Le mythe, sans cesse renouvelé, de l'unité de la Résistance a caché sa fragilité. La victoire et le pouvoir que les résistants en tirent après-guerre sont minés par la division. Fallait-il que la pression d'en bas, celle de la population, et celles d'en haut, les contraintes extérieures et leurs traductions nationales, soient fortes pour que la fiction unitaire, réactivée dans l'allégresse de la Libération et face aux troupes libératrices, parvienne à se maintenir tant de mois !
Dans le Var, et en Provence en général, la Résistance au pouvoir reste principalement divisée entre le Parti communiste et le Parti socialiste. La Libération accentue même la polarisation entre ces deux forces. L'existence de mouvements de résistance autonomes n'est pas viable, aucun n'ayant la structure et la doctrine nécessaires pour résister à l'attraction des partis qui les ont bâtis. À vrai dire, seul le MLN aurait pu le faire, mais il pâtit de son hétérogénéité, de sa confusion ici avec les socialistes et surtout du repliement partisan de ceux-ci. La Résistance entre donc dans le jeu politique traditionnel, mais sa composition dans la clandestinité rendait cette évolution inévitable.
Les communistes dont la pression est forte pour un partage plus équitable du pouvoir, à leurs yeux, sont marginalisés en même temps que les institutions ou les forces armées parallèles, celles qui sortent de la clandestinité. Les socialistes s'intègrent dans les institutions officielles, en alliance avec ceux que le Parti communiste effraie, puis dans la désunion quand socialisme et gaullisme divorceront.
Le souvenir de la Résistance et de la Libération ne se commémorera pas dans l'unité. Les gardiens de l'héritage resteront divisés selon le même partage qu'au temps de la clandestinité, même si de périodiques rapprochements politiques, la dénonciation des résurgences des ennemis d'hier et la réelle confraternité de ceux qui ont combattu les mêmes ennemis dans les mêmes conditions redonnent de la substance à l'unité résistante. Cette dispersion de la mémoire n'empêche pas l'édification d'un légendaire, marqué par les épisodes de la vie politique nationale ou locale, mais de plus en plus consensuel au fil des années. Jusqu'au moment où les tabous que l'on croyait avoir solidement ancré paraissent céder et que la certitude de la pérennité cède la place à l'inquiétude, en particulier dans un département qui connaît une évolution politique aussi considérable que le Var.
L'histoire de l'héritage résistant se confond avec celle de l'après-guerre. Elle marque profondément la vie politique et culturelle d'un pays qui n'est pas vraiment remis de la fracture des années 40, d'autant qu'elle a fait rejouer des failles plus anciennes. Il n'est pas question d'en traquer toutes les traces. On se limitera donc à deux aspects. Le premier, ce sera l'héritage immédiat, c'est-à-dire la Résistance au pouvoir, avant que les élections ne donnent un caractère plus classique à la République. C'est précisément cette question du pouvoir qui nous servira de fil conducteur. Le deuxième, ce sera la mémoire de cette Résistance, sans avoir l'ambition de l'embrasser toute, surtout dans une période où les spécificités locales tendent à s'atténuer, noyées qu'elles sont par le brassage général des hommes, des images et des mots.
Le “ pouvoir résistant ” dure jusqu'au moment où les élections prennent le relais de la cooptation qui a accompagné la Libération. Non pas que les hommes de la Résistance perdent forcément le pouvoir avec elles. Ils le garderont souvent longtemps après, malgré les désillusions, les procès d'intention et le sentiment d'un retour “ vichyste ” dans les années cinquante. Mais, avec les élections, le rétablissement d'une démocratie élective vide de leur substance les institutions résistantes et condamne à la disparition les mouvements qui survivent.
Il est un peu trop facile d'opposer les institutions de la Résistance, symboles d'une légitimité résistante, “ populaire ” et révolutionnaire, à la restauration de l'État “ bourgeois ”. Ce serait oublier que les concepteurs et les acteurs de la transformation sont tous les mouvements et partis de la Résistance et qu'ils bénéficient d'un large soutien dans la population. Les institutions et les mouvements de résistance servent les desseins stratégiques des ambitions (souvent légitimes) des personnes et des partis. Ils ne représentent pas un contre-pouvoir. Il n'y a pas de lutte entre l'État (“ bourgeois ”, voire gangrené par Vichy) et les créations de la Résistance. Il y a lutte entre des résistants qui ont des conceptions différentes de la politique à mener.
Les conflits ne sont que la prolongation de ceux de la clandestinité. Il n'y a pas de coupure, sinon dans le mythe, entre une période “ pure ”, celle du combat clandestin, et celle, “ impure ”, de la politique. Les luttes internes d'après août 1944 ne sont pas de nature différente de celles d'avant. La continuité est complète. La période de la Libération et de l'immédiate après Libération s'inscrit dans le même processus dynamique qui marque le développement de la Résistance depuis ses débuts. Le contrôle de l'administration, de l'armée, de la police, celui des institutions cooptées est, comme avant, l'enjeu principal de la partie de bras de fer que se livrent les forces et les hommes issus de la Résistance.
Le champ de recherche local a cet avantage qu'il permet plus facilement de débusquer le mythe et de donner à la réalité toute sa complexité. Rien n'est très simple, et encore moins schématique, dans les mois qui suivent la Libération, caractérisés qu'ils sont par l'importance des facteurs politiques locaux et la relative autonomie conservée à ce niveau-là. De cette vue critique, l'histoire du “ pouvoir résistant ” n'en sort pas diminuée pour autant, surtout si l'on ajoute qu'il s'agit d'un de ces moments rares, révolutionnaires, où la forte politisation entraîne une participation beaucoup plus importante qu'à l'ordinaire à la vie politique.
- celui des “ vrais ” résistants, qui sous-entend que la Résistance est gangrenée par les opportunistes, les tard venus, les “ résistants de la dernière heure ”.
- celui qui laisse entendre que la Résistance n'aurait pas vraiment pris le pouvoir ou qu'elle l'aurait immédiatement perdu au profit de forces vichystes non épurées.
L'analyse d'une situation locale peut permettre de répondre précisément à la question de savoir qui donc a pris le pouvoir à la Libération.
1 - Les candidats au pouvoir
Le deuxième intervenant possible, l'armée alliée, ne joue aucun rôle, même si l’on a eu cette tentation avant le débarquement. Celui des officiers français qui les accompagnent ou qui participent à l'armée de Lattre, est ponctuel et passager. Il n'y a de leur part aucun effort réel pour imposer un pouvoir politique quelconque, au-delà d'interventions inefficaces si la Résistance locale en décide autrement. Les officiers de sécurité interviennent dans le domaine de l'épuration en faisant parfois relâcher des “ collaborateurs ” pour lesquels les griefs paraissent légers. Ils ne font que passer. Là où les armées séjournent davantage (golfe de Saint-Tropez, Hyères, Fréjus), les conflits ne sont que très classiques, nés des trafics divers que les dépôts militaires alimentent ou des turbulences de la soldatesque (en particulier, américaine).
La Résistance intérieure s'est imposée au niveau communal, sans tenir particulièrement compte de l'ordonnance d'Alger, du 21 avril 1944, sur le remplacement des municipalités, dont le MLN avait pourtant reçu un exemplaire, au moins, bien avant la Libération. Les autorités nouvelles cherchent à ajuster cette réalité et le texte dont Aubrac remet un exemplaire au préfet par intérim, le 20 août. Son adaptation à la situation locale est l'un des problèmes les plus urgents à résoudre pour le nouveau pouvoir afin de limiter les conflits prévisibles. Mais le préfet par intérim, Vidal, qui a entériné le pouvoir de fait laisse à Sarie une note à ce sujet dans laquelle il souligne que le rétablissement des conseils municipaux élus avant le 1er septembre 1939, prévu par l'ordonnance “ soulève de graves inconvénients ”, car :
“ 1°- Les comités de libération sont les artisans de la résistance et de la libération. Dans la clandestinité, ils ont assumé tous les risques de la lutte contre l'envahisseur, les anciens conseils municipaux n'ont rien fait, et il serait anormal et injuste que l'administration des communes leur soit confiée.
2°- Les anciens conseils municipaux ne représentent plus l'opinion. ”
Les conflits n'opposent pas et n'opposeront pas les résidus de Vichy, les Anglo-Saxons, les gaullistes et les giraudistes de l'extérieur aux résistants de l'intérieur. Ils opposeront d'abord ceux-ci entre eux, dans le prolongement des conflits de la clandestinité, selon le clivage majeur entre communistes et socialistes, car la Libération ne fige pas la situation politique. Elle n'est qu'un moment d'une évolution, un moment privilégié puisque les considérations unitaires ont paru l'emporter.
La deuxième question à résoudre est celle des étapes de la régularisation du pouvoir de fait établi à la Libération et des conflits que fait naître sa répartition. Question importante dans la mesure où sa réponse permet de montrer que les choses ne sont pas aussi simples qu'il n'y paraît et qu'elles doivent être envisagées, comme toujours, dans leur dimension temporelle. Aussi la traiterons-nous dans son ensemble, quitte à faire quelques répétitions par rapport à ce que nous avons déjà traité ou à revenir sur certains points que nous allons esquisser.
À la quasi-unanimité des premiers jours, fait suite une relance des conflits internes, cherchant à remettre en cause le partage du pouvoir dans les communes et aux niveaux supérieurs. Ils scandent l'histoire politique des semaines qui suivent la Libération. Sur le plan qui nous occupe, ils répercutent l'évolution des rapports de force locaux et régionaux, en même temps que les stratégies politiques nationales.
a - Le pouvoir de fait (mi-août-mi-septembre 1944)
C'est l'époque qui commence avec la Libération et dont nous avons déjà décrit certains traits, celle de l'enthousiasme patriotique, celle du pouvoir éparpillé dans les cellules communales qui chacune s'autogérent par nécessité. “ Révolution ” communale tranquille presque partout - là où les clivages d'avant-guerre et de la Résistance n'avaient pas porté les nerfs à vif - elle peut être brutale dans les localités où le fossé, déjà profond sous la Troisième République, s'est encore creusé avec la chasse aux communistes en 1939-41 et avec la mise sur pied d'un groupe de résistance prêt à instaurer un ordre révolutionnaire. Cette situation conflictuelle exacerbée se rencontre surtout là où la Résistance communiste est forte, mais pas partout où le Parti communiste dirige la Résistance, car les conditions indispensables sont l'existence préalable de tensions extrêmes et la présence d'hommes déterminés.
“ Si l'appel lancé aux producteurs pour porter le maximum de lait ne produit pas son effet, je prendrai les décisions suivantes : une réquisition des vaches laitières du pays afin de faire une seule laiterie avec un seul responsable, réquisition du fourrage. Les frais seraient payés d'après le pourcentage de lait fourni par les vaches. En, effet, certains producteurs sont trop éloignés du village et ne délivrent pas leur lait ; d'autres n'en portent qu'une partie.
À Flayosc, le Comité de Libération, à majorité communiste, est l'un des plus révolutionnaire. Il ouvre une souscription pour les “ Défenseurs du Droit et de la Patrie ” et fait un gros effort de distribution de vivres. Le tract qu'il distribue pour défendre le travail accompli face aux inévitables accusations malveillantes (que l'on retrouve partout où le pouvoir local manipule argent et vivres) rend bien compte de l'atmosphère d'exaltation révolutionnaire et de messianisme qui existe dans quelques communes, où le communisme s'est greffé sur une tradition quarante-huitarde toujours vivace :
b - La reconstitution des appareils (septembre-octobre 1944)
Le nouveau pouvoir s'appuie sur les mouvements de résistance, MLN et FN, qui, concurremment, essaient de rallier le maximum d'adhérents sans chercher à savoir à quelles heures ils ont fait de la résistance. Il s'appuie aussi sur les partis, socialiste et communiste, et sur la CGT, en train de reconstituer leurs structures. Cette reconstruction ressemble beaucoup à une restauration avec le retour des survivants des directions d'avant-guerre. La prise de pouvoir a modifié les équilibres politiques locaux, mais la reconstitution des partis et le développement des mouvements issus de la Résistance rendent plus homogènes des situations locales très diverses.
“ dont l'inquiétude va toujours s'apaisant demande qu'il soit enfin mis un terme à un désordre dont l'image la plus blessante est pour elle l'immixion (sic) de gens non qualifiés dans la direction et l'accomplissement d'un service public et le fait de circuler armé jusqu'aux dents sans motif apparent. ”35
Mais les problèmes, un moment relativisés par l'unanimisme, subsistent et ne tardent pas à aiguiser les tensions. La population qui désire le rétablissement le plus rapide possible d'une situation normale sur le plan politique et matériel est cependant prompte à s'emballer et à récriminer. Elle ne suit pas forcément ceux qui désirent la transformation des structures économiques du pays, mais est prête à le faire pour réclamer l'épuration ou un meilleur ravitaillement. Les plus politiques parmi les résistants se divisent entre ceux qui veulent la transformation par l'État et ceux qui aspirent à la transformation de l'État. Ces derniers, communistes et FTP, mais aussi des socialistes, des résistants de base investis de responsabilités à la Libération, commencent à manifester leur déception et à se sentir marginalisés. De la réintégration de la justice et du ravitaillement dans des circuits plus normaux naît le sentiment d'une dépossession et, déjà, les CLL se mettent à protester contre les lenteurs de l'épuration. C'est sur ces fractures que vont s'appuyer les luttes qui s'annoncent.
c - La tension sans la rupture (novembre 1944-février 1945)
Il n'y a pas de dualité des pouvoirs jusqu'alors. Le pouvoir de fait de la Libération s'est intégré sans grande difficulté dans le nouvel ordre. Le pouvoir résistant s'exprime à la fois par l'administration renouvelée à la tête et par les institutions de la Résistance. On se rapproche d'une situation de double pouvoir lorsque les relations se durcissent entre composantes de la Résistance, alors que se défont, d'une part, l'équilibre des pouvoirs né de la Libération et, d'autre part, la “ divine surprise ” de l'unité alors ressoudée. Mais il est trop tard pour qu'un double pouvoir effectif puisse s'instaurer.
Déjà, en octobre, plusieurs événements annonçaient cette évolution :
- La création à Marseille d'un Comité régional de la Libération promis à un avenir médiocre tant à cause des particularismes départementaux que des réticences inavouées des socialistes face à un organisme qui apparaît surtout comme un moyen pour les communistes de contourner la majorité socialiste-MLN du CDL des Bouches-du-Rhône.
d - Le retour devant les électeurs
La dernière période court jusqu'à l'automne 1945, dominée par les échéances électorales et le rétablissement d'une démocratie plus classique. Les institutions de la Résistance et les mouvements n'ont plus d'initiatives politiques et ne sont plus que des “ courroies de transmission ”. Prévalent donc les relations entre partis. Depuis l'automne 1944, le FN préconise la liste unique aux municipales en s'appuyant sur les sentiments ordinaires et toujours unitaires de la population et de la base résistante. Le MLN varois qui a beaucoup grossi, lui aussi, depuis la Libération, ne s'aligne d'ailleurs que difficilement sur les positions socialistes. Il est favorable à la fusion avec le FN et entre en crise après le congrès de Paris qui prend la décision inverse. Crise interne et crise des relations avec la SFIO (sur fond de relance du duel Arnal/Risterrucci pour la mairie de Toulon) se résoudront après l'échec des listes MLN aux élections municipales. Il n'y a plus d'espace politique pour les mouvements.
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Entre la Libération et le moment où le pays se dote de dirigeants élus, l'on assiste à un retour progressif à la normalité politique. Le pouvoir ne glisse pas des mains de “ la ” Résistance, sauf à considérer qu'il y en a une fausse et une vraie. Les résistants qui s'en emparent en août le conservent à tous les échelons jusqu'aux élections. Personne ne les en dépossède. Unis grâce à la Libération, ils le restent, au moins en façade, après. Ils admettent dans leur ensemble la prééminence de l'appareil d'État. Toutes les composantes de la Résistance participent à la coordination, à la rationalisation et à la centralisation, mises en œuvre le plus rapidement possible. Chacun coopère à la résorption des poches d'illégalité.
Les conflits qui surgissent très vite se situent en continuité avec ceux que la Résistance connaissait dans la clandestinité. Ce sont des conflits internes, politiques, avec, en premier lieu, celui qui oppose communistes et socialistes, soit directement, soit par institutions ou mouvements de résistance interposés. Sur ce conflit fondamental, se greffent d'autres problèmes liés aux contradictions qui parcourent les principales forces au pouvoir, au jeu des forces sociales ou politiques secondaires, aux rapports de la population et de ceux qui la dirigent, aux relations entre les divers niveaux de responsabilité. Il est donc nécessaire, après ce survol chronologique, d'entrer dans le détail du partage de ce pouvoir résistant.
1. Nous pensons bien entendu aux longues carrières politiques de Gaston Defferre, Edouard Soldani (président du Conseil général du Var jusqu'en 1985), Jean Garcin (président de celui du Vaucluse entre 1970 et 1990), Louis Philibert (son homologue des Bouches-du-Rhône de 1967 à 1990), etc.
2. J.-P. AZÉMA, op. cit., p. 358.
3. D'où des débats passionnés et incessants sur la date du début de la Résistance. In La Libération dans le Midi..., op. cit., p. 13, P. LABORIE, dans sa préface, insiste sur le climat de mythification qui entoure la Libération.
4. C-H. FOULON, Le pouvoir en province à la Libération. Les commissaires de la République 1943-1946, Paris, 1975. L'analyse très “ basiste ” de G. MADJARIAN, Conflits, pouvoirs et société à la Libération, Paris, 1980, porte surtout sur les conflits entre les deux réseaux de pouvoir, celui de la Résistance intérieure et celui de la Résistance extérieure, mais elle pêche par dogmatisme.
5. Louis Baudoin, entrepreneur, franc-maçon, préside la Chambre de Commerce, le syndicaliste socialiste, André Bouis, celle d'Agriculture et le communiste Léon Pothier, celle des Métiers. La profession agricole était restée aux mains des socialistes sous Vichy.
6. ADV, 1 W 48, Rens. gén., 5 septembre 1944 : la délégation et une trentaine d'habitants ont essayé de résister à la prise de possession de la mairie par le maire, communiste, éliminé en 1940. Le curé a essayé, en vain, de prôner la réconciliation. Les partisans de la délégation spéciale ont manifesté dans la rue.
7. ADV, 1 W 36, Belgentier, où la municipalité Arnaud offre l'un des rares cas de pouvoir patronal dans le département, Arnaud étant aussi le patron tanneur du village. L'affaire est aggravée par le conflit qui oppose la délégation résistante et un groupe FFI (à majorité “ étranger ”, c'est-à-dire toulonnais) particulièrement indocile, qui excède la population par sa désinvolture, le favoritisme des distributions de vivres, les prix fantaisistes pratiqués, les dettes laissées. D'où les regrets d'autant plus vifs de la population (lettre du président de la délégation municipale au préfet 17 octobre 1944).
8. M. DEBRÉ, op. cit., p. 325.
9. ADV, 1 W 33, Note à M. le préfet. Situation municipale, dactyl., s.d.
10. J.-P. SCOT (Cahiers d'histoire de l'Institut Maurice Thorez n°8-9 1974, “ Les pouvoirs d'état et l'action des communistes pour “ la démocratie agissante ” août 1944-juillet 1945 ”) propose une chronologie que nous rejoignons en partie, avec des perspectives et un vocabulaire différents : 1er stade août-novembre 1944 (conflit secondaire interne entre autorités et majorité de la Résistance, mise en place des instruments politico-militaires du pouvoir), 2e stade novembre 1944-janvier 1945 (évolution des divergences du politico-militaire au politico-institutionnel), 3e stade février-juillet 1945 (défense de l'union de la Résistance et recherche de la démocratisation du pouvoir par des alliances politiques et la mise en avant du programme du CNR).
11. D'après le relevé que nous avons fait et que nous estimons très proche de la réalité. Elles se décomposent ainsi : 15 pendant la Libération, 24 jusqu'à la mi-septembre et 8 après, concernant le territoire de 17 communes (dont 11 à Toulon).
12. On le suppose alors responsable de l'arrestation de son secrétaire de mairie, fusillé au Bessillon le 27 juillet 1944. La mort, ce jour-là, de 11 otages et de 8 maquisards a créé un tel état de tension que Carmagnolle a été, en quelque sorte, une victime expiatoire. Son exécution a eu lieu le 28 septembre. Interpellé et mené à Brignoles, il avait été libéré peu après. Les victimes tourvaines ont été exécutées le 14 septembre.
13. ADV, 1 W 39, Cotignac, Pol. mobile, 23 mars 1945 : 6 Italiens arrêtés. À Solliès-Pont, 17 Italiens déblaient les rues avec quelques SOL, laissés en liberté (1 W 53).
14. Dans assez peu de communes à en juger par la rareté des mentions que nous avons pu retrouver dans les documents de l'époque.
15. Ainsi à Draguignan où la section du PCF diffuse deux tracts, le 29 août, “ A la population dracénoise ” (“ Des femmes ont été tondues. Il en aurait fallu beaucoup plus ” et pas que des “ coucheuses ”"... “ Pas de fausse révolution dont le désir est déjà de saboter l'œuvre de résurrection ”), et le 14 septembre, “ Alerte ! ” (hostilité à une épuration insuffisante et “ poudre aux yeux... Faudra-t-il recourir à des solutions extrêmes pour nettoyer le pays ? ”).
16. ADV, dossier sans cote, Commissariat spécial de Draguignan, 9 septembre 1944.
17. ADV, 1 W 95, Gend., 25 septembre 1944 : le ravitaillement est le problème le plus ardu. La ration de pain varie de 150 à 300 grammes, de même la viande.
18. ADV, 1 W 95, enquête de gendarmerie (plusieurs dépositions), 7 novembre 1944.
19. L'étonnement sera aussi grand que la colère quand, plusieurs semaines après, les administrations militaires et fiscales demanderont des comptes pour les chevaux abattus, les stocks vendus ou distribués qui ont servi à assurer la subsistance de la population.
20. Arch. privées, rapport du 27 août 1944. Par la suite, Pagès, passé à Draguignan, supervise les initiatives prises par les groupes FTP locaux et contribue à les unifier (sachant qu'à Flayosc, le responsable échange de l'essence contre des denrées, il ordonne de porter cette essence à Draguignan, etc.). Autre exemple dans le rapport du COR déjà cité sur les 39 mairies occupées où les FTP “ ont organisé la vie économique ” : contrôle du lait pour le faire échapper au marché noir, augmentation de la ration de pain, distribution de viande, baisse des prix des fruits et légumes, etc.
21. Tract “ Honneur aux camarades défenseurs du droit et de la Patrie ! ”, par Le Comité de Libération, imprimé (ADV, dossier non coté, commissariat spécial de Draguignan, 9 septembre 1944).
22. Un exemple en 1882 in Y. RINAUDO, Les paysans du Var fin XIXème s. - début XXème s., Lille, 1982, t. 2, p. 615 : le préfet se plaint du tempérament et des “ habitudes d'esprit des populations de ce département, fortement imbues d'idées d'émancipation et d'autonomie ” et des conseils municipaux “ qui se croient armés du pouvoir souverain de tout diriger et tout régenter dans leur commune... ”
23. Ainsi à Solliès-Pont où 27 FFI-FTP se sont engagés et où il n'en reste plus que cinq ou six dans la localité (ADV, 1 W 53, délibération du Comité de Libération Nationale).
24. ADV, 1 W 95, Rens. gén., 14 septembre : le comité, composé de résistants de toutes tendances, comprend 3 sections : arrestations, révision des arrestations sans chef d'accusation et révision des décisions. Le substitut du procureur de la République Croizille, résistant, sert de conseiller juridique. Bilan de l'action du comité in 1 W 10, Rens. gén., 27 octobre 1944.
25. Arrêté n°714. La liste des détenus du Var et des Basses-Alpes est publiée au Bulletin officiel du commissariat régional de la République à Marseille n° spécial, 16 décembre 1944
26. Raphaël Resplandin, franc-maçon, de tendance radicale, a adhéré aux MUR, puis au FN pendant la clandestinité. Au total, 17 policiers ont été arrêtés ou relevés de leur fonction dont le directeur de la Police d'État de Toulon qui avait noué des relations avec les MUR en 1943, mais à qui l'on reproche son attitude antérieure à Nîmes.
27. Arch. privées, Demande de reconnaissance et de budget pour les MP du Var par le conseil départemental des MP, 1er octobre 1944.
28. M. AGULHON et F. BARRAT, op. cit., p. 50 et sur le Var, p. 69 et suiv. Les Milices patriotiques s'organisent sur une base territoriale, calquée sur celle de la gendarmerie, et créent en septembre un comité départemental. Barrat a essayé de se faire reconnaître par le CDL fin août en mettant son organisation à sa disposition, en vain (pas de réponse). L'habilitation n'intervient que fin septembre, le 30, après une entrevue avec Aubrac et Guillot, reconnaissant Barrat comme lieutenant-colonel et son adjoint, Traversa, comme commandant, leur accordant 420 000 F de subvention, une caserne et les services de l'Intendance militaire. Dès le lendemain, est rédigée pour le CDL la demande de reconnaissance et de subvention (1 million pour septembre) ci-dessus (rapport de Barrat au CDL, 18 octobre 1944, arch. Amigas).
29. ADV, 1 W 98 : dans une note du 14 octobre, Sarie explique à Aubrac son hostilité aux FRS par le monopole du recrutement laissé aux MP et trouve étrange leur accréditation, parvenue le 12 octobre, alors qu'elles sont “ sans aucun doute ” inféodées au PC. Conscient de la chose, Barrat propose, le 18, d'y intégrer 40 résistants venant des CFL ou de l'ORA
30. ADV, 1 W 105, accord du 21 septembre entre le sous-préfet, le chef du GF et un médiateur, le Dr Adrey. Après sa dissolution, les membres du groupe, persistant dans le gangstérisme, seront finalement arrêtés le 10 janvier 1945.
31. ADV, 1 W 95, note du sous-préfet, s.d. Arnal a été désigné après le refus du Dr Malartic, grand bourgeois toulonnais, modéré et franc-maçon, membre du FN, d'assumer cette responsabilité. La délégation est portée à 20 membres par la suite : deux socialistes et deux communistes, trois CGT, trois MUR, un franc-maçon, un FUJP, une UFF, une résistante du MLN, deux spécialistes
32. Citées in G. MADJARIAN, op. cit., p. 85.
33. Arch. privées, lettre au préfet, 11 octobre 1944, pour se plaindre des lenteurs de l'épuration. La lettre est certainement de Pierre Fraysse.
34. Ce que remarque aussi, de l'autre côté du Rhône, A. MARTEL : “ le rétablissement de l'État dans sa forme traditionnelle semble répondre à une aspiration majoritaire à l'unité nationale et à l'ordre public. Il s'identifie au retour à la “ normale ” ” tandis que M. GOUBET constate qu' ”un décalage est apparu entre le discours et la réalité ” (in Libération dans le Midi..., op. cit., p. 80 et 128).
35. ADV, 1 W 95, commissaire de police Bartoli, 27 septembre 1944, qui note également “ qu'une évolution fort sensible et même considérable s'est produite dans l'esprit de la population. À la vindicte populaire des premiers jours de la libération, elle a vu succéder l'institution d'organismes spécialement chargés d'éclairer la justice et sa sécurité lui est apparue mieux assurée ”.
36. Surtout dans les villages de la région toulonnaise : Evenos, Solliès-Ville, Belgentier, etc.
37. Par exemple, le CLL de Flayosc proteste dans Rouge-Midi n°58, le 24 octobre, parce que l'industriel local n'est pas encore arrêté et réclame des “ Comités de Salut Public siégeant en permanence et ayant à leur tête des Robespierre et des Marat ”.
38. Convoquée par le CDL de la Drôme, le 27 septembre, cette réunion rassemble les “ noyaux actifs ” de 40 CDL. On y débat de l'épuration et du rôle des CDL surtout. Diverses motions sont votées allant du retour de Maurice Thorez à la convocation d'États-Généraux à Paris pour discuter du programme du CNR, en passant par la défense des MP, le renforcement du rôle des CDL dans l'épuration et l'amélioration du ravitaillement. Les CDL ne s'opposent pas à la réunion des conseils généraux, mais réclament la possibilité de dresser la liste de leurs membres, en les complétant par des membres du CDL et en les confinant à un rôle gestionnaire, tandis que le CDL garderait un rôle de contrôle et d'animation de la vie politique locale. Sur cette réunion, G. MADJARIAN, op. cit., p. 138-139.
39. Les MP sont dissoutes le 28 octobre et, dès le 4 novembre, le CNR adopte le statut des Gardes civiques républicaines.
40. ADV, 1 W 27, nombreux exemples.
41. Comme on peut le voir à la lecture de Résistance, l'hebdomadaire du MLN, qui consacre de nombreux articles à l'épuration, avec dénonciations des cas jugés scandaleux. Dans son n°13, du 11 octobre 1944, E. Soldani dénonce déjà l' ”échec de la révolution ” et souligne que “ temporiser, c'est saboter la révolution ”, que la seule légalité est celle des organismes de la Résistance, proclamations tempérées cependant par le souhait “ que le peuple pense d'abord la révolution avant de l'entreprendre et de travailler ensuite à la réaliser ”.
42. ADV, 1 W 98, plainte du commandant des FRS, 6 décembre 1944 et intervention du CDL auprès d'Aubrac, le 13, pour qu'il relève Lelaquet de son commandement. Au même moment, le 9 décembre, les FRS réclament des effectifs supplémentaires et des armes. Au cours des deux nuits suivantes (10 et 11 décembre), ils se plaignent de manœuvres suspectes, voire d'une “ attaque ” (trois salves). En même temps, les FRS, qui ont été maintenues dans un état de sous-équipement certain, sont allées se servir en vêtements dans les stocks de l'Intendance militaire, le 8 décembre, d'où plainte en retour de Lelaquet.
43. À Pertuis (Vaucluse), la population, bouleversée après la mort de 34 FFI dans une explosion qu'elle attribue à la “ 5e colonne ”, entend obtenir l'exécution de détenus. Aubrac doit négocier, dans un contexte dramatiquement tendu, et arrive à échanger les otages contre l'exécution du chef départemental de la Milice du Vaucluse. L'affaire de Digne est très significative : les FFI se révoltent contre une épuration jugée trop douce et exigent l'exécution de deux condamnés à mort (ce que le CDL accepte) et celle d'autres détenus, la révision d'un procès et l'arrestation des suspects. Les révoltés sont loin d'être tous communistes. La mort accidentelle de plusieurs FFI et des condamnations de collaborateurs trouvées trop clémentes ont entraîné la révolte (J. GARCIN, op. cit., p. 434). Ces événements éclairent d'ailleurs un mécanisme que l'on a bien connu en 1792, dans une période où la violence “ archaïque ” était bien plus répandue. À rapprocher d'événements comparables en décembre à Lyon contre le préfet Angeli.
44. Arch. privées, circulaire du CRR au préfet du Var, 4 janvier 1945 : “ De l'avis de l'Administration centrale, si une “ loi des suspects ” a pu trouver sa justification aux heures tragiques où les périls extérieurs se liguaient avec des révoltes suscitées dans vos départements mêmes, pour menacer les conquêtes populaires, ce n'est pas lorsque la démocratie retrouvée marque sa renaissance par la victoire de ses armées et la restauration de la légalité républicaine, qu'il peut s'agir de remettre en vigueur systématiquement sous quelque forme que ce soit, une procédure arbitraire ”.
45. ADV, cabinet 566, 24 novembre 1944, réunion des maires du Var : “ Personne en dehors de vous n'a le droit de commander dans votre mairie (vifs applaudissements) ”.
46. ADBdR, M6 11542, rapport mensuel, 16 février 1945 : “ l'incidence est sensible... Depuis le discours retentissant de M. Maurice Thorez, tout paraît rentrer dans l'ordre ”. Dans ce discours, Thorez freine l'ardeur des CDL en disant que leur tâche n'est pas de se substituer aux administrateurs, mais de les aider (C.-L. FOULON, op. cit., p. 229).
47. ADV, 1 W 22, Rens. gén., 20 février 1945 : le public a la conviction que seuls les pauvres sont jugés et que les autres courent.
48. Arch. Amigas, rapport d'activité d'un membre du CDL, communiste, mars 1945 : les manifestations “ spontanées et légitimes ont été mises à profit par des fauteurs de troubles ... Il a fallu toute l'autorité du CDL pour ramener le calme ”.
49. 27 février, 1er et 3 mars 1945.
50. Même constat d'échec dans les Alpes-Maritimes (J.-L. PANICACCI, “ Le Comité départemental de la Libération... ”, op. cit., p. 105 : indifférence de la population).
51. La Cour de Justice du Var ferme ses portes le 16 novembre 1945, après avoir rendu 212 arrêts (29 condamnations à mort dont plusieurs par contumace, 17 condamnations aux travaux forcés à perpétuité et 69 à temps, 68 peines de prison ou de réclusion, 38 acquittements), tandis que la chambre civique a rendu 215 arrêts dont 84 dégradations nationales à vie. Le camp est fermé le 15 juin 1945 et les détenus sont transférés à Marseille. L'examen de leurs dossiers se termine le 30 novembre 1945. Dans son bilan final, le préfet comptabilise 1 146 internements dont 753 suivis d'une libération plus ou moins rapide. Voir bilan de l'épuration en annexe.