre (à l'instar d'autres CDL) et de ne garder qu'un rôle de coordination des mouvements et partis de la Résistance. Structure de concertation à vocation commémorative, le CDL finira par éclater et disparaître en juillet 1947.

Pour caractériser ce CDL, nous n'avons pas utilisé la typologie proposée par Charles-Louis Foulon33. Elle nous paraît mal s'accorder avec une réalité fluide. Là encore, nous pensons que, seule, la dimension chronologique permet de le faire. Le CDL du Var, actif dans la Résistance, a été obéissant et soucieux d'entente avec le pouvoir d'État. Il a été aussi, à d'autres moments, indiscipliné et hostile. Il a été le reflet de l'évolution des rapports de force au sein de la Résistance locale et nationale (et non entre elle et le pouvoir, et encore moins entre la bourgeoisie et le peuple).

 

2 - La radicalisation relative du pouvoir local

Le Var paraît plus “ rouge ” que jamais au lendemain de la Libération. Toutes les indications que la police recueille sur les délégations municipales confirment qu'elles sont de “ tendances plus avancées ”34 que la population elle-même, du moins si l'on se réfère à son comportement électoral avant-guerre. Le glissement à gauche est logique avec ce que la Résistance, même “ morale ”, a été.
La situation des 151 communes du Var est évidemment très diverse. Mais, s'il y a un point commun, il se trouve dans l'ignorance générale de l'ordonnance du 21 avril 1944 et dans la confusion qui en résulte entre le Comité local de Libération et la délégation municipale. On ne sait pas bien à la Libération ce qu'est un CLL, du moins si l'on tient à le distinguer du pouvoir municipal que la Résistance doit instituer. La plupart des CLL se sont improvisés seulement à ce moment-là pour diriger la commune35. De ce fait, beaucoup de communes n'auront pas de CLL véritable. Elles auront une municipalité, c'est bien ce qui importe, et elles continueront à ne pas faire la distinction entre les deux structures36.

 

a - Les Comités locaux de Libération

Le groupe des communes sans CLL ou du moins sans CLL distinct de la délégation municipale représente 109 localités que l'on peut répartir en trois sous-groupes :

- les petites communes, isolées, perdues dans le Haut-Var et les autres régions montagneuses où rien ne change, qui ne connaissent ni modification de municipalité, ni création de CLL complémentaire (14).

- celles où CLL et délégation mise en place se confondent (51).

- celles où le CLL n'est que le prolongement annexe de la délégation (44).

Au total, 72 % des communes varoises n'ont pas connu de CLL autonome, force de proposition ou de contestation, placée aux côtés des autorités municipales, et parfois contre elles.

En fait, les CLL les plus conformes au modèle ne se trouvent que dans quelques communes. Elles ne sont pas forcément plus grandes que les autres, mais la présence d'un groupe de résistance dynamique s'y combine avec l'existence de forces politiques concurrentes, ou d'un Parti communiste actif. Autant dire que la coexistence des deux institutions qui aurait pu être très répandue au niveau local ne concerne qu'un nombre restreint de situations, et la dualité conflictuelle, moins de communes encore. Les villes n'ont pas forcément les CLL les plus vivants, ainsi à Toulon où, comme dans la clandestinité, la présence du CDL rend difficile l'existence d'un CLL capable d'initiatives37. Par contre, à La Seyne, comme dans la plupart des communes où le PCF est fort, le CLL fait preuve d'une activité importante et durable, mais en conformité avec la municipalité.
Quel est le rôle du CLL dans les communes où il en existe un “ vrai ” ? Après la phase de prise et d'organisation du pouvoir, le CLL s'occupe principalement de l'épuration et du marché noir, qu'un comité spécial ait été créé ou non. Le 29 octobre 1944, le CLL de Barjols (communiste) indique, dans son bilan, qu'il a instruit 38 affaires, procédé à 121 interrogatoires et fait trois propositions de condamnations à mort38. Le CLL de La Seyne est l'un des plus actifs et des plus tenaces, établissant des listes, relançant les autorités, constituant des dossiers, recueillant des dépositions, ordonnant des enquêtes39. La personnalité de son président et animateur, le radical-socialiste Pierre Fraysse qui a passé de longs mois dans les prisons italiennes, est pour beaucoup dans cette volonté épuratrice résolue. Ailleurs, en général, l'activité s'essouffle une fois les quelques “ collabos ” locaux internés. Très vite, les CLL fonctionnent mal, nourrissant de moins en moins les dossiers qu'examinent les commissions de triage, chargées de décider des internements. L'épuration, à ce niveau, se heurte à l'inertie de la population qui, passé le temps des émotions, est vite freinée par le poids des relations individuelles. Dès les premiers jours de la Libération, et plus encore au fur et à mesure que les semaines s’écoulent, les arrestations ordonnées par les CLL (voire les quelques exécutions sommaires) sont faites le plus souvent par des “ étrangers ” (des membres de groupes FFI de localités voisines). Par la suite, la constitution des dossiers de ceux que l'on a fait interner est rendue difficile par l'inertie des plaignants. Le CLL de La Garde en fait le constat : la population récrimine contre les lenteurs de l'épuration, mais les témoins se rétractent trop souvent quand ils sont mis en demeure de venir déposer, alors qu'il faut des preuves formelles40. Les premières libérations d'internés, au début de l'hiver, accélèrent la décomposition des CLL qui, se sentant désavoués, tentent d'organiser la protestation et sollicitent le CDL.

Pourtant, les communistes, directement et par le biais du CDL, essaient de redonner du souffle à cette institution essentielle dans leur stratégie de pression sur le pouvoir. C'est le moment où ils semblent déterminés à compléter et à consolider la hiérarchie parallèle des comités (CLL coordonnés par le CDL, lui-même sous l'autorité du CNR). À leur initiative, les CLL sont relancés à partir de novembre dans le cadre de leur offensive politique générale. Le CDL leur propose une doctrine, le programme du CNR (peu connu jusque-là) et diffuse des consignes sur leur composition et leur rôle :

“ Leur mot d'ordre doit être : Tout faire pour libérer le pays économiquement et politiquement.

Leur tâche immédiate est de mobiliser les masses pour faire participer tout le pays à l'effort de guerre et à la reconstruction. Chacun doit apporter son point de vue, ses suggestions sur les questions : des transports, main d'œuvre, remise en marche des usines, production agricole, ravitaillement, épuration, etc...

Il est donc indispensable que les CLL soient composés de tous les groupements patriotiques locaux, ainsi que des personnalités représentant l'opinion générale de la localité et dont le mérite personnel et les sentiments républicains sont indiscutables. ”41

L'offensive est menée tout particulièrement dans les localités dirigées par les socialistes. Là où les CLL n'existent pas, les communistes tentent de les susciter (ou de les ressusciter). Là où ils subsistent, ils exigent leur élargissement en conformité avec les directives, fort libérales à ce sujet, du C.N.R. et du CDL. Alors que le préfet exhorte les maires à résister aux empiètements des Comités locaux42, ils essaient d'en faire un contre-pouvoir effectif, d'où une multiplication des conflits sur fond de débat sur la “ vraie ” Résistance. La tension est souvent forte à la fin de l'année dans les localités concernées, alors que les CLL contestataires ne cessent de réclamer la possibilité de constituer des groupes d'autodéfense. Mais les seules communes où les CLL ont les moyens de leur existence sont celles où ils forment bloc avec la délégation municipale.

Sorte de comités sectionnaires visant à assurer le pouvoir résistant (ou tout simplement républicain) dans les communes et à épauler les autorités mises en place à la Libération, les CLL sont devenus, au mieux, les relais politiques d'une avant-garde souvent coupée des “ masses ” (soucieuses avant tout de retour à la “ normale ”) et, au pire, le réceptacle d'ambitions personnelles et de rivalités de clans.

Malgré les tendances à l'affaiblissement ou au repli sectaire, malgré les tensions et les déchirements, le réseau des CLL - il est vrai indissociables des délégations municipales - possède encore assez de réalité à la fin de l'année 1944 pour ne pas rendre tout à fait artificielle leur réunion en Congrès départemental, le 9 décembre, à Draguignan, en préalable à la réunion nationale de Paris43. L'assemblée a été précédée par la rédaction de cahiers de doléances, moins stéréotypés qu'il n'y paraît au premier abord. Quarante-cinq CLL ou délégations municipales ont pris la peine d'en élaborer un44. Au-delà d'une partie commune sur les questions nationales qui est la reprise pure et simple du résumé du programme du CNR distribué par le CDL45, ils expriment, dans la partie consacrée aux problèmes locaux, cette revendication de modernité dont la Résistance, dans son ensemble, est porteuse et qui, par-delà les références révolutionnaires éventuelles, la situe dans la lignée du socialisme municipal jusque dans ses préoccupations hygiénistes46. Ils montrent que les désillusions n'ont pas étouffé la volonté si caractéristique de prendre en charge les problèmes, à commencer par ceux des communes. Cependant la conjoncture prime dans les débats des 300 délégués de l'assemblée dracénoise47. L'autogestion dont les cahiers auraient pu être les supports revendicatifs n'est pas dans les préoccupations politiques du moment et les discussions portent presque uniquement sur l'épuration, la lutte contre la “ 5e colonne ” et le ravitaillement, laissant transparaître à ce sujet les ressentiments anti-paysans des populations urbaines.
Malgré les efforts du CDL (qui recense de façon optimiste 123 comités en mars 194548), les CLL traversent difficilement la période qui conduit aux élections municipales. Les tentatives pour les organiser sur un plan cantonal à l'imitation de ce qui se fait à Cuers ne donnent guère de résultats49. L'accélération des libérations d'internés entraîne celle, corrélative, des démissions et protestations. Seul celui de La Seyne parvient encore à rassembler la foule, mais c'est dans le cadre de la campagne pour les élections municipales50. Ils subissent le contrecoup des désaccords entre socialistes et communistes à propos de la liste unique pour laquelle le CDL les a fait s'engager à Draguignan51. Politiquement, la préparation de ces élections bloque et canalise leur activité. C'est ce que constatent les CLL du canton de Cuers, à dominante PCF-FN, qui décident d'entrer dans une sorte de léthargie en attendant52. Ce profil bas prend en compte les sentiments pour le moins mitigés de la population à l'égard des comités et l'attitude nouvelle du Parti communiste (qui est peut-être liée à la désaffection qu'il craint). Pour le préfet, l'affaire est entendue. C'est aux CLL que l'on doit le recul de popularité de la Résistance, tant ils auraient lassé par leur activité brouillonne :
“ Je pense que ces organismes locaux portent en grande partie la responsabilité d'une sorte de désaffection qui s'est fait jour dans la population vis-à-vis de la Résistance. Il est regrettable que les éléments purs des Mouvements de résistance, et ils sont nombreux, n'aient pu imprimer à ces Mouvements une impulsion suffisante pour les maintenir dans les traditions de droiture et d'honneur qui étaient leur raison d'être dans la clandestinité. ”53
Obnubilé par les débordements observés dans quelques communes, marqué - comme tous les acteurs politiques de l'époque - par le modèle de 1789-179254 et par son anticommunisme, Sarie exagère l'impopularité des CLL et des délégations assimilées, et, à travers eux, celle du PCF.
 La mise en place de municipalités élues et l'échec de la préparation des États-Généraux en juin-juillet 1945 condamnent les CLL qui ont survécu jusque-là, souvent artificiellement. En préalable aux États-Généraux de la Renaissance qui doivent se tenir à Paris les 13 et 14 juillet, est lancée une deuxième vague de cahiers de doléances. Malgré le nombre plus élevé des réponses55, elle n'a pas la fraîcheur de la première. La désaffection s'est accentuée. À Toulon, l'assemblée générale préparatoire du 10 juin doit être renvoyée faute de participants. La réunion générale du 24 juin est chahutée par plusieurs délégations, insatisfaites de la liste de délégués choisis pour aller à Paris et qui ont le sentiment d'être manipulées par le CDL et les communistes56. Même la façade unitaire se met à craquer. La disparition des CLL se fait, sans bruit, dans les mois qui suivent.
Peu représentatifs de la population, affaiblis par les rivalités politiques internes à la Résistance et par une fréquente activité clanique, tardivement créés en général, les CLL n'ont joué qu'un rôle limité lorsqu'ils ne se sont pas confondus avec les municipalités. Réactivés surtout par les communistes lorsqu'ils ont essayé de fonder sur eux une pyramide parallèle à l'administration, ils sont devenus moins utiles après le tournant de janvier 1945 et les élections municipales. Mais n'avaient-ils pas déjà perdu leur crédit ? Oscillant entre l'instrument de lutte partisane et le comité d'intérêt local, n'ont-ils pas assez vite été abandonné par le soutien populaire ? L'immense besoin d'unité et d'ordre (que de Gaulle et l'État incarnent), les rapides désillusions, les problèmes matériels non résolus, la disparition des FFI et de leurs avatars laissent l' “ avant-garde ”, qui fondait quelques espoirs sur eux, isolée. La Libération n'était pas pour la population ce qu'elle était pour ces idéalistes. L'envahisseur chassé, elle se réduisait pour beaucoup, même résistants, au retour rapide à l' “ abondance alimentaire ”57 et au rétablissement de la République. Maurice Agulhon l'a souligné en traitant de l'attitude des communistes à cette époque :
“ Parmi les 90 % de Français qui ont applaudi à la Libération en août 1944, combien, même dans les milieux populaires, se sentaient assez engagés par la Résistance pour envisager d'inventer à sa suite des structures entièrement nouvelles de participation politique ? Fort peu sans doute. L'enracinement de la démocratie républicaine classique dans les mœurs françaises est tel que les structures des partis (même des partis qui furent défaillants ou absents de 1940 à 1944) étaient sans doute, même en 1945, plus réellement populaire que les comités de héros inconnus. ”58

Et tous n'étaient pas composés de héros.

 

b - Les délégations municipales

Les délégations municipales les plus solides sont celles que leur activisme ne coupe pas de la population, malgré leur ancrage dans une gauche que nous savons plus affirmée.

Nous avons déjà dit la situation de fait devant laquelle se sont trouvées les autorités59. Là encore, les incitations antérieures du CNR et du MLN n'avaient pas particulièrement conduit à envisager le rétablissement des anciens conseils municipaux. Les instructions aux CDL, émanant du CNR et transmises par le Secrétariat du MLN, le 22 avril 1944, demandaient de constituer des municipalités nouvelles provisoires, composées d'un peu moins de membres que les anciennes, pour remplacer aussi bien les municipalités de Vichy que les autres “ dont le mandat est expiré ” et “ en raison des aspirations nouvelles des patriotes nées des souffrances de l'occupation et de la lutte contre l'ennemi ”. Elles prévoyaient le maintien des conseillers municipaux élus s'ils étaient patriotes. Mais la composition des municipalités devait “ matérialiser l'union des patriotes et rappeler, dans une certaine mesure, celle même des CDL ” et donc s'adapter aux conditions locales pour assurer “ une représentation qui corresponde à l'action menée pour la Libération et aux sentiments de la population ”60.
C'est donc en fonction de cette position, unanimement acceptée, que les délégations ont été formées, souvent à partir des CLL Pendant quelques semaines, perdure une situation de presque unanimité. Le cas très conflictuel de La Seyne est alors exceptionnel. Seuls quelques maires remplacés sous Vichy ou maintenus et évincés en août essayent de récupérer leur pouvoir, généralement sans y parvenir (à l'exception du radical-socialiste Evesque à Lorgues qui profite du désaccord SFIO/PCF pour s'allier avec ces derniers). Les clivages autochtones/ “ étrangers ” se répercutent rarement à ce niveau-là, à l'exception toutefois du cas révélateur du Rayol-Canadel, section de la commune de La Môle, où l'industriel Potez et ses amis sont mal acceptés61. Les problèmes sont donc limités à quelques communes et n'ont guère d'impact au-delà, dans la mesure où personne n'attise la braise. C'est ce que constate la police dans ses tournées, en septembre. Poussée à gauche certes, radicalisation par rapport aux tendances antérieures, mais des populations, dans l'ensemble, satisfaites. La commission des municipalités du CDL avalise et oblige à une certaine conformité avec l'ordonnance d'Alger en faisant ouvrir les délégations aux membres non compromis des anciens conseils municipaux, puis aux représentants des associations engendrées par le modèle CNR et généralement utilisées par les communistes pour élargir leur audience.
Couvant depuis septembre, prenant de l'ampleur au fil des jours, relancés en novembre, de sévères conflits opposent communistes et socialistes dans quelques communes au rapport de force incertain. Les uns s'appuient sur leur activité résistante, les autres sur leur influence politique antérieure. Les premiers contestent les majorités socialistes par le biais des FTP, puis par celui des CLL recréés en novembre (par exemple à Besse62). Les seconds revendiquent la direction des communes où le CLL à direction communiste s'est imposé (ainsi à Barjols ou au Muy63). Après des temps de tensions extrêmes, entre octobre et novembre, la rivalité se mue en lutte plus classique à finalité électorale après janvier 1945, à moins que d'autres problèmes (ravitaillement, épuration) ne conduisent à la démission une délégation prématurément usée ou désavouée par la population, comme à Cogolin ou au Pradet64.

Au début 1945, le bilan du renouvellement municipal entraîné par la Libération s'établit ainsi : 120 délégations municipales avalisées, donc issues de “ la ” Résistance (organisée ou non), 14 conseils municipaux évincés sous Vichy et partiellement rétablis, avec adjonction de résistants, 16 conseils municipaux maintenus (très petites communes isolées ou communes “ patriotes ” unanimes du Centre-Var). Ne reste en suspens qu'une seule commune, Le Castellet, commune éclatée en hameaux, sans forces politiques organisées et sans résistance notable (à l'exception de quelques individus).

Le pouvoir communal est donc assez différent de ce qu'il était avant-guerre. Le renouvellement des hommes s'est accompagné d'un certain renouvellement politique dont la radicalisation peut s'appréhender par plusieurs biais :

- L'évolution individuelle d'abord. Chez les élus qui prennent ou reprennent en charge les communes comme pour les résistants, le glissement se fait toujours vers la gauche. Le passage du socialisme au communisme est peu fréquent, le cas de Zunino, ancien député maire de La Garde, restant exceptionnel. Par contre, les républicains socialistes, les socialistes indépendants et les USR d'avant-guerre sont désormais tous réunis sous la même étiquette socialiste. Ce glissement n'est certes que relatif. Il ne signifie pas un changement d'attitude considérable, mais seulement que la famille socialiste s'est réunifiée sous la houlette de la SFIO à laquelle on adhère plus volontiers ou sur laquelle on s'aligne.

- La composition des équipes municipales illustre elle aussi la poussée à gauche. Laissons de côté les petites communes où les étiquettes restent incertaines (mais l'évolution sensible) pour nous en tenir aux 43 communes les plus importantes du département, chefs-lieux de canton et communes de plus de 2 000 habitants.

L'ensemble socialistes-MLN représente 36 % des conseillers municipaux (dont 28,6 % socialistes), la nébuleuse communiste 34,6 % (dont 20,7 % ouvertement PCF) et le centre gauche (socialistes toujours indépendants inclus)17 % environ. En 1939, la droite était majoritaire dans six de ces conseils municipaux, le centre gauche dans douze (dont six pour les radicaux-socialistes et quatre pour les socialistes indépendants), tandis que les communistes n'en dirigeaient qu'un seul où ils n'étaient pas majoritaires.

 


Répartition des membres de conseils ou de délégations des 43 communes (total : 609 personnes)

 
Socialiste : 174 28,6 % Indépendants, sans étiquette :215,1%
MLN : 46 7,5 % Républicains : 40 6,5 %
Total22036,1%  Francs-maçons: 2 0,3 %
 
PCF : 126 20,7 %   
FN : 35 5,7 % Radicaux-socialistes : 2 0,3 %
CGT : 31 5,1 %Républicains socialistes et Socialistes indépendants : 4 0,6 %
Paysans : 13  2,1 % Républicains de gauche : 99 16,2 %
UFF : 5 0,8 % Total: 105 17,2 %
FUJP :  1 0,1 %
Total :211 34,6 %

 

 Sur ces 609 édiles, 110 proviennent de conseils municipaux éliminés sous Vichy. Ce sont, en majorité, des socialistes (69), alors que les communistes ne sont que neuf65. Ce qui souligne dans quel sens s'est fait le renouvellement.
- L'appartenance politique des maires ou présidents de délégation est encore plus révélatrice de l'évolution induite par la Résistance et la Libération dans la mesure où ces hommes jouent un rôle déterminant dans le positionnement politique de la commune. Mais les étiquettes utilisées, encore plus diverses et plus floues qu'avant-guerre, ne peuvent être prises pour argent comptant. La statistique préfectorale qui nous sert de base contient des erreurs significatives et relativement nombreuses qu'il faut corriger66. C'est ainsi que Zunino est toujours considéré comme socialiste ou que le président de la délégation de Salernes, Henri Roques, est noté comme républicain de gauche, alors qu'il a adhéré au Parti communiste. L'appartenance au FN cache des militants ou sympathisants communistes, mais aussi, parfois, des socialistes ou, plus fréquemment, des modérés et des hommes de droite qui se sont rapprochés des communistes par fidélité à une résistance unitaire ou par hostilité aux socialistes. Le cas est exceptionnel, mais il peut arriver que tel édile socialiste comme Guérin, à Barjols, adhère à la fois au MLN et au FN, préside une délégation à majorité communiste. Autrement dit, la réalité est toujours plus floue que l'image qu'en donne un relevé aussi précis soit-il.

Cette répartition, malgré ses incertitudes, permet de souligner plusieurs traits de la radicalisation observée. La poussée communiste est significative, bien qu'elle soit amortie, dans ce tableau, par les petites communes rurales. Mais le PCF et le FN dirigent 15 des 43 chefs-lieux de canton ou localités de plus de 2 000 habitants (soit 34,8 % dont 11 à direction communiste directe). L'action des communistes dans la Résistance et l'audience reconquise et élargie dans le milieu ouvrier se traduisent par des gains appréciables en région toulonnaise (La Seyne, La Garde, La Valette) et dans les grosses bourgades du Haut-Var (Salernes, Aups, Barjols, Rians) ainsi que le long du littoral (Saint-Tropez, Sainte-Maxime, La Londe, etc.).

La réunification de la famille socialiste permet à la SFIO en particulier et au socialisme en général de conserver et même d'élargir son influence, surtout en milieu rural. La “ conquête ” de la ville de Toulon où Frank Arnal préside la délégation municipale n'est que très relative. En fait, l'audience urbaine des socialistes décroît. D'où un tassement : ils ne conservent que 22 des 24 communes importantes contrôlées auparavant par la SFIO et l'USR.

Le centre gauche est laminé, les radicaux surtout. Il a perdu la plupart des gros bourgs (Brignoles, Salernes, Aups, etc.). Ne subsistent dans cette mouvance que les minuscules villages du Var préalpin. La droite a presque disparu dans toutes ses versions, même si les étiquettes “ républicain ” et FN peuvent recouvrir quelques-uns de ses représentants, en général catholiques. On remarquera l'absence des démocrates-populaires.

 


Répartition politique des maires et présidents de délégations spéciales (après correction) 67

 
Etiquettes 1944
(sur 150 communes)
 1939
(sur 151 communes)
Socialistes divers : 84 56 % 76 50,3 %
MLN-MUR non socialistes : 3 2 %
Républicains de gauche, etc. : 16 10,6 %  28 18,5 %
Radicaux-socialistes, etc. : 3 2 % 21 13,9 %
Communistes et sympathisants : 31 20,6 %  6 3,9 %
FN non communistes : 13 8,6 %
Divers droite :        0      17 11,2 %68

 

Les mouvements de résistance ne constituent que des appoints marginaux et sans réelle autonomie, ce qui confirme le caractère très traditionnellement politique de la Résistance dans la région. Ils n'ont pas bouleversé l'équilibre politique du département. Leur disparition prochaine est inscrite dans cette faiblesse congénitale.

Radicalisation donc, mais reste à savoir quelle est sa solidité. Feu de paille résultant de la prise du pouvoir de la Libération ou ancrage plus profond ? Quel a été l'impact de la Résistance sur la vie politique ? Pour répondre à cette question, il faut réintégrer la période, exceptionnelle, qui va de la Libération aux élections municipales dans l'évolution politique communale de 1935 à 1945 pour dégager les lieux de radicalisation et les lieux de permanence, les communes où l'apport de la Résistance a été refusé et ceux où il a été accepté.

Quatre groupes de communes se dégagent69 :                          

- Premier groupe : les communes unanimes. Ce sont celles qui ne connaissent aucun changement de direction entre 1935 et 1945 (17 communes) ou seulement des changements mineurs (20 communes avec quelques changements d'hommes, soit en août 1944, soit aux élections de 1945, sans bouleversement d'orientation). Deux types de villages dans ce groupe : à côté de ceux des massifs montagneux, à l'écart des courants d'une histoire “ courte ”, concernés seulement par le temps long d'un déclin irrémédiable (19 villages), s'en trouvent d'autres, plus peuplés, dans le moyen pays, mais à l'écart des grands axes, plutôt viticoles, politiquement soudés autour d'un homme ou d'une équipe que Vichy n'a pas pu remplacer et que la Résistance a maintenu, soit qu'ils en aient été partie prenante (comme Jean Pizan à Cabasse ou Victorin Henry à Rougiers), soit qu'ils aient conservé, malgré leur abstention, la confiance de la population (le docteur Cauvin à La Roquebrussanne). Le plus souvent à majorité socialiste ou “ républicaine de gauche ”, ces communes intègrent le glissement à gauche en recourant évidemment à la liste unique en 1945.

- Deuxième groupe : les communes fidèles. Elles restent attachées à leurs options antérieures et remettent en place à la Libération la direction municipale dissoute par Vichy, amalgamée avec une résistance qu'elle a souvent aidée (39). À côté de cinq municipalités communistes de 1939 (sur six), on trouve là les points forts de l'implantation socialiste varoise : Draguignan, Le Luc, Le Muy, Les Arcs, Fréjus, etc. Ce socialisme s'est partiellement régénéré dans ou grâce à la Résistance. Il s'est imposé aux communistes, en général très minoritaires dans la population, après, parfois, des luttes très intenses (comme au Muy ou à Pierrefeu). Mais le déchirement est encore plus fréquent dans les deux groupes suivants.

- Troisième groupe : les communes radicalisées. Elles constituent le groupe le plus nombreux (59 communes). Le glissement à gauche de la Libération est confirmé en 1945. Il interrompt parfois une évolution vers la droite, ainsi à Taradeau où le maire, battu en 1935, revient en 1944 et à Sanary où les rivalités internes à la Résistance se résolvent dans un front commun contre l'ancienne municipalité radicale-socialiste démise par Vichy70. Car la radicalisation ne s'effectue pas sans que les évincés ne se défendent, surtout s'il s'agit de municipalités socialistes. En effet, si la résistance est peu marquée en cas de glissement du centre gauche vers la SFIO et ne débouche pas sur un déchirement persistant (28 communes), la situation est beaucoup plus conflictuelle lorsque passe dans la mouvance communiste une localité socialiste (11 communes) ou plus modérée (17 communes). Tout dépend du rapport de force local, mais l'influence de la Résistance est le facteur déterminant de cette évolution, car ce sont des localités où les communistes ont réussi à grouper autour d'eux des “ patriotes ” venus d'autres horizons (Saint-Tropez, Sainte-Maxime, les communes situées dans des régions de maquis).
Quatre communes font la transition avec le dernier groupe. La radicalisation se fait là par étapes selon un cheminement qui va d'une municipalité modérée à une délégation municipale à majorité socialiste-MLN désavouée par une victoire communiste aux élections de 1945 (Aups, Solliès-Pont, Rians, Besse). Ces communes, Besse surtout71, sont le théâtre d'une lutte très intense entre communistes et socialistes, lutte qui sous-tend la plupart des conflits qui caractérisent le groupe suivant.

- Quatrième groupe : les communes déchirées. Elles sont parcourues par les conflits les plus violents. Elles sortent de la période très divisées. C'est dans ce groupe que se trouvent les communes où l'équipe qui a pris le pouvoir en août 1944 est désavouée aux élections. Ce rejet, c'est le plus souvent celui de la fraction activiste (mais, en général, c’est celle qui a été réellement active dans la clandestinité ) et “ dure ” de la Résistance. Mais ce groupe ne concerne que 16 localités.

Ce sont d'abord celles où la municipalité de 1935 rétablie ou maintenue à la Libération est finalement désavouée aux élections de 1945. Deux municipalités socialistes, l'une résistante, l'autre non, (Pourcieux et Ampus) sont dans ce cas avec la municipalité communiste de Flayosc, remise à la tête de la commune par un CLL dont nous avons évoqué l'enthousiasme dérangeant.

On peut leur adjoindre les trois délégations municipales désavouées en 1945, bien que de même tendance que la municipalité élue en 1935. Mais, dans ces trois cas, il s'agit d'une revanche de l'ancien maire, écarté à la Libération, après l'avoir été sous Vichy. Pour ce faire, l'ancien socialiste Fournier, à Saint-Raphaël, et le républicain socialiste Coulet, à Cogolin, se sont alliés aux communistes72.

Dans ces communes, l'équipe de la Libération s'est coupée de la population. Le divorce est encore plus flagrant là où la délégation municipale à majorité communiste est battue en 1945 (10 communes). Localités plutôt socialistes, elles retournent à leurs options premières, refusant la radicalisation et l'activisme des résistants. La fidélité socialiste est aussi celle à “ l'ordre ” traditionnel. À Carcès, Cotignac, Pignans, les communistes locaux payent, comme à Flayosc, un certain “ gauchisme ”, tandis qu'à Montauroux, Flassans et Barjols, les élections remettent en place l'ancien maire socialiste de 1935. À Nans, la lutte des clans que ni Vichy, ni la Libération n'ont interrompue favorise le retour de la droite en 1945. Cette situation est alors tout à fait exceptionnelle.

Les élections municipales de 1945 corrigent les discordances de la Libération entre l'opinion et sa représentation. Mais les mésaventures de quelques équipes ne peuvent suffire à les faire considérer comme une étape vers un retour en arrière réactionnaire. Malgré les craintes, ce n'est pas encore la République thermidorienne, et l'on ne peut agiter, comme en 1947, la menace de Bonaparte. L'impact de la Résistance reste sensible, même si le désaveu de certaines équipes communistes et une part du vote socialiste ne vont pas précisément dans son sens. C'est, malgré tout, sur son terreau que la gauche réaffirme sa suprématie, à travers celle de ses deux grands partis et la polarisation réalisée autour d'eux.

Le mythe unitaire est l'un des facteurs qui joue en faveur des tenants de la liste unique73. Le Parti communiste consolide ses conquêtes de 1944, en contrôlant 51 communes, dont Toulon, où Bartolini est arrivé en tête, et La Seyne, en passe de devenir un fief. Bien que “ diviseurs ”, les socialistes maintiennent leurs positions, en dépit d'échecs retentissants (Toulon, La Seyne, Saint-Raphaël). Ils gardent la direction de 78 communes74. Sont-ils devenus le parti de l'ordre ? Le Parti communiste est-il devenu celui du mouvement ? La réponse serait oui dans nombre de communes rurales ou semi-rurales. Pourtant l'électorat conservateur n'est pas allé uniment vers les socialistes. Leur laïcité intransigeante, compensatoire d'un comportement politique pragmatique, a servi de repoussoir. Elle en a poussé une partie vers la coalition antifasciste menée par les communistes et composée de tous ceux pour qui il importait d'abattre la SFIO.

Avec les élections, le jeu politique prend d'autres formes. La République des partis ? Mais les hommes qui se réclament de ces partis n'ont-ils pas fait l'essentiel de la Résistance intérieure ? La Résistance n'était-ce pas aussi une lutte pour rétablir la démocratie, avec ses élections, avec son système de représentation ? N'a-t-elle pas connu des conflits partisans dès la clandestinité ? Ses comités étaient-ils autre chose que des cartels de représentants, sinon de partis, du moins de tendances ? Et ces partis ne sont-ils pas ceux que la Résistance a, malgré tout, renouvelés ?



 

1. Arch. Amigas, Secrétariat général MUR aux régions, 19 octobre 1943, précisant que les commissaires régionaux seront les chefs de région MUR. En R2, cette fonction a été longtemps réservée à Juvénal.

2. Il est à Marseille le 24 août 1944, appelé par Francis Leenhardt.

3. Nous n'avons trouvé aucune pièce à ce sujet. Nous ne savons pas si Aubrac a répondu à Sarie qui lui a exprimé le 14 octobre ses réticences à l'égard des FRS (ADV, 1 W 98).

4. Arch. Amigas, dactyl., s.d. (sans doute son premier travail fin octobre 1944), texte de trois pages plus un exposé des motifs qui en résume la philosophie (qui est celle du FN) : élargir les CDL pour leur donner le plus de représentativité possible (y compris en introduisant “ des membres représentant des groupements n'ayant pas fait effectivement de résistance active ”), mission consultative avec action particulière pour la désignation des municipalités et des conseils généraux, ainsi que sur l'épuration, donner une armature uniforme aux CDL.

5. Particularisme et difficultés de liaison ont joué, mais bien plus l'absence de volonté politique de la part du PCF. G. MADJARIAN fait erreur en affirmant que ce CRL a joué un “ rôle déterminant ” (op. cit., p. 129), alors que le seul rôle régional notable que l'on peut lui imputer est la préparation des États-Généraux de la Résistance en mai 1945.

6. D'où une prise de position qui en dit long sur la xénophobie dans le Var : son délégué au CRL souhaite qu'aucun étranger ne fasse partie de la délégation à Paris, et Cristofol est obligé d'intervenir pour combattre cette proposition (ADBR, M6 11 583, réunion du 15 mai 1945).

7. M. DEBRÉ, op. cit., p. 310.

8. L'un des reproches fait à Aubrac aurait été de s'entourer de préfets “ souvent faibles ”  (C.-L. FOULON, op. cit., p. 234). Ce n'est pas le cas de Sarie, mais il est vrai que, dans “ l'affaire ” Aubrac, on retrouve les préjugés habituels sur la région provençale.

9. Arch. Amigas, note du 30 août 1944.

10. J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 184 : Appel à la population varoise, paru dans Le Var Libre, 12 octobre 1944, rappelant que seuls le préfet et le commandement militaire “ ONT LE DROIT de faire procéder à des arrestations de personnes, à des réquisitions, ou à des perquisitions ”.

11. ADV, 1 W 9, note au colonel Lelaquet, après son arrêté du 8 septembre réglementant les arrestations et les perquisitions : “ Je ne sais si cette disposition réglementaire sera d'une quelconque efficacité ”. Les réquisitions sont réglementées le 20 septembre.

12. Arch. Amigas, lettre à Arnal, 10 septembre 1944, pour indiquer que les fonctionnaires n'ont pas à répondre à un questionnaire du NAP.

13. ADBdR, M6 11542, rapport mensuel, 16 mars 1945.

14. ADBdR, M6 11542, rapport mensuel, 16 mars 1945 : il leur reproche d'être davantage soumises au CDL (où les communistes ont développé leur influence) qu'au gouvernement.

15. À la différence de ce qui se passe dans les Alpes-Maritimes où le conflit CDL/préfet contraint Aubrac à remplacer celui-ci.

16. ADV 1W95: le 7 septembre, la discussion porte sur l'affaire Lamarque à La Seyne, le ravitaillement, les arrestations et réquisitions par les FFI. Le 12 septembre, sont examinés les FRS, les internements, le Conseil général, les Chambres d'Agriculture et de Commerce, l'épuration.

17. ADV 1W95, Note du préfet à Aubrac, 22 septembre 1944.

18. Le Var Libre, 5 septembre 1944 : une commission de sécurité qui établit des “ listes noires ” et une commission d'épuration qui prolonge le rôle du NAP.

19. J. Bessone, tém. cit., dont l'état d'esprit unitaire avait été loué ne se souvenait pas de grosses difficultés tant au CDL que localement. Hormis La Seyne, il n'y eût de problèmes, à ce moment-là, qu'à Belgentier, Puget-Ville et Solliès-Toucas.

20. AN, 72 AJ 64, circulaire “ Important – Urgent ”, Exécutif zone Sud MLN à tous militants responsables, 3 août 1944, signée Corton, afin que le mouvement perdure après la Libération : les CDL sont des représentations plus authentiques et plus démocratiques de la Nation combattante que les anciennes assemblées issues d'élections vieilles parfois de dix ans. Beaucoup de résistants pensent que le pays ne doit pas retomber dans les divisions des anciens partis “ qu'ils jugent périmés ”. Le MLN doit se transformer en mouvement politique.

21. J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 183 (extraits). On savait Aubrac sensible à cette question. N'avait-il pas déclaré au Provençal du 29 août qu'il entendait donner le maximum d'autorité aux CDL ? M. GOUBET rapporte un débat très proche à Toulouse où le CDL veut être “ une assemblée délibérante ”, La Libération dans le Midi..., op. cit., p. 131).

22. Cité par G. MADJARIAN, op. cit., p. 85.

23. Les premières titulaires sont des résistantes très actives : d'abord, la courageuse agent de liaison du PCF et du FN pendant la clandestinité, Renée Aurières, membre de la délégation municipale de Toulon, puis, en novembre Catherine Demarch.

24. Il reprochera à Aubrac de l'avoir laissé sur la touche. Il va fonder un parti d'extrême gauche non communiste, l'Union Française Collectiviste, et une association de résistants, Les Pionniers de la Résistance (ADV, 1 W 27, interception postale du 1er février 1945).

25. Rappelons que le projet de règlement des CDL, déjà cité, élaboré par le CRL, prévoyait très explicitement la chose (un “ recrutement largement compréhensif des multiples intérêts de la population ”..).

26. Une brigade FRS est au service de la commission du ravitaillement du CDL et participe à la lutte contre le marché noir

27. Motion du 29 novembre 1944, après les incidents de Pertuis, contre le gouvernement accusé de réduire les pouvoirs de la Résistance en dissolvant ses forces armées et en réduisant les pouvoirs des comités d'épuration, ce qui favorise le retour progressif des “ pro-hitlériens ”.

28. Arch. Amigas, Manifeste du CDL aux CLL

29. Arch. Amigas : interviennent surtout Rigon (FN), Bessone (CGT), Bartolini, Cazalbou et les vieux militants qui ont rejoint le CDL, Flandrin (PCF) et Roybon (CGT). Notons parmi ses membres épisodiques des résistants déjà évoqués : Orsini (PS), l'abbé Deschamps (MLN), Guilbaut (FN), Merle (PCF), Chambardon (FUJP), Léonelli (franc-maçon), Soldani (MLN), Baylon (radical-socialiste, futur maire de Toulon).

30. Arch. Amigas, séance du 30 janvier 1945 : menace d'exclusion pour ceux qui sont absents trois fois de suite sans raison valable (ce qui vise Arnal).

31. ADBdR, M6 11542, rapport mensuel 16 février 1945 : il fait une comparaison avec le CDL de la Libération, cohérent, avec des membres de valeur, faisant un travail sérieux, et son avatar qui n'a plus de cohésion, plus d'unité de vue, où les membres sont “ en général interchangeables ”. Le CDL continue de se réunir deux fois par semaine.

32. Arch. Amigas, rapport d'activité, mars 1945.

33. C-L. FOULON, “ Prise et exercice du pouvoir en province à la Libération ”, in La Libération de la France, actes du colloque de Paris, 28-31 octobre 1974, Paris, 1976.

34. C'est l'expression consacrée dans les rapports établis en septembre 1944, de même que l'adjectif “ morale ” définit une Résistance peu active et, en général, inorganisée.

35. Même constat par M. CARON-LEULLIEZ pour le Languedoc méditerranéen (“ Le personnel politique dans les villes du Languedoc méditerranéen au lendemain de la Libération ”, in La Libération dans le Midi..., op. cit., p. 302).

36. Ainsi voit-on qu'à Cavalaire, il y a encore confusion entre CLL et délégation municipale en avril 1945. Au CDL qui lui a demandé d'élargir son CLL, le maire a répondu que c'était inutile puisqu'il allait y avoir des élections et le CDL de lui faire remarquer que le CLL était une structure permanente qui continuerait après les élections et n'a donc rien à voir avec elles (arch. Amigas, lettre du CDL au président du CLL de Cavalaire, 3 avril 1945).

37. Le CLL de Toulon sera tardivement créé (fin 1944), sans doute dans la perspective des élections municipales. Il comporte 16 membres, sous la présidence du colonel Bienfait (MLN) qui demandera au bout de quelques semaines à réintégrer l'armée. Les vice-présidences sont CGT et FN, le secrétariat, PCF avec un adjoint SFIO.  

38. La Liberté du Var, 29 octobre 1944, appel à la population pour qu'elle l'aide.

39. Les archives de ce CLL et de son comité d'épuration comportent une correspondance étendue (plusieurs centaines de lettres), plusieurs dizaines de fiches dactylographiées et 48 dossiers concernant 60 personnes qui ont été inquiétées après la Libération (arch. privées). Ce CLL a une activité particulièrement longue (jusqu'en 1947) par rapport à ce qui se passe ailleurs.

40. La Liberté du Var, 11 novembre 1944, appel du CLL à venir déposer à la mairie contre “ les antifrançais, les traîtres, les collaborateurs, les mauvais étrangers ”.

41. Arch. Amigas, circulaire du CDL, Rôle des Comités locaux de Libération , dactyl. s.d. (novembre 1944). Une autre circulaire du 7 novembre leur propose de former un bureau à l'image de celui du CNR (MLN, PS, PC, CGT, FN).

42. Allocution du 24 novembre 1944 déjà citée.

43. Ce congrès est décidé par le CDL dans sa séance du 10 novembre. Une circulaire est envoyée aux CDL pour leur dire ce qu'ils doivent faire (organiser une assemblée, expliquer le programme du CNR à la population et y ajouter des revendications locales pour confectionner un cahier de doléances.

44. Ce chiffre est fondé sur ceux que conservent les archives Amigas.

45. J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 188 (Manifeste du CDL : le programme du CNR).

46. J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 189 : extrait du cahier de doléances et de voeux du Luc, où au milieu de revendications politiquement révélatrices (remise des transports à la CGT, création d'une Garde civique locale), d'autres très conjoncturelles (classement en commune urbaine, suppression du Ravitaillement général), se trouve toute une série de voeux qui alimenteront tous les programmes municipaux de l'après-guerre (adduction d'eau améliorée, tout-à-l'égout, réfection des caniveaux, lutte contre les taudis, construction et équipement scolaire, électrification des campagnes, terrain de sport, etc.) .

47. L'ordre du jour comportait une discussion sur le programme du CNR, les revendications locales et l'élection de trois délégués pour l'assemblée générale de Paris (15 au 17 décembre 1944).

48. Arch. Amigas, rapport d'activité mars 1945, manuscrit.

49. Arch. Amigas, circulaire du CDL à tous les CLL de chefs-lieux de canton, s.d., pour prendre exemple sur le CLL du canton de Cuers qui se réunit une ou deux fois par mois.

50. ADBdR, M6 11 583, motion au ministre de la Justice à la suite du grand meeting organisé le 1er mars 1945 (2 000 personnes) pour protester contre les libérations et contre les difficultés opposées aux arrestations d'étrangers. Ceux-ci, les Italiens fascistes, sont l'une des bêtes noires de P. Fraysse qui multiplie les prises de position à leur sujet (il est vrai qu'il est resté dans leurs prisons jusqu'en juin 44), non sans xénophobie.

51. Arch. Amigas : circulaire du CDL aux CLL, 1er mars 1945, leur rappelant les engagements pris en sa faveur à Draguignan le 9 décembre et à Paris.

52. Arch. Amigas, compte rendu, 4 février 1945. Ces CLL estiment, par ailleurs, que les libérations d'internés montrent la vanité des efforts patriotiques et les ridiculisent.

53. ADBdR, M6 11542, rapport mensuel, 16 mars 1945 où il écrit également que les CLL sont “ assez impopulaires ” pour avoir “ exercé en marge des pouvoirs publics une véritable dictature de clocher ”. Il notait déjà ce divorce dans son rapport du 16 février.

54. Il craint encore en juillet que les CLL, pourtant moribonds, jouent encore le rôle de clubs irresponsables quand la Constituante, celle à venir, se réunira (idem, 16 juillet 1945).

55. Au total, 91 cahiers conservés dans les archives Amigas, mais beaucoup proviennent de syndicats et de municipalités. L'ensemble est plus stéréotypé et, de toute façon, constitue une répétition sans spontanéité.

56. ADV, 3 Z 4 14, Rens. gén., 25, 27 et 30 juin 1945. Cette réunion se tient à Toulon avec 800 délégués environs, mais peu de public. La liste proposée par le CDL (19 noms) n'est pas amendable, d'où la colère des délégués, surtout socialistes. Ceux d'Hyères et les environs quittent la salle, car ils la trouvent géographiquement inéquitable.

57. ADV, 1 W 28, rapport du contrôle postal, 30 août 1943 où l'on indique déjà la “ croyance à peu près générale que le retrait des troupes allemandes... provoquerait, par la cessation des prélèvements sur le garde-manger national, une ère d'abondance alimentaire ”.

58. M. AGULHON, “ Les communistes et la Libération ” in La Libération de la France, op. cit., p. 84-85

59. L'ordonnance du 21 avril 1944 a d'ailleurs été remaniée le 12 août pour faire face à cette situation. M. CARON-LEULIEZ, in La Libération du Midi ..., op. cit., p. 298, fait remarquer que ce remaniement n'a été connu que le 5 septembre dans le Languedoc. Il prévoyait la représentation de la Résistance soit par les anciens élus, soit par des résistants cooptés.

60. Arch. Amigas. Ces instructions expliquent que le renouvellement s'impose d'autant plus que les problèmes locaux “ seront plus facilement résolus par la désignation de municipalités nouvelles que par le rétablissement des anciennes assemblées avec épuration ”.

61. ADV, 1 W 45 : cette section littorale (Le Rayol-Le Canadel-Pramousquier) a vu se constituer un groupe MLN à la Libération (inexistant pendant la clandestinité) à l'instigation de l'adjoint spécial, épicier-cafetier-restaurateur, seul commerçant du secteur, non résistant, soupçonné de trafic, qui a  formé ensuite un CLL de quatre membres avec ses amis MLN qui sont ses clients, riches résidents dont Henry Potez et son bras droit Abel Chirac, qui n'ont pas eu une attitude indigne, mais qui sont socialement trop éloignés de la population (Rens. gén., 11 octobre 1944 : “ les habitants n'osant pas s'attaquer ouvertement à ces personnalités puissantes par leur savoir, leur fortune et leurs moyens, mèneraient contre ceux-ci une lutte en sourdine parce que se croyant lésés du fait de ce qu'ils appellent leur infériorité. À ce propos, ils disent entre eux qu'ils subissent une dictature ”). Le préfet dissout ce comité d'administrateurs autoproclamés, au grand dam des sanctionnés.  

62. À Besse, le CDL impose une délégation à direction communiste qui remplace celle que les socialistes avaient formée, d'où un conflit interminable qui se résout seulement à l'approche des élections municipales.

63. Barjols : délégation à majorité communiste, mais présidée par l'ancien maire et conseiller général socialiste Guérin qui soutient ses amis de la SFIO dans leur contestation. Au Muy, le conflit oppose l'inamovible Sénès (SFIO) que le préfet impose le 28 novembre et le communiste Mélan, chef des FFI et président du CLL, qui avait formé une délégation le 31 octobre, le tout sur fond de règlements de compte du contentieux né de l'attitude équivoque de Sénès pendant la Résistance.

64. Cogolin : délégation municipale socialiste démissionnaire en février 1945, car combattue par l'ancien maire, républicain, démis par Vichy, dont la population veut le retour et qui a fait alliance avec les communistes. Le Pradet : situation embrouillée à la Libération où un ancien adjoint a tenté de s'imposer, avant d'être remplacé par une délégation municipale à direction socialiste dont le président démissionne en février (ainsi que de la SFIO et du CLL).

65. Étiquette des autres conseillers municipaux : 20 républicains de gauche et 3 indépendants.

66. ADV, 1 W 33, voir tableau en annexe.

67. Cartes en annexe.

68. Explication des regroupements et corrections :

- Les socialistes divers recouvrent, en 1944, 55 socialistes sans autre précision (dont de nombreux membres de la SFIO), 19 SFIO, 4 MUR-MLN et 6 républicains en fait socialistes, et, en 1939, 34 SFIO, 19 socialistes (dont des membres de la SFIO), 18 USR et ex-Socialistes de France, 5 socialistes indépendants.

- Les républicains de gauche etc. recouvrent, en 1944, 13 républicains de gauche, 3 républicains et, en 1939, 17 républicains de gauche, 11 républicains socialistes.

- Les radicaux-socialistes, etc. comprennent quelques radicaux indépendants.

- Les communistes et sympathisants recouvrent, en 1944, cinq FN et un CGT

- Le FN non communistes recouvre, en 1944, trois socialistes, deux républicains de gauche, un républicain, un radical-socialiste, un royaliste.

69. Voir liste en annexe.

70. Municipalité de l'ancien député radical-socialiste Coreil, écartée à la Libération et battue en 1945, mais la tête de file de la liste antifasciste passera au MRP.

71. Conflit entre le CLL, dirigé par les communistes auquel le CDL accorde l'investiture, et les socialistes qui avaient formé une délégation municipale. Le conflit s'étend de la Libération jusqu'en février 1945, date à laquelle les socialistes acceptent de pourvoir aux trois sièges qui leur ont été accordés dans la délégation.

72. Ancien député communiste, passé à la SFIO, Me Fournier a été critiqué par les socialistes pour sa passivité pendant la guerre. Le très populaire Sigismond Coulet était anticommuniste en 1935. La troisième commune de ce type est Belgentier dont le maire maintenu sous Vichy est réélu en 1945.

73. Liste UPRA : union patriotique républicaine antifasciste.

74. Le centre gauche en contrôle 13 (radicaux-socialistes : cinq, républicains socialistes : six, républicains de gauche : deux), les démocrates-chrétiens deux et les divers républicains huit (quatre sans étiquette, deux indépendants, deux républicains). Parmi les 51 communes contrôlées par le PCF, 15 ont une direction FN. Du côté socialiste, un seul maire MLN et trois socialistes indépendants.