B - PRECURSEURS ET DERNIERS-NES, RESEAUX ANGLAIS ET AMERICAINS

 

1 - Les réseaux anglais, toujours présents

Longtemps unique support extérieur de la Résistance locale, les services anglais sont désormais épaulés, complétés, voire concurrencés par des réseaux d'autres origines. On commence à ne plus confondre tout à fait Londres et de Gaulle, comme le montre le passage de Mithridate dans le giron du BCRA. Les initiatives anglaises sont encore importantes, mais les Allemands leur portent des coups très durs. L'Occupation a pratiquement mis fin à la navette par felouques et sous-marins et le principal vecteur anglais ici, le réseau Carte, s'est effondré.

 

a - Les orphelins de Carte :

Le réseau Carte est encore en pleine activité au moment de l'Occupation. Les officiers aixois, instructeurs à Saint-Cyr, comme le capitaine Lécuyer, qu'il recrute alors, prospectent des terrains de parachutage dans le secteur de Saint-Maximin. Mais le réseau éclate peu après, à la fin de l'année 1942, divisé entre une branche arlésienne (Carte) et une branche marseillaise (Frager)21. C'est en fait la mort du réseau.

Carte n'a que des successeurs de moindre importance. "Lucien Mesnard" ou Georges France 31 n'ont qu'une implantation limitée. La branche dissidente, Donkeyman, de Peter Churchill et Frager assure encore quelques liaisons maritimes dans le secteur d'Agay, pour le SOE, jusqu'au 9 avril 1943, mais elle est décimée les jours suivants. Certains militants, comme Jean Bernard, ont quitté la région ou ont rejoint les M.U.R., Guillain de Bénouville par exemple. Beaucoup d'autres continuent dans des réseaux différents.

Le commissaire Petitjean Nic, chef de la Surveillance du territoire à Toulon, se consacre à Jade-Fitzroy et fonde Jade-Police. Il travaille avec des policiers comme Ghibaudo ou Hacq. Celui-ci protège l'un de ses radios et l'aide à sortir de Toulon en avril 194322. Son réseau est vite menacé. Dès le mois de février 1943, Petitjean doit faire partir ses adjoints. Lui-même quitte la France, le 18 avril, après avoir caché pour huit millions de francs de matériel à Saint-Raphaël, faute de sous-marin pour pouvoir l'embarquer23. Les Allemands ont découvert son rôle. Son nom est répertorié dans le rapport Flora. Après son départ, le réseau continue à fonctionner jusqu'à la Libération, sous la direction du pharmacien, Mathieu Léonelli. Ce franc-maçon gère une officine qui appartient à Frank Arnal au centre de Toulon. Il est donc lié aux MUR. L'abbé Deschamp, chef de l'AS de La Crau, héberge parfois ses émetteurs. Mais Léonelli est aussi au carrefour des réseaux de la ville, venant en aide à ceux qui, comme le SR Marine, sont parfois en panne de matériel.
Le renseignement est un monde qu'affectionnent les policiers et les journalistes résistants. Après avoir quitté la région au moment de l'Occupation, Jean Bardanne, lui aussi un ancien de Carte, est revenu à Toulon en mars 1943. Protégé par les policiers et des magistrats amis (Ghibaudo, Dubost), il reprend la publication de son bulletin, Francam (France-Amérique), avec lequel il entend jouer le rôle d'une agence de presse de la Résistance. Régulièrement dactylographié à quatre-vingt ou cent exemplaires, il est envoyé à divers résistants et aux autorités, comme l'attestent les copies que les Renseignements généraux en font. Repéré, mais prévenu par ses protecteurs, Bardanne peut fuir en Belgique en février 194424.
Sous le pseudonyme de Guépard, il est l'un de ceux qui ont favorisé l'extension du réseau Alliance à Toulon. Plus heureux que Carte dont il prend la suite, dans une certaine mesure, ce réseau reste actif dans la région après l'embarquement réussi du général Giraud, en novembre 1942. Il tente de rééditer l'opération, le 11 février 1943, toujours à partir du Lavandou, avec onze candidats au départ. Mais l'opération échoue, faute de sous-marin25. On ne sait pas si Alliance prend part aux opérations maritimes effectuées jusqu'en septembre 1943, à Saint-Aygulf (Fréjus), avec l'aide matérielle du sénateur Sénès qui prête sa villa26. Par contre, Alliance organise aux Issambres (Roquebrune, près de Saint-Aygulf) quelques mois après une liaison du même type, baptisée Popeye, qui permet le débarquement d'une équipe, le 27 janvier 194427. Malgré les pertes subies par l'antenne méridionale du réseau en juin 1943, Alliance paraît solidement installé dans la région toulonnaise grâce à deux sous-réseaux, Druides28 et surtout Sea-Star. Celui-ci surveille le renflouement des bâtiments sabordés et aurait été mis en contact avec un amiral italien (qui pourrait bien être Tur). Marie-Madeleine Fourcade qui dirige l'ensemble du service évoque dans son historique les émissions régulières du poste toulonnais. C'est, en fait, à notre avis, à Brignoles que cet émetteur fonctionne. Il est camouflé, dans une mine désaffectée, par le directeur local d'Alais, Froges et Camargue (futur Pechiney), Paul Vauffrey, réputé royaliste, avec la complicité du personnel29.

Comme Mithridate quelques mois plus tôt, Alliance est alors passé dans le giron du BCRA, après avoir été l'une des organisations sur laquelle les giraudistes voulaient s'appuyer. On ne sait dans quelle mesure l'utilisation de résistants locaux, souvent adhérents des MUR, a pu jouer dans cette évolution gaulliste, ni même si elle a joué. Constatons qu'à Brignoles, comme à Saint-Aygulf ou au Lavandou, la protection, le soutien, l'hébergement du réseau sont favorisés par les mêmes hommes qui participent aux groupes politiques ou militaires locaux. Ce n'est pas la seule fois que nous le remarquons. C'est un fait général de l'histoire du renseignement pendant cette période.

 

b - D'Interallié à F2, un réseau sans cesse renaissant :

Les antennes locales d'Interallié, devenu F2 au début 1943, manifestent une vitalité et une longévité que bien d'autres réseaux pourraient lui envier. Prévalent les mêmes méthodes de travail prudentes et le même souci de mesurer l'argent. Les gratifications se font là plutôt en tabac, en cigarettes ou en tickets de pain.

Le sous-réseau d'Havard Foch continue de s'étendre jusqu'à atteindre cent quarante-six agents, au total30. Nous avons vu que la majorité (60 %) a adhéré avant l'occupation de novembre 1942 et les deux tiers avant l'occupation italienne. Leur origine est toujours aussi prolétarienne. Certains sont toujours d'actifs militants des MUR (le chef AS du Revest, ou le futur chef des GF, Bruschini, par exemple). L'origine géographique reste identique, avec la même proportion d'autochtones et de Corses (aux environs de 30 et 18 %). On remarque dans la liste des agents la présence de deux membres des troupes d'occupation allemandes (dont un Alsacien), recrutés après septembre 1943. Alors qu'Auguste Brun Volta est envoyé à Nîmes, Havard est assisté par deux ouvriers de l'arsenal, Marius Camolli Ariel et Ambroise Massei Puce, et deux hommes de confiance, Brizzi et Sapet. La zone d'activité est répartie entre les agents, salariés de l'arsenal, qui vont prospecter, à bicyclette, le samedi et le dimanche. Un exemple de ces agents ordinaires qui font modestement le travail de renseignement et qui sont à la base de tous les réseaux peut être illustré par le cas de Céleste Serra, aiguilleur principal à La Seyne. Il a été recruté avant l'Occupation par Brizzi, Corse comme lui. Il recueille journellement des renseignements en faisant son travail et, à l'occasion, joue un rôle plus important. Il a pu sortir un plan de la gare, l'un de ceux que l'on retrouve aujourd'hui dans les archives du BCRA. Il permet au réseau d'envoyer un cheminot, pendant quelques jours, en Allemagne, afin de récolter des renseignements sur une usine. À l’occasion, il fait de petits sabotages tout seul31.

Il ne s'agit que de la branche Toulon I du réseau. Parallèlement, Toulon III, dirigé par Lévy-Rueff Vir et Trolley de Prévaux Vox, a ses propres agents, eux aussi souvent communs à d'autres groupes de résistance, à Toulon comme à Saint-Tropez. Quant au sous-réseau Philippe (Toulon II), il a été dissous après l'Occupation, lorsque l'on a confié à son responsable, Stroweiss, la charge des liaisons radio de l'ensemble de l'organisation.

Le 26 décembre 1942, le chef de la branche Marine (ou Méditerranée), Sliwinski Jean Bol, est arrêté à Nice. Havard se refuse à interrompre l'activité de ses hommes et préfère continuer “ à blanc ” en attendant le redémarrage. Celui-ci s'opère sous la direction de Trolley de Prévaux, à partir de mai 1943. L'ensemble du dispositif a été réorganisé. Le sous-réseau Anne, son nouveau nom, s'étend de Nice, où se trouve toujours le PC, à Bordeaux. L'ensemble de ce qui devient “ le réseau modèle du service ”32 est désormais intégralement français. L'été 1943 connaît d'importants changements. L'arrestation et le suicide de l'adjoint de Trolley de Prévaux (Makowski) entraînent le transfert de la centrale à Lyon. Au même moment, Lévy-Rueff, menacé depuis l'attentat de la centrale électrique de l'arsenal, seul Juif conservé dans la hiérarchie de l'arsenal, quitte Toulon et rejoint Lyon (en août) pour s'occuper du bureau d'études central. Havard, dénoncé, doit partir lui aussi et va se cacher dans la région toulousaine, avant d'être envoyé en zone Nord pour diriger successivement plusieurs branches du réseau.
Localement, il est remplacé par ses deux adjoints, Camolli et Massei. Le sous-réseau continue donc selon le même mode d'organisation. Les renseignements proviennent du littoral entre Marseille et Saint-Raphaël, de Draguignan, ainsi que de Corse et d'Autriche. Deux télégrammes partent chaque semaine. Tous les quinze jours, est expédié un rapport de plus de cent pages, non compris les annexes, divisé en sept chapitres33. Lorsque la chute de Trolley de Prévaux, à Lyon, le 29 mars 1944, coupe les liaisons, ce n'est pas sans mal (et sans déplacements) que Camolli et Massei parviennent à les rétablir et à assurer le fonctionnement de l'ensemble jusqu'à la Libération.
À partir de l'automne 1943, le service radio du réseau dispose d'émetteurs dans le Var. Ils circulent autour de Draguignan (Villecroze, Salernes, Tourtour) jusqu'en juin 1944. Ils sont sous la responsabilité d'un sous-officier de l'armée de l'air, Maurice Marot Rice, avec la complicité de nombreux résistants du secteur, polyvalents, comme d'habitude, et très divers34.
L'antenne locale du réseau F2 connaît, elle aussi, la confusion commune à sa base avec les MUR, voire les FTP ou d'autres réseaux. Son chef de secteur à Bandol est aussi un agent de Gallia. Cependant, il y règne une certaine suspicion à l'égard des autres organisations de résistance. Ses agents de l'arsenal se méfient des officiers de marine du S.R. Edouard (SR Marine). Camolli n'accepte qu'avec prudence, et sans se découvrir, le contact avec Marco Polo et n'hésite pas à rompre avec tel autre qui lui paraît peu sérieux35. Autrement dit, ces amateurs font preuve d'un professionnalisme que l'on ne trouve pas toujours chez les envoyés d'Alger ou de Londres.

 

c - Le premier parachutage

Les réseaux action du SOE se manifestent relativement peu dans le Var, moins, semble-t-il, que dans les départements voisins - Alpes-Maritimes ou Alpes-de-Haute-Provence - où ils peuvent apparaître comme des mouvements à part entière. Le Var est une base d'émission radio et de repli pour l'équipe Monk qui arrive à Marseille en juillet 1943. Composée du colonel Shepper Bernard ou Henri Truchot, de l'officier radio Stiehl (ou Steele) Laurent ou Arthur Saunier et d'Eliane Plewmann Gaby ou Eliane Prunier, ce trio est chargé de constituer un groupe de sabotage36. Par l'intermédiaire de Pierre Massenet, il trouve deux points de chute, très dissemblables, mais qui, dans leur genre, illustrent bien le côté éclectique du SOE. C'est, à Roquebrune-sur-Argens, le havre isolé que leur offrent des amis de Massenet, l'aviatrice Suzanne Goutte et l'architecte Jean Hellet37, de l'autre, à Barjols, la maison de village du communiste Eugène Garcin* (dit Garcin “ des essences ”, car commerçant en bois, charbon et carburant). Des émissions radio ont lieu dans les deux localités. Garcin et ses deux fils hébergent le poste de Stiehl jusqu'en mars 1944.
L'épisode est important dans la mesure où c'est par là que parvient le premier parachutage d'armes reçu dans le Var. Il a lieu le 15 septembre 1943, à Brue-Auriac, sur le terrain Fantômes. Garcin qui avait participé au repérage de terrains avant même l'Occupation, en liaison avec les résistants de Brignoles (Marius Brunet), le fait réceptionner par l'équipe de Résistance locale de l'AS, dirigée par l'instituteur socialiste, Jean Chabaud. La deuxième opération, prévue fin septembre, échoue. Une partie des armes reçues est cachée sur place (et sera récupérée, quelques mois plus tard, par les FTP de Barjols). Ce sont très probablement Shepper et Stiehl qui viennent visiter la 1e Cie FTPF de Provence, repliée, fin 1943-début 1944, dans la région de Saint-Maximin-Brue-Auriac et lui remettent quelques mitraillettes et du plastic38. Il est probable que le reste du matériel est allé armer le maquis vauclusien d'un des plus remarquables et des plus mystérieux militants communistes de la région, Alphonse Dumay, que l'on trouve au croisement de plusieurs réseaux, comme on ne tardera pas à s'en rendre compte. En vertu des accords passés en 1942 entre ceux qui cherchent des moyens (le PCF) et ceux qui cherchent des hommes (le SOE), l'équipe Monk, mise en relation avec les communistes par Massenet, opère, en effet, avec un groupe de FTP, recruté et entraîné par Dumay. Avant d'être versé dans l'organisation FTP, ce détachement s'illustre comme le groupement de sabotage probablement le plus actif du Sud-Est (82 actions répertoriées)39. Arrêtée à Marseille en mars 1944, toute l'équipe Monk disparaîtra en déportation40. Le relais est pris par Gardener du major Boiteux, mais ce groupe n'intervient guère dans le Var et seulement en juin 1944.

Les services anglais ont perdu l'avance qui était la leur avant l'Occupation. Plusieurs de leurs réseaux sont passés au BCRA et les "chutes" qui les ont affectés leur ont fait perdre une partie du bénéfice de l'action entreprise. Ce recul est très relatif dans la mesure où une partie de leurs forces, dans la région plus que dans le département (nous pensons précisément à Francis Cammaerts Roger, du réseau Jockey qui collabore avec la SAP et reçoit treize parachutages dans les départements voisins), participe de ce conglomérat où giraudistes et Américains prennent de plus en plus de place.

 

2 - Les réseaux américains

Pratiquement inexistants avant l'Occupation, les réseaux américains se mettent en place dans le courant de 1943 ou de 1944. Des méthodes aventureuses et un recrutement peu regardant caractérisent certains d'entre eux. Petites, mais riches organisations, elles captent, sans souci des activités antérieures, vichystes bon teint et trafiquants de marché noir, aussi bien que résistants irréprochables et admirables. Elles sont entourées d'un halo de flou plus épais et plus trouble que l'ordinaire des réseaux. Mais, il en est de sérieuses. Ce sont celles dont les bases ont été jetées de longue date.

a- Un autochtone : Sosies

Le réseau Sosies des frères Ponchardier est l'une de ces dernières. Il a été rattaché à l'OSS par l'intermédiaire du colonel Groussard, installé en Suisse, et qui écrira avoir possédé, dans le Var, des informateurs de premier plan41. On le conçoit aisément dans la mesure où il s'agit du directeur des Forges et Chantiers de la Méditerranée, Veyssière, et de l'ingénieur de l'artillerie navale Braudel que celui-ci a fait entrer à Sosies. C'est une recrue de choix dans la mesure où il a constitué très tôt ses propres équipes dans l'arsenal. Lorsque Veyssière doit retourner travailler à Paris, Braudel lui succède naturellement à la tête du sous-réseau MA 3 qui s'étend de Sète à Vintimille. Il possède à Toulon une quarantaine d'hommes, amis ou, surtout, salariés de l'arsenal. Cette organisation est perturbée par les bombardements qui entraînent quelques défections. Il est possible que d'autres problèmes se soient greffés, car Braudel a désavoué son adjoint qui avait commencé à prélever des armes sur le stock allemand pour participer à l'entraînement de volontaires avec le lieutenant de vaisseau Baudoin. Braudel conseille, lui, d'attendre les parachutages pour envisager la participation au combat42. Sans doute n'est-il pas enchanté de voir des liaisons se nouer hors de son contrôle. On ne sait si Dominique Ponchardier, dépeignant, à travers sa propre expérience, le chef de réseau type, ne pensait aussi à lui. Le portrait lui va bien : un homme qui ne connaît
“ pas grand chose de l'organisation des autres", qui croit "être seul au monde..., persuadé que sa "production" était la seule qui comptait pour les Alliés. ”43

Braudel, soucieux d'indépendance politique, veut garder son autonomie. Ses seuls contacts, encore qu'assez tardifs et méfiants, sont avec le SR Marine. Mais, à l'approche des échéances, la peur du communisme, peut-être le souci d'assurer un relais à une action bien solitaire dans le milieu qui est le sien et à l'égard duquel il est très critique le conduisent à sortir de sa réserve. Il prend contact au printemps 1944 avec les MUR auxquels, par ailleurs, ses propres agents participent.

 

b- Les greffes de 1943

Au milieu des réseaux américains de la région, Sosies est un cas particulier.

 

- Le réseau Brown :

Venant d'Alger, l'intrépide Fred Brown Jim débarque à Ramatuelle avec les agents du colonel Paillole, le 7 février 1943. Il bénéficie pour monter son réseau de l'aide de l'agence marseillaise du Contre-espionnage (Agence immobilière ou TR 115). C'est vraisemblablement par là qu'il obtient le contact avec le commissaire Petitjean. Ce dernier le met en relation avec deux personnalités importantes, Maurice Maurin Bernard, chef du NAP de Combat, et Michel Hacq Forain, chef de la Sûreté toulonnaise, qui vont se charger de son réseau.

Maurin quitte les MUR pour s'en occuper exclusivement. Il passe du côté de l'OSS car il y a là davantage de moyens et moins de “ palabres ”. Il n'est pas le seul à se laisser séduire par ces nouvelles organisations au moment où les Américains prennent pied en Afrique du Nord et où le général Giraud semble en position de force. Custaud rapporte qu'il a aidé à l'implantation d'un réseau américain - non précisé - en lui fournissant un responsable AS, gêné de rester sans rien faire44.

Maurin, Hacq et son équipe de policiers vont assurer une partie du fonctionnement du réseau, non seulement à Toulon, mais au-delà. À Toulon, ils en organisent les émissions radio avec un opérateur fourni, non sans arrière-pensées, par Petitjean. Hacq et ses hommes participent aussi à l'organisation des liaisons par sous-marins qui ont lieu (ou essayent d'avoir lieu) à Ramatuelle et aux opérations aériennes qui se déroulent dans le Vaucluse. C'est par sous-marin que Brown repart le 7 mai dans la nuit, mais c'est par parachute qu'il revient le 18 juin (à Sault).

 Outre les Toulonnais, Brown s'est assuré du soutien, peut-être momentané, d'un groupe bien différent qui n'est autre qu'une partie de l'équipe d'Alphonse Dumay. Composée d'anciens d'Espagne (Français ou étrangers), elle est dirigée par Alex Delabre Max, FTP et GF des MUR. Elle est liée, selon toute vraisemblance, au service de renseignement soviétique installé dans la région. Ses hommes sont présents avec Hacq et les siens tant à Ramatuelle que dans le Vaucluse. Ils protègent un autre opérateur radio qui circule dans l'arrière-pays et qui émet en particulier à Cabasse, dans un domaine appartenant à des amis de Maurin et Hacq45.
Brown a échappé au SD de Marseille, peu avant son départ au début mai. Le 8 juillet, Hacq et Maurin évitent eux aussi l'arrestation, mais leur radio Richez Mexique et un agent de liaison venu d'Algérie ont moins de chance. Richez, un sous-officier de l'Armée de l'air, resté trop longtemps au même endroit, a été repéré, après avoir eu une activité considérable46. Les jours suivants, un très voyant opérateur radio de l'IS, débarqué à Ramatuelle, le 8 mai, et les agents du réseau américain Hi-Hi avec lesquels il était très imprudemment en relation sont pris à leur tour.

 

- Le réseau Hi-Hi

Cette petite organisation est créée en janvier 1943. Son antenne de Toulon est montée, en mars, par l'infirmière Lucienne Fouque. C'est une "chaîne" dont la structure s'apparente à un réseau de relations professionnelles ou mondaines. Dans un premier temps, il est bâti sur le carnet d'adresses bien fourni d'un personnage controversé, un ancien sous-préfet, fondateur auparavant d'un réseau appelé Nouquette47. Démantelé par l'OVRA à la mi-juillet à la suite de l'imprudence du radio de l'IS qui avait gardé chez lui la liste de ses contacts48, il est reconstruit, par son animatrice Suzanne Bertillon, grâce à un vieil écrivain d'origine vosgienne, Pottecher, qui la met en relation avec le docteur Louis Puy. Celui-ci reconstitue une autre "chaîne" en utilisant efficacement certains de ses clients et fournit des renseignements jusqu'à la Libération. À ce moment-là, son budget est de vingt mille francs par mois, le docteur ne voulant rien pour lui-même. Au total, le réseau n'a immatriculé que treize agents dans le Var, recrutés dans un milieu restreint, à dominante médicale (trois médecins, un pharmacien, une infirmière) et bourgeoise.
Parallèlement a été constituée à Toulon, à peu près au même moment, l'antenne d'un autre réseau américain, Nana49.

 

c - Les avatars de 1944

Le dernier réseau américain implanté dans le Var est Ritz-Crocus. Arrivé en février 1944, il s'attache des personnages aux relations douteuses qui trafiquent dans la région toulonnaise. Pourvu de moyens importants, il possède un émetteur à Seillons-Source d'Argens, près de Saint-Maximin, ce qui permet la réception d'au moins un parachutage d'armes, en mai, avec l'aide et au profit  de la Résistance locale, alors passée sous la direction de l'ORA50.
Ce réseau est probablement tourné aussi vers les Bouches-du-Rhône. Plusieurs organisations s'enchevêtrent à Marseille et débordent parfois sur le Var. Le réseau Azur, avatar de celui que Fred Brown avait créé en 1943, est l'un d'eux. On le voit surgir à propos d'une affaire troublante par ses conséquences et la légèreté qu'elle dévoile. Les liaisons maritimes qui avaient pour cadre la presqu'île de Saint-Tropez depuis février 1943 avaient été interrompues en novembre, après l'interception d'une l'équipe prête à s'embarquer. Or ces opérations sont reprises, au moins en avril 1944 par l'OSS, à peu près au même endroit, en relation avec l'équipe marseillaise, mais à l'insu des résistants locaux dont un officier de liaison, François Pelletier, précisément chargé d'organiser dans le même secteur des opérations maritimes identiques, par vedettes, avec la Corse ! C'est pourtant près de Saint-Tropez, par le réseau Azur, que l'un des fondateurs des maquis du Vercors, Marius Chavant, et l'un de ses adjoints, Veyrat, doivent s'embarquer pour l'Afrique du Nord51. Le rendez-vous est d'abord manqué, à la fin avril, et renvoyé au 25 mai. Or, le réseau Azur est infiltré par le SD et les hommes qui laissent partir Chavant, cette nuit-là, au cap Lardier, sont des militants du PPF de Marseille, agents de ce service, membres de la bande Pavia. Si Chavant sans s'en douter échappe à la "Gestapo", les deux agents de l'équipe radio débarquée parallèlement sont conduits, après une étape au Lavandou, au 425 de la rue Paradis, et, peu après, en camp de concentration52. À quelques jours de là, une nouvelle équipe radio atterrit au même endroit et ne trouve, heureusement pour elle, aucun comité de réception. Elle est récupérée par la Résistance locale, interrogée par François Pelletier. Par lui, les deux hommes sont expédiés à Apt où se trouve la direction de la SAP R253. Ces péripéties n'empêchent pas Alger de demander qu'un autre rendez-vous maritime soit organisé, toujours par le biais d'Azur, pour évacuer quatre aviateurs alliés cachés à Cannes, le 12 juin 1944 (en vain)54.

L'affaire est l'illustration des "cafouillages" de la période et des difficultés des organisations qui ne reposent pas sur le tissu serré de la Résistance locale et qui ne sont pas très regardantes sur leur recrutement. La vulnérabilité n'est pas particulière aux réseaux américains de Marseille. La même passe difficile est traversée par ceux du Contre-espionnage, qui leur sont très liés.



 

21. Entre autres sources, Noguères, op. cit., t. 3, p. 148-149.

22. AN, CHG, Ajax, Commissaire Hacq, Résumé des services rendus aux FFC et aux Alliés avec le concours des inspecteurs Torricini Paul et Corsini Paul, et de Melle Massoni Jeanne, dactyl., s.d. (vers août 1943) : protection du radio Ollivier qui émet parfois de chez l'abbé Deschamps à La Crau.

23. C.-L. FLAVIAN, op. cit., p. 105 : Petitjean est parti par avion, ses hommes, les inspecteurs Niger et Nahrt sont partis par le même moyen le 25 février avec le chef du réseau Jade. Le matériel caché à Saint-Raphaël serait le "trésor" de Radio-Patrie (Carte).

24. J. BARDANNE, op. cit., p. 329. Son bulletin est régulièrement signalé en ADV, 1 W 23. La police le dit “ distribué clandestinement dans les milieux intellectuels de Toulon ”.

25. U.Richard, tém. cit., et J. DELPERRIE de BAYAC, La guerre des ombres, Paris, 1975, récit du commandant Gaujour, p. 83-84 (édition de poche), d'après lequel les candidats au départ n'étaient que cinq ou six, français et anglais.

26. ADV, 1 W 49, Le Muy, lettre de Fernand Troin au préfet, 4 décembre 1945 : le garde-forestier Troin est l'adjoint actif de Sénès. Ces embarquements auxquels l'occupation allemande met fin sont organisés par des Bretons et des Alsaciens. La maison forestière du Rouet sert à cacher du matériel. La villa de Sénès et une maison louée permettent d'abriter les personnes. Ces opérations paraissent indépendantes de celles qui se déroulent à Ramatuelle au même moment.

27. M.-M. FOURCADE, op. cit., t. 2, éd. de poche, p. 235-236, après un échec le 6 janvier.

28. Ce sous-réseau a pour assise les Compagnons de France. Ses méthodes, frappées du coin de la conspiration romanesque, sont bizarres : voir le tém. du sous-lieutenant Cavenago, in SAPIN et quelques autres, Méfiez-vous du toreador, Toulon, 1987, p. 266 et suiv. Ce Niçois rapporte qu'il a été convoqué, à Paris, chez le chef de Tournemire, après un itinéraire compliqué (Digne-Marseille...), pour se voir confier la mission d'accompagner sur la côte provençale un mystérieux commandant qui, pendant deux jours, va inspecter la défense côtière des Alpes-Maritimes et du Var sans se cacher, au vu et au su des occupants...

29. Tém. D. Logiacco et Taupin 1982 et AN, F 12 9579, Mémoire personnel du directeur de Pechiney, M. Dupin, septembre 1946 : Vauffrey était en relation avec Loustanau-Lacau. Il a pu cacher l'émetteur grâce à la complicité du personnel et de ses adjoints dans la mine de la Baume-Nord (Mazaugues). Le nom de code du poste est Canari, ce qui nous autorise à l'assimiler à celui que donne M.-M. FOURCADE, op. cit., t. 2, p. 293, Bengali.

30. Arch. privées : liste des personnes faisant partie du réseau F2, sous-réseau Azur, s.d., dactyl. L'importance des ouvriers dans ce réseau est confirmée par le tém. Havard 1987.

31. Tém. C. Serra 1979. Il était membre de la CGTU avant-guerre. Le cheminot envoyé en Allemagne à la demande de Brizzi est P. Bianchetti.

32. L. Sliwinski, op. cit. Autres sources déjà citées : tém. Lévy-Rueff et Havard (notamment Mes souvenirs...). Tém. M. Camolli 1979 et 14 mars 1947, H. Michel (Fonds Masson).

33. G. Havard, op. cit. : en mars 1944, le rapport comporte 127 pages, plus 29 d'annexes dont 87 photos.

34. Parmi eux, le socialiste et militant MUR Louis Matteucci, replié à Villecroze, Fernand Cauvin qui, dans le même village, aide les FTP, le communiste et FTP Ernest Sappa de Salernes, Pierre Veyret et Angelin Clair, employés à la mairie de Draguignan, fournisseur des MUR ou des FTP en faux papiers, etc.

35. Tém. M. Camolli 1979 : il rompt avec Fleur du BCRA (non identifié, confusion possible avec Glaïeul du Contre-espionnage de Marseille). Le chef de secteur de Bandol où réside Camolli et où il a (ou n'a pas) ces contacts est Augustin Baccelli, ancien conseiller municipal.

36. P. et M. MASSENET, Journal d'une longue nuit 1940-1944, Paris, 1971, qui les réceptionnent à Marseille. Futur préfet de Marseille, ami de Leenhardt, aidant le réseau Alliance, P. Massenet les met en contact avec ses diverses relations, bourgeoises et communistes.

37. Tém. S. Régis, 27 mai 1986 (transmis par Jean-Paul Martin, que nous remercions, 1986) et J.-F. RÉGIS, “ Pierre Massenet et les réseaux Buckmaster en Provence ”, Marseille, revue municipale n° 82, 1970, p. 4-5, et du même, “ Un réseau anglais dans la Résistance à Roquebrune-sur-Argens ”, Chroniques de Santa-Candie n°10, 1974, p. 1-10. Mais Régis ignore les émissions faites à Barjols dans le même temps. Hellet et Suzanne Goutte ont hébergé aussi le premier émissaire envoyé à Massenet le capitaine Jones Sylvain, en décembre 1942. E. Garcin, (Fonds Masson, tém. 16 février 1965) : il a été mis en contact avec Monk par le directeur des cars Marseille-Barjols, Floege. D'après Suzanne Régis, plusieurs parachutages d'armes auraient eu lieu du côté de Canjuers à l'initiative de Monk, à partir des émissions faites à Roquebrune. Nous n'en avons trouvé qu'une seule trace qui pourrait confirmer son témoignage (un parachutage, dans l'hiver 1943, à Seillans). Il est possible qu'il se s'agisse du parachutage opéré le 31 décembre 1943 sur le terrain Anier qui ne fait pas partie de la liste des terrains SAP.

38. Tém. P. Valérie 1979. Divers témoignages signalent, ici ou là, le passage d'un officier anglais, sous l'occupation. Visite sans suite, ponctuelle, il est difficile de les rattacher à un groupe précis. Il est possible que l'un de ceux-ci, lié à l'équipe Jockey qui opère dans les Alpes-Maritimes, ait un prolongement dans le Var, à partir de l'été 1943 (peut-être le groupe Julien, à Hyères, que l'on sait rattaché aux services anglais ?).

39. Tém. A. Claverie, futur COR des FTP du Var, qui en fait partie, 1980. Formé de militants des Bouches-du-Rhône, le groupe n'opère pas dans le Var. Sur Dumay, M.-P. BERNARD, op. cit., p. 158.

40. H. NOGUÈRES, op. cit., t. 4, p. 504-506 sur l'action et la chute de Monk.  

41. Colonel GROUSSARD, Services secrets 1940-1945, Paris, 1964, p. 418.

42. Tém. amiral Baudoin, La participation de la Marine à la Résistance, dactyl., 27 septembre 1980 (Fonds Masson). L'adjoint de Braudel est l'ingénieur du Génie maritime Tonnelier (R. Braudel, tém. cit.

43. D. PONCHARDIER, Les pavés de l'enfer, Paris, 1950, p. 219.

44. P. Custaud, tém. cit. : le responsable AS en question est Pierre Lagrosillière, fils du député SFIO de la Martinique. Cet entrepreneur de travaux publics, franc-maçon, a fait partie de l'équipe du colonel Blum, dès 1941. Le réseau en question serait le réseau Jullian ( ?). Par ailleurs, Maurin se souvient que Frank Arnal, lui-même, ne misait plus que sur Giraud (tém. 1981).

45. M. Hacq, tém. cit. (1943) et Bernard Plauchud 1984, le fils des propriétaires du domaine de La Plaine d'où le poste émettait. Son opérateur est Vincent dont le pseudonyme Azur va servir à nommer le réseau (à ne pas confondre avec le sous-réseau de F2 du même nom). Biographie d'Auguste dit Alex Delabre in M. BAUDOIN, op. cit., p. 33.

46. L'arrestation a lieu au Port Marchand. Le radio tournait sur plusieurs appartements dans Toulon. Il aurait passé cinq cents messages. Sollicité, Brown n'a pas répondu à nos questions. Ce Richez serait le sous-officier radio utilisé par les services de Paillole pour pénétrer l'Abwehr en Afrique du Nord en 1941 que nous n'en serions pas surpris (P. PAILLOLE, op. cit., p. 328).

47. Le sous-préfet Truc, dit de la Séglière. Sur Hi-Hi, AN, 72 AJ 58, tém. Suzanne Bertillon, 20 octobre 1945 (Mme Merlat), responsable de la chaîne qui vient, tous les quinze jours, relever les renseignements.

48. L. Fouque est arrêtée le 17 juillet et restera en prison jusqu'en juin 1944. Le Dr Duret du Lavandou est arrêté le 15, le Dr Guimezannes de Toulon, le 21. Suzanne Bertillon décrit le radio de l'IS, responsable des "chutes", comme “ hâbleur, inexpérimenté, et de surcroît méridional ”... Quelques renseignements en SHA, 13 P 147, Nouquette.

49. SHA, 13 P 147, Nana : juin 1943, sous la responsabilité de Jean Bergez et René Thibaut, pas autrement connus.

50. Une attestation de Résistance évoque cinq parachutages ce qui est manifestement trop (arch. privées, dossier Pe.). Un seul est sûr, le 1er mai 1944, dans la forêt de Berne (Saint-Maximin), réceptionné en partie par la Résistance locale. La base de Ritz-Crocus est dirigée par le capitaine Christophe Orabona ; elle est installée au château de Seillons. Sur les recrues douteuses du réseau, ADV, 3 Z 4 9, procès-verbal de gendarmerie Ollioules, 25 septembre 1944. Le responsable du réseau est Louis Raggio, un ancien du "milieu", reconverti dans l'hôtellerie et la Résistance en contact avec les services du colonel Paillole.

51. P. DREYFUS, Histoire de la Résistance en Vercors, Paris, 1975, p. 114. Chavant, un des chefs de la Résistance grenobloise, est accompagné de Veyrat dont le frère appartient au réseau Azur. Ils vont faire connaître les possibilités du Vercors et réclamer du matériel. D'après Dreyfus, le départ aurait eu lieu le 22 mai, alors que nos sources, ADBdR, 500 U 290, dossier "Affaire du Cap Lardier", indiquent le 25.

52. Le chef du réseau Azur est Paul Billard Pierre Roux. Il a deux contacts à Saint-Tropez (par relations personnelles) qui ont hébergé Chavant et qui, semble-t-il, ne participent pas aux opérations d'embarquement. Les deux agents de l'OSS arrêtés et déportés sont le capitaine Edmond Riand et son radio Jules Damprun À l’origine de l'affaire se trouve un radio, originaire de La Ciotat, recruté par Brown pour le réseau Darmouth et "retourné".  

53. Cette affaire invraisemblable a été débrouillée grâce à Antoine PELLETIER, frère de François, qui reconstitue très minutieusement l'histoire de son frère. Nous confondions, avant ses remarques, ces liaisons et celles que son frère organisait. Lire son récit Autrement qu’ainsi, Paris, Éditions Quintette, 1991.

54. ADBdR, 500 U 90 : trois Marseillais, Roux, Barbey et Pouget viennent tenter de s'embarquer cette nuit-là, eux aussi. Mais il n'y a rien au rendez-vous. Et pour cause : dans la journée, le SD a retiré son filet et procédé à plusieurs arrestations à Marseille (affaire du bar Berlioz) et dans la région.