L'histoire de la Résistance est fragmentée. L'histoire locale de chaque mouvement a son propre rythme chronologique qui n'est pas forcément celui d'horizons plus vastes. Tel changement d'homme, par chute ou mutation, prend une importance que n'a pas telle décision de politique générale. Surtout lorsque les organisations sont faibles. Il en ira un peu différemment quand elles seront solidement intégrées à des ensembles nationaux. Pour le Parti communiste varois, la reconstitution de l'automne constitue un fait plus marquant que le déclenchement de la guerre germano-soviétique ou que les attentats en zone occupée. La remise sur pied d'une petite structure clandestine a plus de conséquence qu'un changement d'une ligne que l'on connaît mal et qui laisse, par la force des choses, une large autonomie aux acteurs locaux.
1 - Le réveil difficile du PCFLes premiers signes de reprise significatifs se remarquent en octobre 1941. Le 8, des tracts réapparaissent dans les rues de Toulon, puis le 15, à La Seyne et le 30, à Hyères. Ils annoncent la formation du Front national. L'un d'eux, “ Un évènement politique considérable ”, est une feuille imprimée de diffusion nationale. Datée du 20 juillet 1941, elle témoigne de la lenteur de la reconstitution et des liaisons 1 Tract signé Comité d'organisation du Front national. Il est répandu partout, par exemple à Lyon où il est signalé par M. RUBY, La Résistance à Lyon, Lyon, 1979, p. 115 et fig. 63.. Cette réorganisation se fait à partir des mêmes localités que la précédente avec cependant une extension sur Hyères-La Londe qui s'affirme d'emblée comme un pôle d'activité soutenue. La diffusion de la presse, L'Humanité n°124 du 25 novembre et surtout une édition varoise de Rouge-Midi pour la première fois depuis 1939, témoigne de la vigueur de la nouvelle structure 2 L'Humanité est trouvée à Toulon et La Seyne les 24 et 29 décembre, comme Rouge-Midi qui est signalé aussi à La Valette le 3 janvier 1942. Une édition marseillaise de Rouge-Midi avait été faite en 1940-41 dont un exemplaire avait été trouvé à La Seyne le 24 janvier 1941.. Certains tracts et journaux sont de fabrication visiblement locale. Ils ne portent pas seulement sur la création du Front national. Ils dénoncent aussi la répression et attirent l'attention sur le sort de Chaintron et sur celui de Jean Mérot qui vient d'être condamné à mort à Toulon (et qui sera gracié). Cependant leurs appels à pétitions et protestations ne sont pas suivis d'effet. Il en va de même avec le tract demandant de manifester pour le 11 novembre 1941. Le PCF est loin de pouvoir susciter un mouvement “ de masse ”. Mais sa propagande prend de plus en plus d'ampleur. Elle est répandue en grand nombre, par exemple à Toulon le 24 décembre et à La Seyne dans la nuit du 28 au 29 (un millier d'exemplaires environ). Elle se diversifie en janvier et février 1942 avec des publications imprimées à l'extérieur et s'adressant à des catégories spécifiques : “ Jeunes ouvriers, unissons-nous ” (non signé, Toulon-La Seyne entre le 13 janvier et le 18 février), “ Marins de la flotte ” (Toulon, 15 février, Front national), “ Aux membres de la Légion ” (Toulon-La Seyne, 16-18 février, idem), “ Jeunes des camps ” (La Seyne, 18 février, PCF), “ Français de l'armée d'armistice ” (idem, Front national), “ Paysans de France ” (La Seyne, Barjols, 15 février, PCF). Essayant de rompre leur isolement, les communistes en appellent à l'union, mais les revendications mises en avant sont maximalistes : augmentation des salaires de 50 %, 20 F par jour pour les appelés aux Chantiers de jeunesse, création de comités populaires de femmes ou de comités de Front national dans la Marine 3 Pour permettre des comparaisons régionales, voici les tracts trouvés en plus de ceux que nous avons signalés dans le texte, signés du PCF, sauf mention contraire : “ Front unique des peuples ” (La Seyne, 29 décembre), “ Pour le pain et la liberté ” (daté de septembre 1941, idem et 2 janvier 1942), “Français, unissons-nous contre l'emprisonnement ” (Toulon-La Seyne, 15 et 18 février), “ Manifeste du comité pour la zone non occupée du Front National (idem), “ Marcel Cachin ” (idem), “ Luttez unis pour 20 francs par jour ” (idem, Fédération de la Jeunesse communiste de France, septembre 1941)..
La Sûreté toulonnaise s'inquiète de cette renaissance locale du PCF. Son chef, le commissaire Michel Hacq, fait organiser des barrages aux sorties de Toulon vers les communes ouvrières adjacentes, La Valette et La Seyne (où, par exemple, mille trois cents personnes sont contrôlées le 17 janvier 1942). Tout cela s'avère aussi vain que les grandes opérations lancées par Vichy dans l'ensemble de la zone non occupée, les 10 et 11 décembre 1941 4 Cette vaste opération vise surtout les communistes, les Juifs étrangers amalgamés de façon significative avec les truands. Elle se solde dans le Var par 41 perquisitions, trois arrestations d'anciens communistes, cinq de Juifs et neuf de souteneurs, huit propositions d'internement. voir J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 25 (ordre d'opération par l'intendant de police).. En revanche, la surveillance de l'arsenal avec l'aide des services de la marine va se révéler plus payante. Le responsable politique de la section de l'arsenal est repéré après la diffusion de tracts dans l'atelier d'électricité. Avec l'appoint d'un indicateur, un piège lui est tendu alors qu'il cherche à se procurer du matériel d'impression (stencils, papier, rouleaux de machine à écrire). C'est un coup très dur pour l'organisation clandestine qui se solde par l'arrestation de 17 personnes entre le 14 et le 25 mars 1942 à Toulon et La Seyne. Il s'agit de militants peu connus avant guerre et même parfois de néo-adhérents. Ils n'ont pas participé - du moins activement - à la première reconstitution du Parti (sauf un). Ce sont des ouvriers ou d'anciens ouvriers licenciés, âgés pour la plupart d'une trentaine d'années 5 Notre contribution in Les communistes..., op. cit., p. 295-296. Il y a au total 19 inculpations. Le “ polo ” de l'arsenal, André Dupart, est un ancien militant syndical et politique, licencié en 1940, mais réintégré quatre mois après pour avoir obtenu la croix de guerre 1939-40. Parmi les inculpés, le seul non ouvrier est un instituteur de La Seyne, Marius Autran, nouvel adhérent du parti et lui aussi décoré avec deux citations.. Il y a trois femmes dont une seule très active, mais cette présence suffit à distinguer l'organisation communiste des autres mouvements clandestins, plus exclusivement masculins.
L'affaire est d'autant plus sérieuse que les perquisitions permettent de mettre la main sur la ronéo et deux machines à écrire venant du comité fédéral du Parti, ainsi que sur du matériel de propagande et des rapports laissés par le responsable politique clandestin. André Mulland, que nous n'avons pas pu identifier, a pu échapper à la police, mais ses papiers constituent une mine de renseignements sur les difficultés et les facettes de l'activité clandestine 6 ADV, 3 Z 4 30, rapport du chef de la Sûreté avec documents saisis joints, 4 avril 1942. À remarquer que l'opération est menée par un futur grand résistant, le commissaire Hacq (et à proche des milieux gaullistes). La Surveillance du Territoire apporte son aide et permet l'interpellation de l'agent de liaison, Girolami, de Marseille. On voit combien les positions sont encore éloignées entre certains des participants à la Résistance. La ronéo était entreposée chez Ernest Canton et Pierre Lelièvre, qui mourra en déportation, hébergeait le “ polo ”.. Il en ressort plusieurs traits saillants :
- Le travail de base reste la “ solidarité ”. La cotisation mensuelle est de 10 F. Le responsable de l'arsenal remettait 150 à 200 F par quinzaine à Louise Dollinger, la militante chargée de ce secteur, ce qui laisse donc supposer une quarantaine de sympathisants.
- La recherche du renseignement est une activité plus neuve ici. Mulland code certaines informations. Un cheminot de La Seyne pointe les trains se dirigeant vers l'Allemagne ou l'Italie. À qui sont destinés ces renseignements ? Probablement à un réseau interne, lié au renseignement soviétique et, peut-être, en même temps - ce qui n'est pas contradictoire - aux services anglais avec lesquels le Parti cherche à établir des contacts (quoique cela paraisse tôt).
- L'ampleur prise par la propagande est confirmée. En novembre 1941, L'Humanité a été reproduite à 1 200 exemplaires, Rouge-Midi à 2 000, La Voix des femmes à 1 000 et l'on a tiré 2 000 papillons. Pour janvier 1942, les chiffres sont respectivement de 1 500, 2 000 et 1 500, plus 2 000 France Libre n°1, 2 000 tracts et 100 papillons 7 ADV, 3 Z 4 30, états des éditions au 30 novembre 1941 et au 31 janvier 1942. Ce mois-ci, La V.O. est mentionnée sans doute par erreur (on n'en retrouve aucune trace) à la place de La Voix des femmes.. L'écart est important entre les tirages des journaux et les exemplaires retrouvés, ce qui conduit à se demander si tous les numéros sont diffusés. La police qui est la source de renseignement de base à ce sujet ne sait pas tout. Les diffusions dans des entreprises comme les Chantiers navals de La Seyne lui échappent et Mulland indique bien dans son rapport de janvier que “ le travail se fait encore de la main à la main ”. Mais il déplorait en décembre la non-diffusion du matériel par les cellules de la section D (Hyères). Même s'il y a un certain “ bouillon ”, il faut constater qu'aucune autre organisation clandestine ne réalise un tel effort de propagande. Il est vrai que les communistes n'ont pas le support de la BBC avec laquelle Radio Moscou - dont les émissions françaises, Radio-France, sont indiquées dans certains tracts - ne peut rivaliser.
- Les difficultés que rencontre la mise sur pied d'une organisation clandestine digne de ce nom sont considérables. Elles ne sont pas seulement externes. En décembre 1941, le parti compte cinq sections regroupant 114 cotisants. Désignées par les lettres de l'alphabet, elles peuvent être identifiées par recoupements entre le contenu des rapports et les témoignages que nous avons recueillis.
La plus importante est, de loin, celle qui couvre le littoral des Maures entre Hyères et le golfe de Saint-Tropez, jusqu'à Saint-Raphaël. Elle passe de 50 à 69 militants entre novembre et décembre. Les groupes locaux, restés isolés dans la reconstitution précédente, ont été réintégrés dans l'organisation varoise. Animés par Macario à Cogolin, les frères Battaglia et leur beau-frère Pinna à Sainte-Maxime, Noëlle Thomazo (dont le mari est interné) à Saint-Tropez, Félix Berthet et le responsable politique de la section Eugène Berre à Hyères, ils peuvent développer leur activité et, par exemple, faire paraître le premier journal clandestin local, Lou Travailladou, en mars 1942. Cela ne s'est pas fait sans mal. Promis pour janvier, repoussé en février où l'on marque une certaine réticence à le distribuer, il est critiqué par Mulland, responsable exigeant, qui y trouve des “ mots d'ordre qui ne correspondent pas à la situation présente ”(15 février 1942). Malgré tout, cette section n'en est pas moins un modèle. On prépare même sa “ décentralisation ”, vu son étendue.
Le Var intérieur ne comporte que deux sections aux effectifs limités. Tout reste donc à faire de ce côté-là. La section de Barjols (12 membres) est dirigée par Bardin, un militant chevronné, déjà relié au Parti par ses camarades de La Seyne en 1941. C'est l'un des espoirs de Mulland. Il est épaulé par sa femme dont les deux frères sont emprisonnés depuis 1941, mais il rencontre des difficultés pour engager dans l'action clandestine les anciens membres du Parti 8 Pour tout ce passage, nous nous appuyons sur les témoignages que nous avons collectés, en particulier, A. Macario, A. Battaglia 1980, P. Bardin et son épouse, née Canebier, originaires de La Seyne, 1980.. La section de Brignoles commence à peine à s'organiser et ne compte que trois militants dont le fils du député Charles Gaou, interné en Algérie. L'absence d'organisation à Draguignan, Tourves, Carnoules est surprenante et l'on ne sait s'il faut seulement la mettre sur le compte des incontestables problèmes de liaison.
Mais les principaux points de faiblesse se situent paradoxalement à Toulon et La Seyne. Avec 15 membres seulement chacune, ces deux sections restent marquées par les traces de la répression des années précédentes. Les cadres manquent, notamment à La Seyne. Mulland se plaint des militants prompts à se décourager, excessivement prudents à ses yeux, peu désireux de prendre des risques. La Seyne ne tient pas sa promesse de faire un journal d'usine parce que c'est trop dangereux (décembre 1941). Sa direction est donc modifiée en janvier, mais les problèmes persistent. La seule cellule organisée perd ses militants qui ne veulent pas distribuer le matériel et son trio de direction reste seul 9 Rapport fin janvier 1942 : “ La cellule n°1 n'a plus que le trio de direction. Cette cellule était complète et subitement elle vient de perdre ses effectifs. Le responsable politique de la cellule attribue cette désertion à ce que les camarades ont quitté le parti pour ne pas avoir à faire la diffusion du matériel ”. Tém. P. Pratali, l'un des reconstructeurs, 1980 a confirmé les réticences à distribuer la propagande. “ La mauvaise volonté à s'organiser ”est générale et “ beaucoup même refusent ” (fin janvier). À Toulon, la situation n'est guère plus brillante.
L'une des plus importantes difficultés rencontrées concerne l'application des principes destinés à assurer la sécurité. Le cloisonnement est difficile à mettre en œuvre. Dans la section Hyères-Saint-Tropez, les “ camarades de la base ne comprennent pas qu'on les isole des autres, car ils se connaissent ” (30 décembre 1941) et “ il n'existe aucun groupe de trois. Les responsables de cellules voient tous les adhérents ” (fin janvier).
Le travail du “ polo ” s'apparente donc à celui de Pénélope. Il doit sans cesse remettre en chantier une organisation à peine constituée. Cependant les mesures de sécurité qu'il préconise et que “ le centre ” renforce en n'acceptant que des cadres “ vérifiés et ratifiés ” (15 février) sont peu à peu adoptées.
Du coup, les arrestations opérées en mars 1942 sont moins catastrophiques que celles de l'année précédente et ne mettent pas toute l'organisation à terre. Mais les sections de Toulon et La Seyne sont très durement touchées en perdant près de la moitié de leurs adhérents. Le PCF traverse une nouvelle période difficile avec la fuite de Mulland le 17 mars, la rupture de la liaison avec Marseille et la nécessité de reconstruire une direction départementale (l'un des ouvriers arrêtés, Raphaël Carattini étant vraisemblablement l'OP régional 10 Carrattini est peut-être un adhérent récent. Il déclare à la police avoir commencé à faire de la propagande car sa nièce a été condamnée aux travaux forcés à perpétuité en mars 1941 à Lyon. Le trio communiste est formé du politique (le “ polo ”), du syndical et de l'OP (organisation - propagande). Dans le vocabulaire communiste, lĠéchelon dit régional correspond à des responsabilités départementales.). Le repli va durer jusqu'à l'automne 1942. Mais la conjoncture a changé. Le PCF a trouvé des forces neuves, même si elles sont encore peu nombreuses. Déjà, malgré les consignes, Mulland a confié des responsabilités à de nouveaux éléments, en particulier à La Seyne. À Toulon, la poignée de militants qui reste est constituée d'éléments sûrs. La section Hyères-Saint-Tropez est épargnée. Le PCF a abordé timidement le travail “ de masse ” et surtout a trouvé un relais avec le Front national.
2 - Sortir de l'isolementPour constituer autour de lui une couronne de sympathisants et pour reconquérir ceux qu'il a perdus en 1939 (parmi les “ démocrates ” notamment), le PCF compte sur le Front national. Mais il ne veut pas seulement élargir son audience. Il entend capter aussi le formidable courant de sympathie dont les Anglo-Saxons et la France Libre bénéficient et que capitalisent partiellement les mouvements gaullistes. L'action revendicative poursuit désormais un objectif semblable.
L'essentiel de la propagande diffusée depuis l'automne 1941 appelle à la formation du FN ou est censé provenir de lui. La dénonciation de la répression qui cherche à mobiliser ces “ démocrates ” se fait sous sa signature et c'est sur un tract en faveur de Mérot que l'on voit apparaître celle du Comité régional du Front national pour la première fois (Six-Fours, 24 novembre 1941). Quelques jours après, un Comité varois du Front national en appelle aux “ Patriotes Français ” (Toulon,13 décembre). Cette évolution des signatures ne correspond pas à l'état de l'organisation, mais seulement au volontarisme du PC.
À travers cette signature, il confirme sa volonté de regrouper tous les patriotes, des gaullistes aux communistes (par exemple dans “ Pour le pain et la liberté, pour la Libération de la Patrie ”). L'appel aux jeunes ouvriers pousse tant à la syndicalisation qu'à la formation de comités d'entreprise de la jeunesse française. Le tract destiné aux “ Marins de la flotte ”; s'adresse tant aux matelots qu'aux officiers et sous-officiers et les invite à former des comités du Front national 11 S. COURTOIS, Le PCF dans la guerre, Paris, 1980, p. 237 et suivantes, estime dans son analyse serrée de la ligne du parti que le FN a été abandonné entre décembre 1941 et mai 1942 au profit de l'action de masse. Cette évolution n'est pas sensible ici, ne serait-ce que parce que la ligne n'est répercutée qu'avec retard..
L'impact de cette tentative d'élargissement de la base politique et sociale est faible. Le FN n'existe pas vraiment au moment où Mulland doit partir. Il n'a aucun contact avec les autres mouvements clandestins qui ignoreront longtemps sa création locale. Cependant Mulland a désigné Paul Rigon pour donner quelque consistance à cette coquille. Ancien secrétaire de section, cet ouvrier de l'arsenal licencié, qui tient un établissement de bains-douches à Toulon, a eu jusque-là une attitude “ correcte ” d'après la police 12 ADV, 3 Z 4 30, Pol. spéc., 26 mai 1941. P. Rigon s'était fait remarquer le 3 septembre 1939 dans une altercation avec un anticommuniste qui l'avait pris à partie dans le tramway. Rigon avait dit à la police qu'il était démissionnaire du PC depuis deux mois (ADV, 4 M 59 4 4, procès-verbal, 3 septembre 1939).. Responsable départemental du FN, Rigon doit d'abord constituer “ rapidement ” un comité varois. Il faut aller vite. Mulland le lui écrit dans une lettre que l'on peut dater de novembre ou décembre 1941 13 Texte mis en annexe.. Il le charge “ de prendre le contact avec une personnalité socialiste ”. S'agit-il d'une personnalité définie ? Rien ne le prouve. Le recrutement du député maire de La Garde, Zunino, est, selon toute vraisemblance, plus tardif. Rigon doit trouver aussi des représentants d'autres familles spirituelles (catholiques, radicaux, etc.). La conception qui préside à la création du FN est sans ambiguïté. Il s'agit d'une création volontariste, faite à partir du sommet, d'une structure que l'on remplira après. Le PCF en est le seul maître d'Ïuvre. La résolution du comité national du FN doit être adoptée et non discutée, pas plus qu'il n'est question de “ discuter avec les socialistes ” vis-à-vis desquels la méfiance règne. Il est encore moins question d'établir des contacts d'organisation à organisation. Aussi le FN ne parvient-il guère à rallier, sauf exceptions locales plus tardives (comme Zunino). Son développement restera parallèle à celui du Parti.
Il est par contre possible que, dans une analyse un peu sommaire de “ la poussée des masses ”, la direction nationale du Parti ait été renforcée par ce grand mouvement revendicatif dans la tentation ouvriériste et révolutionnaire qui l'anime alors, d'après Stéphane Courtois 14 S. COURTOIS, op. cit., p. 261 et suivantes.. Croyant que les masses sont “ en avance ”, on a peut-être négligé ce que les rapports des cadres locaux laissent apparaître, c'est-à-dire les réticences de la base et pas seulement en ce qui concerne la lutte armée.
Reste, pour le Var, le cas brignolais. La police relève la concomitance des manifestations, les 16 et 17 janvier 1942, et d'une émission de Radio-France (Moscou), le 18, à 20 heures 45, précisément sur la situation varoise avec mention de ce qui se passe dans le bassin. Elle a évoqué les pétitions pour le ravitaillement qui s'y multiplieraient et les sabotages dans les mines de bauxite. Elle s'est terminée en assurant de la fidélité de la population les deux députés communistes internés en Afrique du Nord 15 ADBdR, M6 III 39, Préfet, rapport mensuel, 1er février 1942.. Cette émission met en évidence une liaison entre le mouvement constaté dans le bassin minier et des communistes qui ont un lien avec l'URSS. Mais quels communistes ?
3 - Le PCI récupéréNous savons l'organisation du PCF embryonnaire à Brignoles. Les groupes locaux informels qui ont pu subsister dans les localités des environs n'ont pas fait plus qu'entretenir un climat d'hostilité au régime et à ses représentants (à Tourves notamment). D'autre part, la presse du PCF (La V.O. en particulier) ne fera aucune place à la grève des mineurs du mois de mars, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire si le Parti en avait été à l'origine.
En fait, les seuls communistes capables d'avoir pu jouer un rôle dans le mouvement et d'avoir un moyen de liaison avec Moscou sont les communistes italiens. Il en existe un noyau à Brignoles, autour de Claude Vacca, ancien secrétaire du syndicat des mineurs. Ce groupe est-il à l'origine des mouvements de Brignoles et Tourves (pétition et manifestation) des 16 et 17 janvier, puis de la grève fin mars ? Tout laisse à penser qu'il les a au moins favorisés et certainement répercutés.
Notre prudence est due à l'absence de preuves formelles. Il est curieux en effet que Pajetta, encore responsable du PCI dans le Var, ne rapporte rien à ce sujet. Il se souvient seulement d'une tentative avortée au Luc, à l'extrémité du bassin et n'a eu, semble-t-il, aucun contact avec Brignoles. S'agit-il d'un oubli ? À moins que le noyau brignolais n'ait eu un contact direct avec Marseille, c'est-à-dire avec la direction centrale du PCI et qu'il ait par là constitué une petite structure clandestine autonome ? Ce serait surprenant. La découverte d'un tract (anonyme) au Cannet-des-Maures, près du Luc, lors de la grève, confirme de toute façon qu'il y ait un minimum d'organisation 16 Tract “ Mineurs ”, reproduit dans J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 45. La grève ne touche pas la partie ouest du bassin où se trouve le fief communiste de Tourves, mais seulement l'est où le PCF ne se reconstituera jamais tout à fait.. L'existence d'un travail revendicatif, s'appuyant sur la revendication alimentaire, par le PCI s'entrevoit aussi au Muy (près des Arcs où Pajetta a un groupe actif) un peu après. Le maire vichyste dénonce la participation d'ouvrières italiennes d'extrême gauche à la manifestation du 24 avril en précisant qu'elles ont quitté leur travail pour s'y rendre 17 ADV, 13 M 38, lettre du 25 avril 1942 réclamant des sanctions. Les protagonistes travaillent à la bouchonnerie Demuth. Le maire désigne trois initiatrices italiennes dont deux d'extrême gauche d'après lui, deux réfugiées de Menton et un naturalisé pour lequel il réclame la déchéance de la nationalité française.. Le travail en direction des ouvriers, et en particulier des mineurs, entre dans le cadre de l'action revendicative que le PCF tente de relancer et pour laquelle il utilise aussi les ressources des communistes italiens. Au même moment, les mineurs du Gard sont eux aussi en grève 18 Sur la ligne, S. COURTOIS, op. cit., p. 255 qui cite La V.O. du 21 février 1942 préconisant grèves et sabotages. P. Limagne, op. cit., p. 462, signale le 12 mars ces grèves des mines du Gard.. C'est précisément à cette époque que Pajetta est envoyé en mission à Saint-Etienne. Cette participation des communistes italiens à l'action de masse (que le PCF ne peut guère assurer dans la région) démontre aussi la réintégration du PCI dans le giron français. Il applique en effet les directives du PCF préconisant alors un durcissement de l'action.
Après la période “ française ” (jusqu'à la campagne en faveur de Mérot), la propagande du PCI traduit l'inflexion de ligne. Au début février 1942, une importante campagne est lancée pour protester contre l'extradition de Luigi Gallo (pseudonyme de Longo). Plusieurs centaines de papillons sont trouvés autour de Toulon, au Pradet le 5, à La Seyne le 6, et surtout à La Valette (huit cents à mille) dans la nuit du 8 au 9. Mais la plupart des mots d'ordre s'intègrent à la ligne d'action de masse du PCF. Confirmant notre hypothèse d'une responsabilité dans les mouvements enregistrés dans le bassin minier au début de l'année, le PCI diffuse des papillons (anonymes) destinés à ses mineurs en juin. Trouvés à Brignoles et près de deux chantiers, ils appellent au sabotage de la production et sont accompagnés, peu après, par un numéro de La Parola degli Italiani (n°12, mars 1942) où l'on demande aux Italiens d'entrer dans les syndicats et de s'unir ainsi aux Français “ pour revendiquer le droit à la vie ” 21 Papillons en français, polycopié, “ Mineurs de la bauxite" et “ Italiens des mines de bauxite ” (nuit du 22 au 23 juin, à Brignoles, en ville et à la mine de Pélicon, et à Vins, mine de Saint-Christophe). Le journal est trouvé le 29 à Brignoles.. La Relève est immédiatement dénoncée par d'autres tracts signés pour la première fois par Les Italiens Libres. Leur découverte simultanée à Draguignan, La Seyne, La Valette et Toulon, entre le 14 et le 23 juillet, témoigne de l'activité des groupes laissés par Pajetta.
Avant même son départ, ils s'étaient élargis pour commencer à devenir de petits pôles de regroupement des antifascistes étrangers. Alors que les autres partis italiens - le PSI notamment - ne manifestent aucune activité, ils attirent quelques Italiens non communistes, ainsi que des Arméniens (Cogolin et Draguignan), deux Grecs (Saint-Tropez), deux Polonaises, rescapées des Brigades Internationales et des camps d'internement, des Espagnols (Draguignan). Les groupes du PCI servent de base aux FTP-MOI dont la formation en Provence a lieu dans l'été 1942, lorsque le PCF entend pousser à la lutte armée en zone non occupée.
Les premiers sabotages auraient eu lieu avant. Pajetta rapporte qu'aux Arcs ses camarades ont commencé à glisser du sable dans les “ coussins ” des wagons 22 G. PAJETTA, op. cit., p. 144. (vers le début de l'année). Cette action est passée inaperçue. La première tentative d'attentat par explosif est signalée en octobre 1942 sur la voie ferrée, près de Saint-Raphaël où l'un des premiers groupes FTP-MOI du Var vient de se constituer.
La propagande diffusée alors témoigne de l'alignement sur la ligne gauchiste du PCF. Les tracts des Italiens Libres appellent eux aussi à la formation des FTP et à la lutte à outrance avec grève générale et prise d'armes 23 Tract “ Italiani ! ” de trois moutures différentes, à Toulon et La Seyne à la mi-octobre 1942 (signalé aussi à Nice le 24).. Aux approches du 11 novembre, leurs tracts sont mêlés à ceux du Front national à Toulon et sont répandus à des milliers d'exemplaires à Fréjus et Saint-Raphaël. Ils invitent “ Patrioti ”, “ Cattolici ”, mais aussi “ Fascisti ” à manifester avec les Français 24 Toulon, 7 novembre 1942 ; Fréjus-Saint-Raphaël, entre le 8 et le 10..
Désormais les groupes du PCF et ceux du PCI agissent en parallèle. Bien que les contacts soient interdits à la base (et soient limités à l'échelon interrégional), des liens s'établissent dans les petites localités. D'abord méfiants, les communistes français de la région tropézienne savent maintenant qu'ils ne sont pas seuls. À Saint-Raphaël, les jeunes recrues trop “ françaises ” de Pajetta ont renoué avec le PCF et sont au confluent des deux organisations comme le sont ou le seront la plupart des groupes FTP.
4 - La reconstitution définitiveLes militants seynois et toulonnais arrêtés en mars 1942 sont jugés les 26 et 27 mai par le tribunal maritime 25 Louise Dollinger, Dupart et Carattini sont condamnés à dix ans de travaux forcés, Lelièvre à cinq ans, sept autres inculpés reçoivent entre cinq et un an de prison et deux sont acquittés.. Dans ce secteur, la reconstitution demande plusieurs mois. L'interruption d'activité dure jusqu'en octobre. Les seules Humanités en circulation sont des faux, répandus par le PPF (La Seyne, le 20 juin) ou par la JFOM (L'Humanité sans roubles, Toulon, le 29 juillet 26 Opération montée par le secrétaire dĠÉtat à la propagande, Paul Marion.). Le seul tract signalé est celui du FN appelant à la manifestation le 13 juillet.
Dans le Var intérieur, les communistes ne donnent plus signe de vie. Ils sont de nouveau coupés. Seul le littoral, malgré les difficultés de liaison, maintient une activité perceptible. À Hyères, au Lavandou, à Saint-Tropez, tracts et journaux continuent à être diffusés (sans signature ou sous celle du FN). Le seul Seynois identifié en mars 1942, mais non arrêté, s'est réfugié à Saint-Raphaël. Celui-ci, le cheminot Giocondi, est hébergé par les Landini qui sont l'un des maillons importants de l'organisation sur ce secteur, au carrefour du PCF et du PCI. Avec un bel ensemble, dans la nuit du 1er mai, ces groupes collent des affiches, jettent des tracts dans la rue, déposent des gerbes aux monuments aux morts, en hommage aux victimes du nazisme (Le Lavandou, Saint-Tropez, Cogolin, Saint-Raphaël) 27 Ces gerbes portent “ Honneur aux patriotes fusillés par les boches ” (Cogolin), “ Hommage aux patriotes assassinés ” (Saint-Tropez). Les Landini et leurs amis ont posé une banderole semblable sur la statue du monument de Saint-Raphaël.. Les tracts (signés du FN ou du Comité populaire des ménagères) appellent, encore vainement, à manifester le lendemain. L'activité se ralentit fortement après l'arrestation à Saint-Tropez de trois diffuseurs du Travailladou, Barthélémy Orla, syndicaliste CGT, Noël Grangeon, membre d'une famille de militants communistes, et l'ancien conseiller municipal socialiste Honoré Laloy 28 Orla, arrêté le 14 avril, est condamné à un an de prison par le tribunal maritime de Toulon, le 22 juillet 1942. Grangeon qui figurait sur une liste de “ militants dangereux ” établie le 17 mars 1942 et Laloy sont arrêtés le 6 mai et seront acquittés.. Pourtant la seule conséquence qui en résulte est la disparition du journal.
À Toulon même, la section ville est reconstruite grâce au travail patient de “ vieux ” militants comme le méthodique et discret Pierre Mériglier Roger (ou Daniel et Bastien), le “ polo ”. Celle de l'arsenal est remise sur pied par Paul Repetto Daniel Dieppe, responsable politique, et Benjamin Costa qui le remplace lorsqu'il passe au FTP à l'automne. Elle comprend de nouveaux adhérents, des jeunes, cégétistes avant-guerre comme Marius Guès ou Joseph Bessone, ou des communistes qui s'étaient éloignés du parti comme Edmond Mouska. Ce sont eux que l'on va mettre en avant. Guès avait déjà distribué la propagande en 1941, mais il n'était que sympathisant. Mouska (agent du réseau F2) et Bessone avaient commencé par écouter, qui Londres, qui Moscou et par faire quelques graffitis, d'où leur repérage par des communistes organisés.
À La Seyne, même schéma avec quelques rescapés de la répression, de “ vieux ” militants sur lesquels repose la reconstitution (le garagiste Georges Monaco en particulier) et des jeunes, adhérents de la clandestinité comme les instituteurs Marius Autran, l'un des inculpés de mars 1942, et Toussaint Merle ou le garagiste Paul Pratali. Les uns se chargent du Parti, les autres de l'OS ou de commencer à élargir l'audience dans le cadre du Front national.
Une liaison régulière est enfin assurée avec Carnoules par des cheminots comme Emile Polge ou des salariés de l'arsenal qui y habitent comme Paul Bouy. Il est surprenant de constater combien il a fallu attendre longtemps pour renouer avec ce fief (première municipalité communiste du Var), resté jusque-là à l'écart des tentatives précédentes comme si le repli sur la sphère villageoise avait prévalu. Le démarrage n'est effectif qu'après mai 1942, c'est-à-dire la libération de Polge et encore la liaison n'est-elle pas assurée avec le Parti, mais avec le Front national. Par Louis Michel, l'un des piliers de l'Ouest toulonnais, le contact est établi avec Saint-Maximin, mais sans qu'il y ait vraiment organisation du Parti, peut-être parce que les quelques militants touchés participent déjà à la Résistance locale. À Draguignan, la réintégration se fait sans doute grâce au PCI et, par là, Français et étrangers mêlés, les communistes peuvent rayonner sur Flayosc, Aups et Salernes. La reconstitution s'y effectue en s'appuyant, en général, ici aussi, sur de “ vieux ” militants 31 À Salernes, elle se fait autour du cheminot Célestin Groulier, de Lucien Pizan, de retour de camp d'internement en avril 1942, et du réfugié de Menton, Dante, qui mettent en avant des militants plus jeunes comme le boulanger Jacques Polidori. Même processus semble-t-il à Flayosc où la reconstitution commence par un “ vieux ” militant de Marseille, Guichard, et par les conseillers municipaux révoqués considérés comme sûrs, C. Mablor E. German et H. Guigues, auxquels se joignent des jeunes comme J. Oliva (tém. ANACR, s.d., tém. Mablor, German, Guigues 1982)..
Les témoins signalent aussi le début des petits sabotages. À Carnoules, les cheminots résistants siphonnent la boîte à huile, y mettent des débris de meule pour gripper les essieux ou bien enlèvent les clavettes des têtes de bielles 32 Arch. ANACR, tém. anonyme, manuscrit, sur la Résistance organisée au dépôt, 20 mars 1976 et E . Polge, tém. cit.. Cette action relève davantage de la résistance spontanée que de la résistance organisée. Elle est assurément favorisée, mais il est impossible d'avoir une idée de son ampleur. Les sources officielles sont muettes. Sans doute est-elle moins fréquente que ce qu'il se dégage de nombre de témoignages. La propagande reste avec la “ solidarité ” (et, sur le littoral, le renseignement), la principale forme d'activité. Malgré les difficultés rencontrées pour faire diffuser les feuilles clandestines 33 Tém. P. Bouy à Carnoules (on retrouvera des journaux non distribués au dépôt), P. Pratali à La Seyne, P. Bardin à Barjols., l'effort de propagande est considérable par rapport à la précédente période et l'activisme dont il témoigne tranche sur l'atonie d'avant. La propagande reçue de l'extérieur est abondante, du moins en ce qui concerne les tracts 34 En octobre et novembre 1942, 28 types de tracts différents sont signalés (PCF, FN, Comités Populaires). Les plus répandus, de provenance extérieure, sont imprimés : appels divers à la marche des femmes sur Vichy (Union des Comités populaires des femmes de France), “ La véhémente protestation de Jules Jeanneney et Edouard Herriot ” (PCF), “ Les Boches veulent massacrer... ” (non signé), “ L'appel à la classe ouvrière ” (Union des Comités populaires de France). En revanche, aucun journal clandestin n'est retrouvé. Le numéro de France d'Abord d'octobre 1942 n'est pas signalé par la police, mais nous savons qu'il est parvenu à Toulon grâce à J. Castel et P. Mériglier qui en avaient gardé un exemplaire.. À l'évidence, une autre structure clandestine est en place, probablement dirigée par le Lyonnais Genton Guillaume 35 J.-L. PANICACCI signale que la réorganisation des Alpes-Maritimes est réalisée à peu près au même moment, à la fin de l'été 1942 (op. cit., p. 49, note 7).. Nous ne savons pas qui d'autre participe au triangle de direction. La génération de la Résistance et les libérés des camps commencent à assumer des responsabilités. L'organisation reste fragile et le fait qu'il n'y ait pas encore de journaux locaux l'illustre. Mais le PCF met ses espoirs sur le FN pour aider à son ancrage.
Les circonstances sont favorables. Stalingrad revalorise l'image de l'URSS dans la population et les ouvriers se mettent à sortir de leur torpeur. Échappant à la répression de 1942, les dirigeants du FN ont contribué à la reconquête du terrain, à son élargissement géographique et social et à la remise en place de l'organisation. C'est par eux que les communistes de Carnoules ont pu renouer. Malgré sa dépendance vis-à-vis du Parti et sans parvenir à gagner vraiment des couches nouvelles, le FN peut servir localement de point de rencontre entre communistes et socialistes ou bourgeois patriotes. C'est sans doute vers cette époque que Rigon prend contact avec l'ancien député maire SFIO de La Garde, Zunino, par l'intermédiaire de Fernand Barrat, ouvrier de l'arsenal et ancien trésorier de la section socialiste de la commune, déçu par l'inaction de ses anciens camarades. Est-ce alors ou plus tard que Zunino, rompant avec l'attentisme dont il a fait preuve 36 Tém. F. Barrat 1981 sur cette adhésion et l'attentisme de Zunino. Il est sûr qu'il s'est tenu à l'écart de la reconstitution du CAS. Ses camarades socialistes diront l'avoir laissé de côté, à cause de son attitude ambiguë dans les premiers temps de la Révolution nationale. Mais ce jugement critique date d'après la Libération, au moment où on lui reproche d'être devenu un “ compagnon de route ”., adhère au FN ? Quoi qu'il en soit, ce député, qui a été l'un des 80, est une aubaine pour le Parti communiste, aussi sera-t-il propulsé au Comité directeur du FN de zone Sud. D'autres recrues importantes sont faites comme, à La Seyne le docteur Jean Sauvet qui deviendra maire en 1945. À Saint-Tropez, commence à se dessiner le rapprochement des milieux patriotes bourgeois et des communistes qui aura tant d'importance par la suite. L'artisan en est le docteur Raymond Leibovici, replié dans cette localité. Faisant la liaison avec Paris, il favorise l'extension du FN zone Sud en prenant contact avec des personnalités connues. Son activité met en lumière le rôle de “ couverture ” et d'écran de sécurité que joue le FN pour le Parti. Nous y reviendrons. C'est vraisemblablement par lui qu'Augustin Grangeon, l'un des militants communistes les plus actifs, a reçu pour consigne de prendre contact avec le professeur Gilbert-Dreyfus, réfugié de Paris lui aussi, et venu rejoindre son épouse. Gilbert-Dreyfus est chargé du FN local dont la création est annoncée par un tract le 13 octobre 37 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 628-629 évoque ce FN de Saint-Tropez avec des erreurs : l'architecte Gilbert ne le rejoindra qu'après l'Occupation, il n'y a jamais eu de journal intitulé Le Var rouge (confusion probable avec Rouge-Midi qui reparaîtra après l'Occupation), ni d'éditoriaux se terminant “ invariablement par “ Vive de Gaulle ”... Les activités du FN du Var ne peuvent se comparer ni alors, ni après, avec celles des mouvements gaullistes.. Il place à sa tête un jésuite, le père Tyson. Le FN se manifeste en peignant des croix de Lorraine rouges sur les portes des légionnaires dans la nuit du 2 novembre. Mais, pour le moment, même là, le comité local du FN n'est pas vraiment constitué. Force est de constater que ce mouvement, dans l'ensemble du département, ne représente pas grand-chose à l'automne 1942, bien que le PCF commence à placer quelque espoir dans une organisation qui lui permet, à l'occasion de faire avancer le “ front ” de la reconquête.
Henri Noguères souligne, non sans malignité, “ la relative passivité des communistes de zone Sud ”, encore en 1942 38 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 629.. Elle tient toujours aux conséquences de la répression qui s'est abattue sur eux. Mais elle n'est bien souvent qu'une apparence. On le sait à Vichy où l'on reste tout autant obnubilé par le PCF et où l'on prend toujours grand soin de tenir les préfets au courant de ses activités.
5 - Les premiers pas des FTPAvant que les premiers attentats n'aient eu lieu, Vichy a prévenu ses fonctionnaires de l'inflexion du PCF vers la lutte armée en zone non occupée. Une circulaire du 27 mars 1942 tire le signal d'alarme : les communistes entendent passer à l'action partout et par tous les moyens pour soulager l'Armée rouge. En avril, d'autres textes précisent qu'ils projettent des sabotages et des attentats contre les membres des commissions d'armistice. Le 30 juin, le préfet fait savoir que le PCF aurait décidé d'étendre son champ d'action en zone non occupée et se tiendrait prêt “ à créer du désordre ” en cas de débarquement anglo-saxon 39 Circulaire n° 247, Ministère de l'Intérieur, 27 mars (ADV, 1 W 3), télégramme du 13 avril prévenant les préfets des projets d'attentats contre les commissions d'armistice (1 W 63 et circulaire du préfet consécutive en 3 Z 4 33), circulaire de Vichy le 3 juin insistant sur la menace terroriste qu'ils font peser (3 Z 4 30), circulaire du 30 juin (3 Z 4 33)..
Les autorités savent que quelque chose se met en place. FTP ou OS ? Les deux sigles sont employés. Vichy a annoncé le 3 janvier 1942 l'apparition des FTP, mais la circulaire du 30 juin évoque “ des groupes terroristes d'obédience communiste dits O.S ”. Il est en effet plus juste de s'en tenir pour l'instant à cette appellation. Elle aura cours jusqu'au début 1943 chez les militants.
Dans le Var, l'OS reste embryonnaire. Évadé de Chibron en 1940, Edgard Manguine a été chargé de la créer, après plusieurs mois passés “ au vert ”, à La Cadière. On est alors à la fin de 1941. Les opérations de recrutement sont lentes. Les militants choisis sont soigneusement triés. Ce sont des militants confirmés, comme Bardin à Barjols ou Macario à Cogolin qui reçoivent la visite d'émissaires venus de Marseille ou de La Ciotat à ce sujet. Manguine Nicolas ne peut prendre contact qu'avec les hommes dont les noms lui ont été fournis. Il dira en avoir eu à Sainte-Maxime, Cogolin et La Seyne 40 Tém. E. Manguine 1983, P. Bardin, A. Macario qui ne se souvient pas du contact avec Manguine, mais a reçu la visite de Victor, venu de La Ciotat (qui pourrait être Victor Gagnaire). Le contact de Manguine à La Seyne était G. Monaco et, à Sainte-Maxime, sans doute, J. Pinna.. Ce n'est pas encore le temps des attentats ou des sabotages. Il s'agit en fait de mettre en place un réseau parallèle qui commence, à l'occasion, à faire du renseignement et qui pourra éventuellement fournir des groupes d'action. Ces noyaux serviront à la construction ultérieure des FTP. Le Var n'est pas un bon observatoire pour examiner cet aspect de l'activité clandestine communiste. Toutefois, et curieusement, les boîtes aux lettres de Manguine à Toulon seraient la pharmacie de Frank Arnal (Combat) et un bar près de la gare qui pourrait être celui d'Orsini (idem). Cette rencontre, si elle a bien lieu à ce moment-là, n'est pas fortuite 41 E. Manguine confondait sans doute deux périodes, ces boîtes aux lettres étant probablement celles que ses hommes utiliseront, après l'Occupation, lorsquĠil est responsable de la sécurité de lĠantenne du service B, installée à La Ciotat, période sur laquelle nous reviendrons. Ce serait d'autant plus vraisemblable qu'Arnal est alors responsable du SR des MUR. Mais la collaboration a pu commencer avant dans le cadre des contacts avec les réseaux anglais.. À Marseille, une véritable intégration s'opère entre les Groupes Francs de Combat et l'OS dans le courant de 1942. Les uns fournissent la structure et des moyens (financiers ou militaires), les autres fournissent les hommes sans qu'il y ait encore accord politique entre le PCF et Combat. Il est vrai que certains résistants font le lien et permettent au Parti de ne pas forcément se découvrir. Le communiste Francis Halbwachs n'est-il pas le responsable départemental adjoint du ROP dans les Bouches-du-Rhône ? Il est sans doute l'un des hommes clés des structures parallèles, de renseignement ou d'action. Car nous sommes au moment où le Parti, pour se procurer des armes, recherche la liaison avec les autres organisations, directement ou indirectement (par exemple par le FN). Il y a échange d'hommes et de services entre les divers réseaux, ce dont les acteurs de base n'ont pas été (et ne sont pas toujours) conscients. On en a vu un exemple, en apparence de nature différente, avec le GF de Franc-Tireur.
L'action de Raymond Leibovici nous en fournit un exemple encore plus éclairant. Son rôle dépasse le cadre local. Faisant plusieurs voyages entre Paris et Saint-Tropez, émissaire du FN, Leibovici Maxime est un maillon essentiel de la Résistance communiste nationale 42 Ce que confirme J. JÉROME, Les clandestins 1940-1944, Paris, 1984, p. 78-80 : Leibovici lui annonce la formation d'un Comité FN zone Sud à Lyon et lui donne les noms de ceux qui le composent (en avril 1941, date qui laisse évidemment sceptique). Sur Leibovici, R. FALIGOT et R. KAUFFER, Service B, Paris, 1985, p. 23 : il serait devenu au début 1942 le responsable national du FN médecine (là aussi la date laisse sceptique), en relation avec G. Beyer, responsable du renseignement au comité dirigeant l'OS. Il sera par la suite au centre des contacts entre gaullistes et communistes en zone Nord. Il quitte Saint-Tropez probablement au moment de l'occupation de la zone Sud. dans les contacts qu'elle tisse en 1942 avec les autres organisations de résistance. Bien que nous n'ayons connaissance que de quelques éléments de son action ou de celle de ses amis, nous savons qu'à Saint-Tropez et sur la côte, il est en relation avec les mouvements gaullistes et avec les services britanniques. Malgré la surveillance dont il est l'objet, Leibovici reçoit à Saint-Tropez André Jacquot Latour, membre du trio de direction de zone du PCF en zone non occupée, à plusieurs reprises, en 1942, notamment en septembre 43 Sur la surveillance dont Leibovici est l'objet, ADV, cabinet 884 2, enquête sur dénonciation, 2 octobre 1941, en vain. Sur Jacquot, tém. Gilbert-Dreyfus, op. cit. qui affirme être à l'origine du pseudonyme (Latour) que gardera Jacquot (qui serait venu à Saint-Tropez comme Michel). R. FALIGOT et R. KAUFFER, op. cit., p. 175 donnent Jacquot comme le “ personnage clef de l'organisation communiste en zone Sud ”, ce que J. JÉRÔME, La part des hommes, Paris, 198 p. 279, n'infirme pas (erreur sur le nom : Jacoud).. Jacquot vient établir des contacts parallèles à ceux que nouent, en zone Nord, Rémy et Jean Jérome. Ce dernier est d'ailleurs au courant du travail de Jacquot et des rencontres qu'il peut faire (notamment chez Maistre, ancien patron du Chabanais, célèbre maison close parisienne...), bien qu'il en minimise l'importance. Jacquot cherche surtout à nouer des relations avec d'autres organisations, en particulier celles qui dépendent du SOE, pour permettre aux FTP d'avoir des armes. Sans doute prépare-t-il aussi le développement du service de renseignement. L'aide de Leibovici est précieuse. Il a des amis varois qui lui permettent d'établir des contacts. Ainsi Leibovici peut-il rencontrer le capitaine Trolley de Prévaux, et, grâce à lui, le responsable du sous-réseau Marine du réseau F2, Léon Sliwinski Jean Bol, pour lui demander de faire attribuer des parachutages au FN. Un accord de troc est conclu. Leibovici fera passer des renseignements au réseau moyennant finances 44 AN, 72 AJ 52 correspondance transmise par L. Sliwinski. Leibovici lui écrit le 30 novembre 1979 qu'il a été envoyé à Saint-Tropez par la direction des FTP pour faire saboter le chemin de fer côtier et attaquer les Allemands installés dans leurs batteries du littoral... C'est parfaitement invraisemblable (pas d'occupation alors, quant à l'importance stratégique du “ train du mimosa" ”..). En revanche il confirme son accord avec Trolley. Sliwinski lui répond le 4 décembre 1979 qu'il se souvient l'avoir rencontré comme “ représentant d'une organisation communiste cherchant le contact avec les Anglais pour recevoir des parachutages ”.. Mme Gilbert-Dreyfus fera la liaison. Elle est considérée par Lévy-Rueff comme l'un des bons agents de son sous-réseau. Elle fournit, par exemple, les renseignements collectés par les militants communistes qui travaillent à l'usine de torpilles. Par ailleurs, son mari, le Dr Gilbert-Dreyfus, responsable local du FN, est entré en relation avec l'architecte Roger Gilbert. Grâce à un ami cannois, il le sait appartenir au réseau Carte et être en attente d'un débarquement d'armes (qui n'aura finalement pas lieu) sur la plage des Canebiers. Peut-être, est-ce par lui que Leibovici a pu joindre le réseau Carte ? C'est Gilbert-Dreyfus qui conduit Jacquot à Cannes pour rencontrer Fernand-Laurent, ancien directeur du Jour-Echo de Paris, homme politique connu, membre de Combat et de divers réseaux, lié à de très nombreuses personnalités de la Résistance. Le garagiste Gohman, de Fréjus-Plage, une autre relation de Leibovici, peut avoir joué un rôle important d'intermédiaire. Ce gaulliste de la première heure, membre de Combat, participe aussi aux réseaux anglais. C'est probablement lui qui permet à Jacquot de rencontrer le responsable de Combat pour le secteur, Albert Textoris. Le témoignage de ce dernier - qui a toujours ignoré l'identité et les responsabilités de son interlocuteur, sachant seulement qu'il vient de Lyon et qu'il est important - est précis sur certains points : la rencontre a lieu à l'hôtel Bain (ou de France), à Saint-Raphaël, elle dure peu, le délégué aurait reconnu qu'il n'avait aucune organisation dans la région, il est prêt à faire adhérer les communistes à Combat (on présume qu'il a dû demander des armes en échange) car le mot d'ordre est “ chasser les Boches ”. L'accord se serait fait après avoir donné l'assurance à Textoris que la volonté des communistes était bien de restaurer la République 45 Tém. A. Textoris 1985. Il était accompagné du colonel Fourrier par lequel est passée la demande de contact. L'Hôtel de France est tenu par des résistants de Combat. Le mot d'ordre avancé est celui de France d'abord d'octobre 1942. C'est à la suite de cette rencontre que Textoris se serait tourné vers les communistes du Muy pour former l'AS.. L'intégration de l'OS et des GF de Combat à Marseille au même moment donne une certaine validité au témoignage. Ces éléments confirment la mise en place d'une collaboration entre les communistes et les services britanniques, ce qui a été constaté en d'autres points du territoire, mais aussi avec Combat. Accessoirement, si l'on peut dire, la région de Saint-Tropez apparaît comme le carrefour des organisations clandestines, françaises et étrangères (on l'a vu avec le PCI), communistes et non communistes.
Les premiers triangles FTP sont mis en place dans l'été 1942 avec de jeunes communistes ou de jeunes recrues du FN. Il n'y a pas encore d' “ appareil ” propre à cette organisation. C'est vraisemblablement toujours celui de l'OS. Le service de renseignement fonctionne et, par les indications que fournissent les cheminots, il est possible de préparer les premières actions. Les contacts noués avec les autres organisations vont permettre d'avoir un peu de matériel. Mais, pour l'instant, la présence des FTP se limite à deux secteurs :
- Sur le littoral avec des membres de l'OS comme Macario, Marcel Battaglia, Pinna (Sainte-Maxime-Cogolin) et avec de jeunes immigrés de Fréjus-Saint-Raphaël, organisés par le PCI, dirigés par Roger Landini. Les deux groupes sont en relation (anciennes, d'avant-guerre, politiques et amicales). Ces hommes sont vraisemblablement à l'origine de la première tentative de sabotage de la voie ferrée par explosif, décelée dans le Var. Le sabotage a échoué. Il est révélé le 12 octobre lorsqu'un cheminot découvre douze cartouches d'explosif avec une mèche lente à Boulouris (Saint-Raphaël). C'est un début et d'autres actions sont préparées. Le matériel provient surtout des carrières du secteur, mais, peut-être, quelques explosifs sont-ils obtenus par l'intermédiaire de membres de réseaux britanniques 46 Tém. L. Landini et A. Macario. R. Landini a probablement renoué avec l'organisation du PCF par Pinna. Sur la tentative d'attentat, ADV, 1 W 81, Gend., 12 octobre et Pol. Jud., 30 octobre. Deux cartouches d'ablonite peuvent provenir d'un chantier voisin. Mais d'où viennent les autres ? D'autant qu'un attentat semblable a été fait vers Cagnes. Macario se souvenait d'un sabotage réalisé avec Pinna dans le secteur de Saint-Raphaël. ? Ces militants assurent aussi les diffusions de tracts les plus audacieuses. Ceux de Fréjus-Saint-Raphaël inondent les localités de tracts en novembre. Le 12, la police découvre à Fréjus deux valises contenant plusieurs dizaines de ces tracts (PCF et Front national) ainsi qu'un fusil allemand, un mauser, démonté 47 ADV,, 6 M 18 8, Pol. locale, 12 novembre 1942.. Ce matériel est-il en transit ou leur est-il destiné ? La présence de l'arme à côté des tracts est en tout cas significative du tournant pris.
- À Toulon, les FTP sont formés à peu près au même moment comme le suggère la distribution d'un tract du FN faisant, pour la première fois, mention de cette organisation (nuit du 16 au 17 octobre, Toulon-La Seyne). Paul Repetto, jusque-là responsable politique de la section arsenal du Parti, participe à l'un des premiers trios. Il fait équipe avec Louis Fillon, autre ouvrier de l'arsenal, et René Cozzano, un photographe de 28 ans. Fin octobre, celui-ci leur montre du plastic et des crayons retardateurs. Ils projettent d'utiliser ce matériel simultanément contre les sièges du PPF, du SOL et de la Légion. La présence de la police les empêche d'agir le 2 novembre au soir. L'affaire est renvoyée, mais le 7 novembre, Cozzano, seul, place une charge au siège du SOL, le cercle Mermoz, sur l'artère centrale de la ville, le boulevard de Strasbourg. La charge explose à 21 heures 34. C'est le premier attentat de ce genre réalisé dans le Var. L'explosif provient, on le sait déjà, de Franc-Tireur. Le trio est, en fait, l'un des groupes sur lequel compte Mentha pour faire les sabotages. L'attentat effectué est celui qu'il revendique pour sa propre organisation. Cozzano a probablement suivi la même évolution qu'un autre jeune résistant de Franc-Tireur, lui aussi devenu FTP, Emmanuel Bouchard que Repetto dit déçu par son mouvement et par l'AS 48 ADV, 1 W 60, interception téléphonique, 9 novembre 1942, où le chef départemental SOL explique que la réunion s'est terminée plus tôt que prévue le soir de l'attentat. Il y a eu deux blessés (le barman et une passante). Tém. A. Repetto, manuscrit, et P. Valérie, l'un des membres du trio FTP de Bouchard au même moment..
Cette “ confusion ” dans les groupes d'action de mouvements qui s'ignorent sur d'autres plans est significative du petit nombre de militants prêts à passer à l'action armée (et en particulier du petit nombre de militants politiques), mais aussi de l'attirance que commence à exercer le PCF, par l'intermédiaire des FTP, sur les jeunes résistants. Elle annonce ce qui se passera avec les maquis un peu plus tard. Glissement des activistes gaullistes vers les FTP, utilisation de communistes par les mouvements qui ne le sont pas et qui manquent de main-d'œuvre pour l'action annoncent aussi l'espèce de partage des tâches que l'on constatera par la suite, chacun faisant ce qui correspond à sa culture politique, à son âge et à sa position sociale. Aux uns, le travail politique prospectif, aux autres, l'action (insurrectionnelle ou de masse).
Le Parti communiste a réussi à survivre aux coups de la répression et à surmonter la douloureuse épreuve de 1939-40. Il l'a fait en se repliant sur une organisation minimale. Mais cette rétraction est surtout une transformation en organisation de combat clandestine. Il a fallu plus de deux ans pour y arriver, pour faire pénétrer, en particulier, les règles de sécurité. Il a fallu fabriquer un type nouveau de militant. Non sans mal, car c'était une véritable entreprise d'acculturation. Les appuis locaux ont eu des difficultés à leur faire adopter ce nouveau modèle, et, peut-être surtout, à surmonter la peur. À la veille de l'Occupation, le pari est gagné.
Contrôlant quelques centaines de militants dévoués, parfois exemplaires, souvent jeunes, Français ou immigrés, porté par le succès de l'Armée rouge, soudé par une structure clandestine que la police ne parviendra plus à démanteler, le mouvement communiste est devenu, avant l'Occupation, une force homogène avec laquelle les mouvements gaullistes devront apprendre à compter désormais. Indispensables dans l'action, présents sur tous les fronts (et plus par militantisme que par volonté de noyautage), en voie de renouvellement, implantés en milieu populaire ce qui n'est pas toujours le cas des gaullistes, les communistes commencent à attirer certains des déçus de la mouvance gaulliste-socialiste. Le FN et les FTP ne représentent pas grand-chose, mais peuvent servir de structures d'accueil pour les nouvelles recrues de la Résistance. Probablement moins nombreux que les adhérents des mouvements gaullistes, certainement moins influents dans l'opinion et dans l'appareil d'État, les communistes ont déjà un potentiel de développement plus important.