Portés par l'évolution de l'opinion qui favorise leur croissance et, en même temps agents actifs de cette évolution, les mouvements sortent des limbes flous et fragiles où ils se trouvaient jusque-là. Le temps de l'apprentissage de la clandestinité n'est pas révolu. Ils ne touchent pas encore la masse, même pas indirectement, malgré l'émergence de ces actions “ de masse ” (qui n'en sont pas moins minoritaires). Mais, en étoffant leur base et leur encadrement, ils assurent une relative permanence à leur action. Cette structuration s'accompagne d'une spécialisation. Les réseaux se différencient désormais nettement des autres organisations clandestines, même si subsiste une communauté de base certaine.
La formation d'états-majors à la tête de chacune des relativement nombreuses organisations peut laisser croire à une cristallisation sectaire sur une base clanique alors que prend fin le va-et-vient entre noyaux de résistance constaté jusque-là. Mais la confusion à la base qui continue de prévaloir facilitera le dépassement des inévitables rivalités. Les plus grands de ces mouvements n'ont-ils pas fait acte d'allégeance à la France Libre, les uns après les autres (Combat en mai, Libération en août, Franc-Tireur en septembre 1942), suivant en cela une base qui était presque unanimement gaulliste ?
1 - Combat s'enracine
Pierre Vallet, responsable départemental de Combat est alors entré en relation avec Robert Blum et peut-être par là avec Joseph Orsini. Cette intégration dans Combat lui donne une nette avance sur le plan “ militaire ” dans la région toulonnaise. Son premier tract (“ Vers le déshonneur et la servitude ”) est signalé le 4 janvier 1942 et confirme son organisation sur Toulon à cette époque. Peu après, Vallet cède le commandement à Blum et, tout en continuant à se charger des liaisons avec Marseille, ne dirige plus que le secteur où il réside 2 Vraisemblablement en février 1942 (tém. Fortoul) et non en mai (tém. Melle Bonnans)..
Une recrue de choix est faite par le responsable du deuxième bureau, Maître Auscher, grâce à l'un des pionniers de la Résistance dans la police, André Ghibaudo. Il s'agit du secrétaire général de la sous-préfecture, Henri Sarie, arrivé à Toulon en juillet 1941, qui devient rapidement responsable du cinquième bureau 3 Tém. Me Auscher (ADV, cabinet 534). Sarie a été présenté à cet avocat lors d'une réunion chez un certain Mercier qui est vraisemblablement le capitaine Bonnet, chef du service de camouflage du matériel militaire.. C'est ainsi que commence la “ carrière ” résistante de l'une des plus importantes personnalités de la Résistance varoise. Républicain du Sud-Ouest, homme pondéré, organisateur avisé, ses responsabilités professionnelles le placent au cœur de l'appareil d'État. Avec les officiers, il est le type même de la bonne recrue, selon les consignes données par Frenay, et une recrue qui effectue des adhésions précieuses, celle, par exemple, du commandant de la gendarmerie de Toulon, le capitaine Dailly. Chargé du ROP (recrutement, organisation, propagande) et du NAP (noyautage des administrations publiques) à sa création en septembre 1942, Sarie devient naturellement le successeur de Blum à la tête de Combat dans le Var, lorsque celui-ci part pour Grenoble, vers la même époque.
Idéologiquement hétérogène (sans doute trop pour les militants qui mettent sur pied Libération au même moment), politiquement ouvert, il est pourtant très homogène socialement. Mouvement de cadres, il recrute surtout dans la bourgeoisie urbaine des professions libérales et des fonctionnaires d'autorité, dans des milieux marqués par une certaine culture militaire.
Mais la chance de Combat est de s'implanter aussi ailleurs. Dans l'Est Varois, le mouvement est à la fois moins bourgeois et plus politique. Le recrutement militaire paraît s'être tari. Les civils en ont la direction. André Ruelle est arrêté le 22 décembre 1941 à Flayosc, près de Draguignan, et, en même temps que lui, un commerçant en TSF de Fréjus-Plage qui entreposait tracts et journaux et un journaliste du Cros-de-Cagnes (Alpes-Maritimes) qui était chargé de la ventilation du matériel fourni par Marseille. Interrogés et frappés à Nice, puis incarcérés à Marseille (fort Saint-Nicolas) avant d'être jugés par le tribunal militaire, Ruelle et ses amis sont sur la touche 5 Ils sont jugés le 29 avril 1942. Ruelle que la SNCF a licencié est condamné à cinq mois de prison avec sursis, Justin Fabre, le commerçant fréjussien, à quatre mois avec sursis. Ce dernier est un radical, ancien Croix-de-Feu, d'après la police (ADV, cabinet 883 1).. Le relais est assuré par Eugène Martin Bâton, employé des contributions directes, et par un inspecteur de police en instance de révocation comme franc-maçon, Albert Pierrugues, assistés pour l'AS (qui se confond en fait avec les sizaines du mouvement) par un officier en retraite, franc-maçon lui aussi, le commandant Clément Roux. Le groupe continue de servir de vivier aux réseaux de renseignement (britanniques) qui s'étendent le long de la côte. Il est donc toujours tourné vers les Alpes-Maritimes où Martin va assumer des responsabilités, mais peut nouer des liens avec la région toulonnaise par l'intermédiaire du secteur dracénois.
La veille de son arrestation, Ruelle avait convaincu Georges Cisson de se charger de la création de Combat à Draguignan. Or Cisson ne paraît pas s'en être occupé, alors qu'il va organiser Libération. A-t-il été coupé ? S'agit-il d'un choix ? Nous ne le savons pas. Combat est repris en charge dans le secteur par un militant socialiste des Arcs, Albert Textoris, recruté par Blum, fin 1941 ou, plus vraisemblablement début 1942. Relançant l'organisation, il l'implante dans le milieu qui est le sien et l'on trouve à ses côtés des socialistes comme Edouard Soldani, jeune militant déjà confirmé, devenu son adjoint, Ludovic Altieri et l'ancien sous-officier Jean Cassou qui prennent en charge l'AS de Draguignan, Henri Giraud à Fréjus, et des francs-maçons comme le colonel Fourrier, révoqué pour cela et l'ancien ministre de Clemenceau, Victor Peytral 6 V. Peytral, parlementaire des Hautes-Alpes jusqu'en 1929, a été sous-secrétaire d'État à l'Intérieur en 1917 et ministre des Travaux Publics en 1924. Il réside désormais à Draguignan.. C'est ainsi que la relève est assurée tant à Fréjus-Saint-Raphaël qu'à Draguignan par des hommes typiques de la sensibilité politique alors majoritaire et (ou) par des jeunes.
Textoris coiffe le secteur de Fréjus-Saint-Raphaël et étend l'organisation vers l'Ouest. À Brignoles, l'instituteur Jean Ferrari (socialiste) et au Luc, Lucien Sicard, directeur de l'Hospice départemental (franc-maçon) commencent à constituer sizaines et trentaines, en liaison d'ailleurs avec d'autres mouvements ou réseaux clandestins. Combat et Libération (plus tard constitué) rassemblent ici les mêmes hommes et la plurifiliation n'est pas ressentie comme contradictoire. À Draguignan, le socialiste Julien Cazelles, joueur de football comme Cassou, fait la liaison avec Cisson qui aurait tenté d'organiser avec Combat une manifestation pour la fête de Jeanne d'Arc. Dans le secteur comme dans tout le département, les différences séparent moins les divers mouvements que les localités où la personnalité des animateurs joue un rôle déterminant. On le voit au Muy où Textoris s'est heurté à l'inertie de Sénès qui lui aurait conseillé de laisser faire les communistes et les Anglais 7 Accusation portée après la Libération par le CLL, mais qui recoupe le portrait fait par H. MICHEL dans son roman témoignage, Quatre années dures, Paris, 1945.. Aussi, à l'automne 1942, s'adresse-t-il pour constituer l'AS au communiste Séraphin Melan, libéré d'un camp d'internement un an auparavant et qui recrute donc ses anciens camarades de parti 8 S. Mélan, interné à Saint-Paul-d'Eyjaux jusqu'au 27 septembre 1941.. Il est vrai que le contact que Textoris a pu obtenir avec un responsable communiste de haut niveau (vraisemblablement un membre du triangle de zone Sud, comme nous le verrons) et l'accord conclu avec lui ont pu lui faire surmonter une méfiance solide à l'égard des communistes.
La constitution d'une “ armée secrète ” reste l'objectif prioritaire. D'après le témoignage d'Orsini, un premier bataillon aurait été créé à Toulon, en mars 1942, et un deuxième à la fin de l'année. Son adjoint, Marquis, évalue à 400 les hommes recrutés 9 T. Orsini, tém. cit., son agent de liaison Bloch confirme mars 1942 (ADV, cabinet 930). Tém. A. Marquis, rapport dactyl. sur son activité pendant la Résistance (Fonds Masson) et tém. recueilli par nous.. On ne peut s'empêcher de se demander quelle est la validité de ces affirmations. Nous avouons notre scepticisme sur l'importance quantitative de ces créations. C'est un problème sur lequel on reviendra. Recherchant officiers d'active ou de réserve, le recrutement suit les filières militaires. Pour renforcer l'état-major départemental de l'AS, le chef régional Chevance a chargé Marquis, officier avec lui pendant la guerre, de prendre contact avec plusieurs officiers supérieurs installés à Toulon. C'est ainsi qu'est recruté le commandant Fleuret que l'on retrouvera. De plus, il assure la liaison avec le chef régional, le général Schmitt, à Marseille. De cette ville, arrive à Hyères, en août 1942, le lieutenant René Boudouresque au moment où on croit sérieusement à une tentative de débarquement prochaine ici. Il vient faire du renseignement sans doute dans le cadre du réseau que Jean Gemalhing a mis sur pied et qui utilise les hommes de l'AS comme agents 10 Tém. R . Boudouresque manuscrit, 14 juillet 1945 et H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 442 et suivantes sur le SR de Combat.. L'AS est la pierre angulaire de l'organisation, indissociable du mouvement “ civil ”, sinon au niveau des responsables. Le cloisonnement entre les deux branches, civile et militaire, est, dès le début, une vue de l'esprit, quoiqu'en pense Londres (et Jean Moulin) au même moment. L'arrestation en octobre d'un ouvrier des Forges et Chantiers de la Méditerranée à La Seyne en fournit l'illustration. Jean Christini, militant socialiste, est membre du groupe d'Orsini, mais il est arrêté pour distribution de tracts et l'on découvre sur lui un questionnaire portant sur la fabrication des vedettes et de pièces d'aviation ainsi que sur la réparation des navires 11 Arrestation opérée le 14 octobre 1942. Questionnaire reproduit dans J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit. document 42. J. Christini sera interné à Saint-Sulpice-la-Pointe.. La non-spécialisation est la règle à la base, du moins pour la base active, réelle si l'on veut, celle des “ petits ” cadres du mouvement, chefs de trentaines et de sizaines. Participant aux manifestations patriotiques, diffusant la propagande, recueillant des informations, ces hommes (assurément peu nombreux) sont les hommes à tout faire de Combat (et le resteront).
Jusqu'en juillet 1942, la propagande écrite reste faible. Les saisies de tracts et de journaux sont aussi rares qu'auparavant. Le premier tract signé Combat est cependant signalé en décembre 1941 à Fréjus et en janvier 1942 à Toulon. Intitulé “ Vers le déshonneur et la servitude ”, il engage à écrire au Maréchal pour protester contre la cession de bases aux Allemands en Afrique du Nord 12 Tract saisi chez Fabre à Fréjus lors de son arrestation le 22 décembre 1941 et trouvé à Toulon le 13 janvier 1942.. Le tract suivant n'est signalé que le 30 juin et dénonce les mauvais traitements infligés aux prisonniers russes (“ Crimes ! ”). Par contre, cette propagande devient plus abondante par la suite, signe de l'étoffement du mouvement alors (en particulier le tract “ Travailleurs ! ” qui dénonce la Relève). On trouve même un Combat du Sud-Est (n°1, 15 août 1942) 13 Entre fin juin et début novembre 1942, la police signale dix diffusion de tracts (“ Crimes ! ”, “ Travailleurs ! ”, “ Je tiens mes promesses... ”, “ Pierre Laval veut... ”, “ Extrait de la Tribune de Genève du 14 juillet 1942 ” sur le SOL, “ Lettre confidentielle aux autorités sur les Juifs ”) et cinq de journaux (surtout Combat d'août 1942).. Grâce à ces diffusions, on peut constater que le mouvement s'est étendu à Hyères et Sanary. Tout vient de Marseille et est ventilé par Toulon, Draguignan et Saint-Raphaël. Les dépôts sont constitués chez des commerçants amis ce que la police soupçonne en surveillant des épiceries toulonnaises. À Toulon, le dépôt - et boîte aux lettres à la fois - est une librairie de la place d'Armes. C'est probablement lors d'une tournée pour contrôler la mise en place de cette propagande que Marcel Degliame, chargé de la diffusion du journal dans la région de Marseille-Nice, et un compagnon sont arrêtés, à Draguignan, le 25 septembre, par les gendarmes auxquels ils faussent rapidement compagnie... 14 Il est arrêté avec Michel Travers (ADV, 1 W 9, pol. Draguignan). Erreur dans H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 521 qui situe cette arrestation en juillet.
L'été 1942 paraît être le moment où Combat se structure et se développe vraiment. C'est alors que Sarie met sur pied le NAP, en relation avec les Crémieux, Francis et surtout Benjamin, son père, qui en est le responsable régional. Il organise pour cela des réunions auxquelles participe Marcel Abraham qui n'est pas à Combat, mais qui reste un trait d'union essentiel. Il s'agit de dresser des listes noires dans les services publics et de sélectionner les fonctionnaires sûrs.
Seul point de faiblesse (et qui le restera), Combat dans le Var n'a pu constituer un Groupe franc que tardivement. L'action directe reste au niveau de projets vagues, visant en particulier le directeur de Gringoire, de Carbuccia, qui séjourne régulièrement dans sa villa de Sainte-Maxime. À noter que d'Astier de la Vigerie nourrit les mêmes 15 Tém. Aubry (AN, 72 AJ 46-47, 14 mars et 3 mai 1955, M. Granet) : projet d'attaque dans la forêt du Dom vers avril 1942. Idem pour d'Astier (AN, 72 AJ 60, 8 janvier 1947, H. Michel) dont on peut se demander s'il ne s'attribue pas l'idée d'Aubry, tellement le projet qu'il évoque dans son témoignage est extravagant : débarquer du sous-marin qui l'emmène vers Gibraltar pour lancer lui-même deux grenades sur la voiture de de Carbuccia.... Aucun attentat, aucun sabotage n'est organisé avant l'Occupation, pas même le 29 juillet 1942, date à laquelle les GF de Combat en réalisent dans plusieurs villes de zone Sud.
Mêlés à la base, recrutant dans des milieux parfois identiques (la gauche socialiste), Combat et Libération sont aussi peu distincts dans le Var qu'à Montpellier pour reprendre un exemple donné par Henri Noguères dans un département politiquement proche 16 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 271 où il admet “ le caractère assez artificiel ” de la juxtaposition de plusieurs organisations.. Les tracts communs appelant à manifester le 14 juillet reflètent cette situation. Mais pour aller plus loin, il était nécessaire de surmonter les rivalités de petits ou de grands chefs, cherchant chacun à gonfler leur base, tendant à formaliser des relations jusque-là souples et fondées sur les contacts personnels.
Ces deux mouvements se constituent avec un peu de retard dans les mêmes milieux géographiques, sociaux et politiques. Ils ne se distinguent de Combat que dans le secteur de Toulon-Hyères. Ailleurs, il est impossible de les différencier. Dans les petites villes et villages, il n'y a en fait qu'un seul noyau de résistance qui reconnaît tous les patronages que des contacts irréguliers peuvent amener.
Après son faux départ de l'été 1941, Libération reprend vie en s'appuyant sur des militants politiques ou syndicaux de gauche. Cette renaissance a pris forme à La Seyne entre la fin de l'année 1941 et le début de 1942, au cours d'une réunion chez le franc-maçon, radical-socialiste, Pierre Fraysse. Y assistent Marc Baron, ancien adjoint socialiste, frère d'un député SFIO des Basses-Alpes, Gaston Havard (CFTC et réseau Interallié) et Maurice Verviers, membre du réseau d'Havard. C'est le moment où d'Astier vient de confier la direction du Var et des Bouches-du-Rhône à Albert Cohan Bertal, jusque-là responsable des Alpes-Maritimes. Cohan est le véritable organisateur de Libération dans ce secteur (appelé Tazur). À peine arrivé, il s'est aperçu que tout était à faire et que d'Astier bluffait lorsqu'il lui en vantait les mérites et le citait en exemple. L'état du Var confirme tout à fait son témoignage 17 AN, 72 AJ 60, interrogatoire d'A. Cohan à Londres le 29 juin 1943 : “ on nous disait que ça allait bien partout, que le mouvement était formidable sauf chez nous. On me donnait comme exemple l'organisation de Toulon, celle de Marseille ...J'y suis allé : il n'y avait rien à Toulon ”. Cohan date le redémarrage d'avril 1941 ce qui est beaucoup trop tôt. P. Fraysse donne fin 1941 et G. Havard le printemps 1942. On sait par J. GIRARD, op. cit., p. 62, que la mise en place des cadres a eu lieu début 1942 dans les Alpes-Maritimes et celle des premières sizaines au milieu de l'année.. Cohan participe-t-il à la réunion de La Seyne ? Il n'est pas cité, mais nous savons qu'il a pris contact avec des socialistes toulonnais (est-ce de Baron qu'il s'agit ?) et raphaëlois (Jean Charlot). Dans cette dernière localité, les militants touchés travaillent déjà pour Combat et les réseaux britanniques et n'assurent pas son implantation. En revanche, à Toulon, les premiers tracts de Libération apparaissent au début avril (“ Trente deniers ”, “ Les hommes de ce bateau...” par le Comité maritime de Libération). Verviers Rivière a été désigné comme responsable départemental et a donc quitté le réseau Havard où Arnal l'avait fait entrer. Grâce aux relations politiques ou syndicales des uns et des autres, Libération s'étend assez vite, malgré sa création tardive, comme le prouve le rôle important qu'il joue dans les manifestations du 14 juillet.
Baron qui avait été en contact avec le MLN et Franc-Tireur auparavant s'occupe de Saint-Mandrier où il se fait repérer à la tête de la manifestation. Il assure aussi la liaison avec Marseille. Henri Lècres Rochemont, agent technique de l'arsenal, suit le même itinéraire que lui et, peu convaincu par les uns et les autres, arrive à Libération sans doute par Verviers. Chargé de l'action politique, il déploie une activité notable en recrutant des salariés de l'arsenal 18 Il revendique le recrutement de 543 salariés ce qui paraît excessif (tém. dans Libération n° 24, Fonds Masson).. Il est placé sous les ordres de Roger Léger Leray, adjoint direct de Verviers, lui aussi cadre (ingénieur) dans l'arsenal. Fraysse a pris en charge La Seyne et Toulon-Ouest. Plusieurs socialistes et syndicalistes de la région toulonnaise font connaître le mouvement. Charles Sandro, militant socialiste clandestin, diffuse le journal et Justin Portalis, socialiste et l'un des responsables de la CGT (tendance Jouhaux) utilise les bureaux de la caisse d'assurances sociales Le Travail pour entreposer le matériel de propagande.
La filière politique et syndicale peut faire sortir Libération de la région toulonnaise. À Draguignan, il est pris en charge par Cisson qui y fait adhérer aussi bien des collègues de travail comme son adjoint aux Ponts et Chaussées, Fernand Roustan, fils d'un adjoint socialiste et franc-maçon d'Hyères, que des militants chrétiens comme l'architecte Jean Garrus. Par le relais dracénois, Libération essaime dans les bourgades proches : Aups avec Roustan, Fayence et l'Est Varois avec le sulfureux Jean Bialgues que de précoces proclamations gaullistes ont fait révoquer du contrôleéconomique 19 Repéré pour son activité à Fayence et à Comps, dénoncé par le président de la délégation spéciale de ce village et par la Légion, la gendarmerie enquête sur lui en novembre 1941. Un passé agité permet au préfet de le révoquer le 30 juin 1942 (ADV, cabinet 863, 884 2, 901, diverses pièces dont la dénonciation du président de la délégation de Comps le 7 novembre 1941).. En juillet 1942, la diffusion d'un tract appelant à manifester le 14 confirme l'existence du mouvement dans le secteur. Au même moment, il s'implante à Hyères sous la direction d'Yves Mell, ancien du PSOP, aidé de Victor Bellaguet, ancien adjoint socialiste, et à Pierrefeu grâce à Remay de Saint-Mandrier. Vers l'automne, il est arrivé dans la région de Brignoles par l'intermédiaire de militants socialistes de La Roquebrussanne, l'instituteur Bertolucci Lion et le boulanger François Clavel, avec lesquels le camionneur Marius Brunet a pris langue. Le groupe de Brignoles (Ferrari-Brunet) diffuse Libération tout comme Combat.
Les limites indécises entre mouvements induisent en erreur les autorités. Elles signalent en juin que tous les groupes “ d'obédience américaine ” (sic) ont fusionné dans Libération 20 ADV, 3 Z 4 33, circulaire du préfet, 1er juin 1942.... L'erreur est d'autant plus compréhensible que le premier tract du mouvement est signé en commun avec Combat et invite à manifesterle 14 21 “ 14 juillet 1942. Pour affirmer... ”, signé par Libération Française-Combat et diffusé à Toulon les 9 et 14 juillet.. Mais sa propagande paraît, à partir de ce moment-là, plus abondante que celle de Combat. Question de méthode peut-être dans la mesure où il comprend sur Toulon un peu plus d'hommes habitués au militantisme classique. Cette relative abondance des diffusions et une impression médiocre rapproche cette propagande de celle du Parti communiste. Réagissant vite à la Relève, préconisant la désobéissance à l'automne, elle est à l'évidence d'abord destinée aux ouvriers 22 Quinze diffusions et neuf types de tracts ou journaux différents entre juillet et novembre 1942. Titres des tracts : “ Ouvriers de France, tu n'iras pas... ” (juillet-août), “ Pierre Laval veut...” (juillet), “ La désobéissance est le plus sage des devoirs ” (octobre-novembre), “ Attention au 15 octobre, Doriot ” (octobre), “ Ils ne partiront pas ” (Libération région Sud-Est, fin octobre-novembre), “ Ne signez pas, ne partez pas ” (fin octobre-novembre), “ Pétain et Laval ont félicité... ” (novembre)..
Cette propagande assez active ne s'accompagne pas d'une vocation militaire particulière. Aucun témoignage n'évoque des tentatives de mise sur pied de groupes comparables à l'AS ou aux GF. C'est le premier constat d'une lacune qui va marquer le milieu socialiste et que l'on ne cessera plus de retrouver et c'est la différence la plus notable avec Combat 23 Qui ne se trouve pas partout, voir l'exemple de la région toulousaine cité par H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 445..
Par contre, le renseignement n'est pas plus négligé à Libération qu'à Combat. Baron fait surveiller la rade de Toulon. À Hyères, le groupe fait surtout du renseignement. Dans l'arsenal, Lècres et Léger sont bien placés pour recueillir des informations que Verviers peut transmettre plus aisément à Londres lorsqu'il devient chef régional du mouvement, après le départ de Cohan pour l'Angleterre à la fin septembre 1942. La preuve en est le rapport retrouvé dans les archives du BCRA et signé de lui qui donne à Londres un état du trafic et un plan de la gare de La Seyne en septembre 24 AN, F 1 a 3 922, information du 8 octobre signée Rivière-Tazur, arrivée à Londres le 18 novembre 1942.. Cette activité servira de base au futur réseau Gallia.
Bien qu'apparu un peu avant Libération deuxième manière, Franc-Tireur ne s'étendra jamais au-delà de la région toulonnaise. Mais les fortes personnalités - les fortes individualités plutôt - qui l'animent lui donnent un relief particulier. En relation avec Arnal et par l'intermédiaire d'Havard et de Brun (réseau F2), Jean-Pierre Lévy a recruté en octobre ou novembre 1941 celui qu'il désigne comme le chef régional du mouvement et que nous avons déjà rencontré à plusieurs reprises, John UlysseMentha 25 Lui-même précise le 15 octobre 1941 par l'intermédiaire de Brun (AN, 72 AJ 55, dossier FFCI). Voir aussi D. VEILLON, op. cit., p. 216-218.. L'activité débordante de cet ancien international de football, d'origine suisse, a déjà attiré l'attention de la police. Excessive, téméraire, elle va éloigner de lui plusieurs de ceux qui gravitent autour du mouvement naissant, par exemple Lècres qui l'a connu grâce à André Mandouze qui vient d'arriver au lycée de Toulon. Autour de Mentha, s'agglomère l'équipe du premier Libération, en particulier Oukrat et Abraham, mais celui-ci préfère s'en séparer dans le courant de l'année 1942 pour se consacrer au renseignement dans le réseau Interallié (F2) 26 D. VEILLON, op. cit., p. 217 signale l'intégration du groupe de l'industriel Louis Chevalier dans l'équipe toulonnaise. Nous n'en avons trouvé aucune trace. Est-ce le Chevalier, industriel, dont le nom se trouve sur la liste des francs-maçons publiés dans Le Petit Var du 27 août 1941 ?. Ce réseau a joué un rôle très important dans le démarrage de Franc-Tireur dans la région. On peut ainsi vérifier la pertinence du constat de Noguères signalant que les groupes de ce mouvement sont “ rarement animés par des hommes n'ayant encore jamais eu aucun contact avec la Résistance ” 27 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 277, et il ajoute : “ ce sont les mêmes milieux qui sont prospectés, les mêmes hommes qui sont recrutés ”, ce que nous avons déjà eu l'occasion de constater..
Mentha a désigné Jean Uhlman Morand, un réfugié d'origine alsacienne, ancien directeur de papeterie à Paris, comme responsable du mouvement dans le Var. Ancien du réseau Interallié lui aussi, connu de la police pour ses opinions, il a été inculpé à deux reprises. La première fois, en novembre 1941, dans la même affaire que Bardanne, ce qui l'amène pour un court séjour dans la prison maritime de Toulon en décembre. Mais le registre d'écrou fait apparaître son nom une deuxième fois pour un séjour plus long d'avril à juillet 1942 (pour délit d'opinion). On sait qu'il est devenu le responsable de Franc-Tireur à sa sortie de prison, sans que l'on sache laquelle. Nous penchons pour la première.
La diffusion du journal est signalée pour la première et seule fois dans la deuxième quinzaine d'avril 1942 à Toulon. Aussi restons-nous sceptiques sur sa distribution massive comme le laisse entendre le témoignage Lècres (deux cents exemplaires pour chaque ouvrier membre de son groupe...) 28 Tém. déjà cité. Nous ne croyons pas à une diffusion régulière en grand nombre d'exemplaires sur Toulon et sommes de ce point de vue plus critique que D. VEILLON, op. cit., p. 217, de même pour Hyères où le tém. R. Mistral nous paraît exagérer le nombre de diffuseurs bénévoles sous ses ordres (une trentaine) alors que la police ne signale jamais la présence du journal (p. 218). Ruelle mentionne sa circulation à Saint-Raphaël avant son arrestation en décembre 1941 ce qui est trop tôt, puisque le premier numéro n'est sorti qu'à la fin du mois alors qu'il était déjà arrêté. Ce journal qu'il voit chez Herbinger et Gibelin est donc vraisemblablement de Libération (A. RUELLE, op. cit., p. 21).. La participation de Franc-Tireur à la mobilisation pour le 14 juillet est attestée par les quelques papillons retrouvés. Ce sont les seules traces de sa propagande.
Le petit groupe se veut davantage activiste. C'est son originalité. En juin 1942 29 D. VEILLON, op. cit., p. 371, donne dans son tableau janvier 1942. Mentha indique juin., Mentha peut recruter un autre personnage remarquable qui apporte ses connaissances militaires, le colonel de réserve Duboin, frère de Jacques Duboin, le fondateur de l'abondantisme. À la rentrée scolaire suivante, se joint à eux un jeune normalien qui vient d'être nommé professeur de philosophie au lycée de Toulon : François Cuzin. Cet ancien militant de la Jeunesse communiste qui a récusé le pacte germano-soviétique a participé à Paris aux réunions de Socialisme et Liberté avec Jean-Paul Sartre en 1941 30 Agrégé de philosophie, F. Cuzin a été présenté à J.-P. Sartre par M. Merleau-Ponty . En congé maladie à Toulon où sa mère dirigeait une entreprise de vulcanisation pour soigner une tuberculose rénale (lettres Simone de Beauvoir, Dominique Desanti et Simone Debout- Olesgkiewig 1985). Un de ses textes a été publié in Visages de la Résistance, numéro spécial de la revue Liberté de l'esprit, Paris, 1987.. Groupe réduit, Franc-Tireur à Toulon sort assurément de l'ordinaire, non seulement par les personnalités qui le composent, mais surtout par son hétérogénéité. La présence dans ses rangs d'Uhlman, le chrétien fervent, de Mentha, le sportif "tête brûlée", de Cuzin, l'intellectuel engagé, de Duboin, polyglotte et slavophile, d'Abraham, juif et socialiste, pour ne citer que les plus marquants de ses membres, lui donne un relief et un éclectisme certains.
Entre Toulon et Hyères où s'est constitué le seul noyau extra toulonnais que nous connaissions, la liaison est assurée par Roger Mistral, l'ancien maire et conseiller général socialiste de La Farlède. Recruté grâce à Brun, appuyé sur ses relations de parti, il supervise la basse vallée du Gapeau. Comme presque tous, il participe à d'autres réseaux (“ les mouvements ne sont pas très distincts ” dira-t-il à HenriMichel 31 Tém. déjà cité.) : il assiste aux réunions socialistes chez Lamarque, distribue Libération et, lorsqu'il est arrêté avec un autre employé de l'arsenal, c'est pour avoir diffusé Combat. À la suite de ces arrestations, Mentha est à nouveau mis en cause et incarcéré du 12 au 19 août, puis sera disculpé. Quant à Mistral et à son compagnon, ils seront mis en liberté provisoire le 17 décembre 1942 grâce à des complicités judiciaires et convoyés illico vers la frontière espagnole au moment de leurprocès 32 R. Mistral et Y. Le Goff y sont conduits par l'agent de liaison de Duboin, ouvrier de l'arsenal lui aussi, R. Malique Rochat. Ils sont condamnés le 23 décembre à deux ans de prison et 10 000 F d'amende, mais par contumace....
Peu après l'arrestation de Mistral, intervient celle de Frédéric Fortoul. Jusque-là, il a gardé son autonomie avec son petit groupe de “ La Libération française ”. Peut-être a-t-il été à l'origine d'une campagne antilégionnaire que la police toulonnaise signale fin juin 1942 (des papillons “ Lu et approuvé. A bas Hitler ” sur les affiches de la Légion) 33 ADV, 3 Z 4 33, Pol. spéc., 29 juin 1942, ce qui correspondrait à son témoignage. Mais aucun des tracts qu'il aurait diffusé régulièrement n'est signalé jusqu'à son arrestation. ? Il est arrêté le 13 août dans l'arsenal avec un complice d'origine alsacienne pour avoir polycopié des tracts hostiles à la Légion. Condamné à six mois de prison le 1er octobre par le tribunal maritime, il adhèrera à Franc-Tireur à la fin de sa peine et en deviendra l'un des chefs grâce à son frère Paul qui a rejoint le mouvement pendant son incarcération et y jouera un rôle majeur, mais dans la région toulousaine.
Franc-Tireur - c'est une autre de ses originalités - est celui des mouvements gaullistes locaux qui se préoccupe réellement de l'action directe. À l'automne 1942, chaperonné par Germaine Mentha, le responsable Groupes Francs (Roux Bois) est venu à Toulon pour instruire quelques volontaires et apporter des explosifs. Il s'agit de préparer un attentat pour le 2 novembre, comme dans les autres villes où le mouvement est implanté. Contrairement à ce qu'indique Mentha dans son témoignage, l'attentat prévu contre le siège du PPF n'a pas pu avoir lieu cette nuit-là 34 Tém. déjà cité, repris par D. VEILLON, op. cit., p. 218.. La tentative a échoué. Par contre, le GF de Franc-Tireur réalise quelques jours après une action contre le siège du SOL sur laquelle nous reviendrons en traitant des... FTP, car ce GF se confond en fait, simultanément et à l'insu des responsables de Franc-Tireur avec le premier groupe FTP de Toulon... Voilà qui démontre au moins combien est réduit le nombre des résistants prêts à passer à l'action dans une ville (et un département) où un certain retard se manifeste sur ce plan. La convergence Franc-Tireur et FTP est d'autant plus remarquable qu'elle est ponctuelle et restée ignorée de Mentha et ses adjoints. Il est vrai que l'heure est à l'union, mais elle obéit à une logique différente de celle qui, au même moment, conduit au rapprochement les directions de Combat, Libération et Franc-Tireur.
Les mouvements sortis du microcosme sans cloisons étanches des débuts auraient pu connaître une dérive sectaire en se structurant. Sans doute cette orientation menace-t-elle en 1942 lorsque se mettent en place les états-majors régionaux et départementaux. Sans doute les moins politisés des chefs locaux cooptés sont-ils plus accessibles à cette tentation. Mentha dénigrant Blum, le chef de Combat, et prétendant interdire tout contact avec les autres groupes à ses camarades en offre un bon exemple. Mais les facteurs centripètes sont les plus forts et des hommes passerelles (entre mouvements et entre régions) comme Abraham jouent un rôle essentiel dans l'évolution unitaire 35 In In memoriam ..., op. cit., p. 44, Lévy-Rueff lui attribue un rôle déterminant dans la fusion des trois mouvements en Provence : “ En un an, avant tous les accords généraux, il aura permis à Combat, à Libération et à Franc-Tireur d'accomplir leur fusion dans le Var et les quatre autres départements de la Côte ”. La date est un peu exagérée, mais il est sûr que par l'étendue de ses contacts, avec Lyon en particulier (voir S. MARTIN-CHAUFFIER, op. cit.), il a pu mieux que d'autres prendre de la hauteur et servir au rapprochement..
Cette convergence qui transcende les divisions claniques (réelles ou potentielles) se manifeste assez tôt. Le premier signe en est fourni par les tracts du Mouvement ouvrier français (MOF), distribués avec des exemplaires de Franc-Tireur, à la veille du 1er mai 1942 à Toulon. Éphémère cadre commun lié à Libération, le MOF n'a aucune existence réelle, faute de cadres et faute de base ouvrière capables de se lancer dans l'action syndicale. Les militants de l'arsenal qui auraient été susceptibles de le faire privilégient l'activité proprement résistante et, sauf Portalis, les anciens syndicalistes CGT confédérés sont d'une remarquable discrétion. Le deuxième signe de convergence est la diffusion de tracts communs signés Les Mouvements de Résistance. Elle est signalée à plusieurs reprises, d'abord pour le 14 juillet, puis pour révéler la fusillade qui a endeuillé la manifestation marseillaise, enfin pour dénoncer la Relève obligatoire 36 Tracts “ Français ! Pierre Laval veut... ” (Toulon, 12 juillet), “ Nous les vengerons ” (Saint-Raphaël, Fréjus, Toulon, 12 et 13 septembre pour dénoncer la mort des deux manifestants tués par le PPF à Marseille), “ Vous n'aurez pas les enfants ” (Toulon, La Seyne, Brignoles entre le 7 octobre et le 10 novembre)..
Cette propagande unifiée est vraisemblablement l'œuvre du Comité de coordination régional créé alors (et la preuve de son existence). Il comprend Chevance, Mentha et Cohan (puis Verviers), soit les représentants des trois mouvements, dont deux Varois 37 Ce qui prouve que l'on n'a pas attendu la note du BCRA du 2 octobre 1942 poussant à leur création pour le faire (H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 493).. La coordination entre les trois mouvements sur le plan départemental est assurée par le chef NAP de Combat, Maurin (franc-maçon et socialiste), tandis que les premières réunions communes se tiennent chez le socialiste Lamarque. L'intégration est poussée principalement dans le domaine militaire, à la suite de l'accord Combat-Franc-Tireur de septembre 1942, d'où la fusion de leurs AS respectives (ou plus exactement de leurs états-majors militaires, vu l'inexistence d'AS différentes à la base). Dans le Var, Léon Duboin (Franc-Tireur) en devient le chef départemental, sous le commandement régional du général Schmitt (Combat). Ses adjoints qui proviennent de Combat sont Orsini, le commandant Fleuret Prince et le capitaine Bonnet Mercier, chef du parc d'artillerie de Toulon et responsable du service de camouflage du matériel (CDM). D'après Orsini, la croissance des effectifs, favorisée par cette fusion, aurait permis la constitution de deux nouveaux bataillons de l'AS à Toulon au dernier trimestre 1942 (nous maintenons notre scepticisme).
L'évolution unitaire repose sur des données qui dépassent les rivalités personnelles ou de groupes. Il y a d'abord les nécessités de la lutte qui solidarisent les uns et les autres, surtout depuis le retour de Laval au pouvoir. Il y a Londres et les efforts que Jean Moulin déploie depuis son parachutage en Provence dans la nuit du 31 décembre 1941 au 1er janvier 1942. Sur ce point et parce que la figure de Jean Moulin a pris une telle dimension que rien de ce qui le concerne n'est tout à fait anecdotique, on rappellera que son radio, Hervé Montjaret, parachuté avec lui, mais séparé par les circonstances, est venu se réfugier dans le Var sur les indications données par Moulin. Échaudé à Toulon où l'accueil reçu ne correspond pas à son attente, il est hébergé à Bargemon, village proche de Draguignan, par l'épouse du colonel Manhès qui tient l'hôtel Bellevue. C'est là que, sur les indications de sa sœur, Jean Moulin le récupère dans le courant du mois de janvier, ce qui lui permettra de renouer avec Manhès dont il fera son représentant en zone occupée 38 AN, 72 AJ 55, tém. H. Montjaret, décembre 1946 (Melle Patrimonio) et biographies de J. Moulin. Sur ce point, la plus précise est celle de sa sœur (L. MOULIN, Jean Moulin, Paris, 1969, p. 288)..
Artisan de l'unité comme on sait, Moulin ne s'appuie pas seulement sur son autorité (et les moyens relatifs) que lui confère son mandat pour construire l'unité. Il sait pouvoir compter sur les sentiments d'une base que les querelles “ de boutiques ” dépassent d'autant plus qu'elle est commune aux trois mouvements 39 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 450, tém. J.-P. Lévy qui le confirme et p. 545, rapport de J. Moulin à Londres en août 1942 sur la nécessité d'une fusion réclamée par la base et les cadres inférieurs.. On sait aussi qu'elle ne fait aucune restriction dans son appui à Londres. Cette base nous semble plus tôt et plus fondamentalement gaulliste que plusieurs de ses chefs, grâce au rôle de la BBC. Son gaullisme est renforcé par les proclamations républicaines du général en 1942. Elles emportent l'adhésion de courants idéologiques qui irriguent l'ensemble des mouvements, leur donnent une certaine cohésion et accentuent de ce fait la pression unitaire.
Le rôle des courants religieux est difficile à mesurer, mais ne paraît pas le plus décisif. Les Juifs présents dans cette résistance n'y sont pas venus sur cette base et sont, pour autant que nous le sachions, déconfessionnalisés 40 Les ouvrages concernant la Résistance juive ne mentionnent rien sur le Var, à l'exception du rôle joué par le poète Edmond Fleg, président des Eclaireurs israélites de France, un des maîtres à penser du courant religieux, qui réside à Beauvallon, près de Sainte-Maxime et qui sera dénoncé en 1943 pour inciter les jeunes juifs à passer en Italie (ADV, cabinet 884 2, 25 août 1943). L. LAZARE, La Résistance juive en France, Paris, 1987, p. 71, le cite pour avoir organisé un stage de scouts juifs en 1941.. Il en va de même avec les protestants (ainsi d'Arnal qui est d'origine cévenole comme Gaston Defferre). On ne sait si les sermons du pasteur Barral, arrivé à Toulon en novembre 1941, ont influencé dans ce sens la petite communauté protestante 41 J.-M. FRANCHI, La Résistance à Toulon (1940-1944), Aix, 1975-1976, p. 38-39. Le pasteur a eu des contacts avec Arnal. Les sermons du Pasteur Barral ont été publiés en 1945 (BARRAL, Chrétiens protestants et résistance, Paris).. Lui-même diffuse Témoignage Chrétien qui est apporté à Toulon par André Mandouze, lors de l'année scolaire qu'il passe à Toulon (1941-1942). L'influence du journal, dont aucun exemplaire n'est trouvé par la police, est trop ténue pour qu'il puisse servir de base à un réseau chrétien local. Les seuls qui auraient pu lui servir de support, les démocrates-chrétiens, sont des marginaux du monde catholique varois et déjà profondément engagés dans les mouvements que certains d'entre eux ont contribué à créer.
La Franc-maçonnerie a, par contre, une tout autre importance dans la Résistance varoise et dans son unification. Sa reconstitution clandestine la favorise. À la fin de 1941, plus de 70 francs-maçons y participent et nombre d'entre eux sont à Combat, à Libération, au Comité d'action socialiste (CAS) et même dans ce qui reste de la CGT “ confédérée ”. Par contre, Franc-Tireur est jugé peu sûr. Francs-maçons et socialistes ex-SFIO (parfois francs-maçons) servent de socle à la Résistance gaulliste locale.
L'organisation socialiste, le CAS, n'en reste pas moins embryonnaire et ne joue pas encore un rôle politique direct dans les mouvements auxquels ses membres ou sympathisants consacrent toute leur énergie et presque tout leur temps. Tandis que la diffusion du Populaire est si confidentielle qu'elle passe inaperçue, les socialistes clandestins comme Henri Michel répandent la presse des mouvements, même s'ils n'en sont pas membres. Michel a constitué pour ça une équipe assez hétérogène au lycée avec un ancien communiste, un ancien PSOP et deux catholiques. Pour la plupart des socialistes résistants, priment les mouvements et l'action avec Londres. Unitaires, ils veulent dépasser le cadre relativement étroit du courant où ils gravitent en élargissant sa base sociale. Comme Londres (et Jean Moulin), ils n'oublient pas les communistes et sont désireux de récupérer la force qu'ils peuvent représenter. Ils aspirent donc à une unité plus large que celle des seuls mouvements, une unité à la fois patriotique et, disons, de classe. Mais que savent-ils de la reconstitution clandestine du PCF ? Peu de chose et encore moins du FN dont ils ignorent l'existence car leur développement s'est fait dans des milieux très étrangers aux chefs de la Résistance gaulliste 42 P. Copeau le confirme : “ Le Front national balbutiait déjà beaucoup moins qu'on ne le croyait, mais on le connaissait peu ” (H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 548). Il signale aussi que J. Moulin voulait associer le FN à la coordination des mouvements en train de se faire.. Tout laisse penser qu'ils imaginent un rapport de force plus favorable à leur cause qu'il ne l'est en réalité. Ne cherchant guère à sortir de la période de repli, ayant à peine noué entre eux quelques liens (pratiquement limités à un cénacle toulonnais), les socialistes perdent de longs mois et commencent à décevoir certains de leurs militants d'avant-guerre, ceux qui parfois investissent leur énergie dans les mouvements de résistance ou qui commencent à se tourner vers les communistes.
Rien ne prouve que localement des contacts se soient noués entre gaullistes et communistes avant l'automne 1942. S'il y en a eu, il n'en subsiste aucune trace, mais nous n'y croyons guère. On peut seulement constater que le FN a d'abord appelé à manifester le 13 juillet au soir, puis s'est rallié au 14 43 Tract distribué à Toulon le 11 juillet 1942.. En revanche, il est sûr qu'un rapprochement s'esquisse à l'automne. C'est alors que Textoris rencontre l'un des membres de la direction lyonnaise du Parti à Saint-Raphaël, initiative sur laquelle nous reviendrons. Maurice Maurin, le coordonnateur des trois mouvements gaullistes, se souvient avoir eu deux contacts avec des responsables communistes, mais les méthodes des uns et des autres sont trop discordantes pour qu'ils soient fructueux 44 Tém. M. Maurin, 1981 : Maurin a rompu parce que ses deuxièmes interlocuteurs ne sont pas les mêmes que ceux qu'il a rencontrés de prime abord, ce qu'il juge inconcevable.. Les résultats sont maigres, même si un tract commun contre la Relève a pu être rédigé, ce qui n'est pas sûr, malgré le témoignage d'Abraham 45 Tém. déjà cité : nous pensons que M. Abraham fait une confusion avec Lyon où un tel tract commun a été rédigé. Il évoque la présence d'H. Michel pour les socialistes dans la réunion où il aurait été préparé. Ce dernier ne le rapporte pas ce qu'il n'aurait pas manqué de faire. De plus, la police ne signale aucune diffusion de ce genre. Sur le tract lyonnais, H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 620-622.. Cependant, début novembre, circule dans l'arsenal un papillon signé par un Comité d'action et de défense ouvrière groupant tous les mouvements de résistance. Ce petit tract est sans doute l'aboutissement d'une réunion organisée par Portalis (MOF) dans les locaux de la caisse d'assurances sociales Le Travail avec des syndicalistes confédérés comme lui (Xavier Bono qui travaille avec lui et Julien Sauli) ou unitaires (Mouska et Bessone). Initiative sans lendemain tant le contentieux reste lourd entre les uns et les autres et leur volonté hégémonique contradictoire. Aux yeux des communistes, Portalis, ancien dirigeant de la CGT en 1939, n'est pas plus dédouané que ses camarades socialistes. Aux yeux des socialistes, les communistes portent toujours la tâche de la “ trahison ” de 1939.
Bien lancée entre les mouvements, la dynamique unitaire ne peut guère aller au-delà pour l'instant.
Les réseaux de renseignement se ramifient et s'étendent. Leurs hiérarchies se distinguent davantage de celles des mouvements, bien que leur base reste commune. Dans une certaine mesure, ce sont des structures de convergence par l'action plus concrète qu'ils proposent et le lien avec le Royaume-Uni qu'ils incarnent, les résistants restant toujours persuadés qu'Anglais et Français Libres travaillent la main dans la main. Pour recruter le capitaine de vaisseau Trolley de Prévaux, Havard et ses amis du réseau F2 rassurent son gaullisme en lui affirmant qu'il sera au service de la France Libre. Ils sont sincères, mais leurs chefs qui font transmettre par Londres un message destiné à le rassurer savent qu'il s'agit d'un stratagème 46 AN, 72 AJ 52., L. Sliwinski, Historique du réseau F2 de septembre 1940 jusqu'à la Libération, dactyl., juillet 1974 et tém. G. Havard déjà cité. Sliwinski Jean Bol a rencontré Trolley de Prévaux dans sa villa de Pramousquier (commune de La Môle, section du Rayol-Canadel), le 25 janvier 1942. Pour le convaincre du sérieux du réseau, il a fait parvenir à Londres une phrase choisie par le capitaine afin de transmission par la BBC.. Comment être au courant alors que les réseaux du BCRA sont pratiquement inexistants ?
Il est très difficile de démêler l'écheveau de plus en plus compliqué des réseaux. On butera sur ce problème tout au long de cette étude. L'histoire des réseaux est l'une des plus difficiles à faire. Ils échappent pour l'essentiel aux investigations des polices “ ordinaires ” et les archives des autres ne sont pas ouvertes. Il n'est souvent pas possible d'aller au-delà de l'énumération, sauf si des témoignages viennent combler les lacunes, mais cette opportunité est moins fréquente que pour le reste de la Résistance.
Par chance, ces témoignages sont riches pour le plus important des réseaux anglais, le réseau Interallié représenté ici par le sous-réseau Marine. Il continue à s'étoffer et le recrutement du capitaine Trolley de Prévaux Vox est l'un des plus déterminants pour l'avenir. Il s'agit de l'un des rares officiers de marine gaullistes et résistants actifs que l'on connaisse à Toulon. C'est pratiquement le seul officier supérieur. Nommé comme juge au tribunal maritime à son retour d'Alexandrie (où il a manifesté son hostilité à l'affrontement anglo-français), il est démis de ses fonctions en décembre 1941. Aidé de sa femme, d'origine juive et polonaise, socialisante, il va devenir l'adjoint du chef du sous-réseau Marine et superviser une branche parallèle au réseau de Gaston Havard.
Celui-ci et ses amis développent leur organisation. La période fin 1941-1942 est celle où ils recrutent le plus de monde : au total 52, soit 39 % des 135 hommes dont la date d'adhésion est connue 47 D'après la liste des agents du sous-réseau, dactyl., sans date, comportant 145 noms avec en général, nom de code, date et lieu de naissance et date d'entrée en service ; en revanche, aucune indication de lieu de résidence ou de profession.. Ce sont des Toulonnais surtout, travaillant dans l'arsenal, souvent d'origine corse (24) comme les adjoints d'Havard (Marius Camolli, Ambroise Massei et Dominique Brizzi). On repère plusieurs militants d'autres organisations comme Pierre Fraysse de Libération. Cette branche du sous-réseau (Toulon I) commence à s'étendre vers l'intérieur du Var, dans le secteur de Draguignan-Salernes ce qui doit être mis en relation avec la nécessité de cacher les postes émetteurs. Ces appareils ont été adaptés aux vingt-cinq périodes de la région par un ingénieur radio d'origine polonaise, réfugié de Paris à Hyères, Jérome Stroweiss.
Entré dans le réseau par Jean Uhlman, Stroweiss anime une deuxième branche du sous-réseau Marine (Toulon II) avec l'aide de sous-officiers des chasseurs alpins. Il existe une troisième antenne (Toulon III), celle que va superviser Trolley de Prévaux. Elle est dirigée localement par l'un des rares Juifs maintenus en fonction dans l'arsenal, l'ingénieur Jacques Lévy-Rueff Vir. Connaissant Arnal et Marcel Abraham qui l'a présenté à Havard, il a rompu avec eux lorsqu'il a été chargé de créer sa propre organisation. Il a recruté des informateurs dans l'arsenal (mais a eu beaucoup de difficultés en particulier du côté des ingénieurs) et le long de la côte. Il transmet les informations à Trolley de Prévaux. Celui-ci, qui réside au Rayol-Canadel, étend le réseau dans la région et entre en contact avec les communistes à la recherche d'armes. Il peut ainsi bénéficier de leurs renseignements par l'intermédiaire de l'épouse du docteur Gilbert-Dreyfus, réfugiée à Saint-Tropez. Cette localité devient l'un des maillons importants du réseau 48 Sur ce passage, tém. J. Stroweiss, rapport dactyl., 2 janvier 1980 (Fonds Masson), L. Sliwinski, tém. cit., tém. J. Lévy-Rueff, AN, 72 AJ 52 18 et 30 novembre, 7 décembre 1946 (H. Michel), tém. Gilbert-Dreyfus.. Mais la chaîne de Lévy-Rueff est surtout le pendant bourgeois et “ cadre ” du réseau de Gaston Havard qu'il double sans avoir son importance numérique, ni son extension géographique.
De son côté, Herbinger Dumas (réseau Nilo) dispose toujours de ses six postes émetteurs et de l'assistance d'un officier anglais. Son activité a attiré l'attention de la Surveillance du territoire (ST) qui vient perquisitionner chez lui, à Saint-Raphaël, en mars 1942. C'est ainsi que le commissaire Petitjean, chef de l'antenne de la ST à Toulon prend contact avec lui, et à travers lui, avec les réseaux anglais pour lesquels il va travailler désormais (F2 en juillet, puis Carte à l'automne). Ce recrutement fait d'une manière aussi curieuse se révèle d'une extrême importance pour la Résistance non communiste. Traqueur d'agents allemands, Petitjean protège désormais ses amis. Il étouffe le dossier Herbinger, puis celui qui est ouvert contre Stroweiss. Il intervient dans l'affaire qui concerne Maître Goëau-Brissonnière, avocat de Mandel à Riom, lié à Pierre-Bloch arrêté à Marseille et interné à Mauzac 49 C.-L. FLAVIAN, Ils furent des hommes, Paris, 1948, p. 103-104, où Petitjean est crédité de l'arrestation d'une cinquantaine d'agents allemands depuis son arrivée à Toulon en avril 1941 ce qui paraît beaucoup. La seule affaire qui remonte des sources disponibles est l'arrestation de deux agents du Service de renseignement allemand les 13 et 16 décembre 1941. Pierre-Bloch, arrêté à Marseille, participe au réseau anglais qui a réalisé le premier parachutage en zone non occupée en octobre 1941. Gaston Monnerville, alors avocat à Marseille avec Defferre, raconte qu'il a rencontré Me Goëau-Brissonnière à Draguignan ce qui lui valu aussitôt une perquisition de sa chambre d'hôtel (G. MONNERVILLE, Témoignage. De la France équinoxiale au palais du Luxembourg, Paris, 1975, p. 283).. On soupçonne sa complicité dans l'évasion de deux agents de la France Libre. Le premier n'est autre que l'intrépide Pierre Fourcaud. Autorisé à venir passer une convalescence à Cavalière (commune du Lavandou), après un séjour à l'hôpital militaire de Clermont-Ferrand, il en profite pour échapper à la surveillance de ses gardiens de la ST 50 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 556 et ADV, cabinet 593. Fourcaud est arrivé le 21 avril 1942 au Lavandou et reste jusqu'en juillet sous la surveillance de la ST à Cavalière.. Il se produit la même chose à peu près au même moment dans la même commune sans que l'on sache si les deux hommes sont partis ensemble. Mais Pierre Héricher, radio de l'Intelligence Service, parachuté et arrêté vers mai 1942 à Limoges, fausse lui aussi compagnie à la ST au Lavandou alors qu'on vient le chercher pour le conduire dans un camp d'internement 51 ADV, cabinet 593, Gend., 23 juin 1942.. De plus, on sait que Petitjean et ses hommes ont fait disparaître un officier de la France Libre, emprisonné à Toulon et qui menaçait de trahir 52 C.-L. FLAVIAN, op. cit., p. 104, l'affaire est rapportée aussi par P. G. de BÉNOUVILLE, op. cit., p. 198 et par A. GIRARD Carte qui la place au début 1942 ce qui est trop tôt (Peut-on dire la vérité sur la Résistance ?, Paris, 1947, p. 21 et tém., AN, 72 AJ 41, août 1950, Melle Gouineau : il s'agirait, d'après lui, d'un capitaine aviateur, attaché à l'état-major de de Gaulle, venu à Toulon avec plusieurs millions de francs qu'il aurait dilapidés, d'où son arrestation pour escroquerie et sa volonté de tout révéler aux Allemands. Nous rapportons cela avec circonspection car l'antigaullisme de Girard est bien connu).. L'attitude de Petitjean ne passe pas tout à fait inaperçue. Elle est repérée par l'un des responsables du SR Marine, le capitaine Blouet, qui en profite pour nouer des liens avec la Résistance et l'aide donc dans son entreprise.
Il ne faudrait pas conclure de tout ceci que la Surveillance du territoire est entièrement acquise à la Résistance. Le réseau Ali perd à cause d'elle plusieurs de ses informateurs marseillais en août 1942. L'origine de cette affaire tient à l'imprudence (ou à la trahison) de son agent de Toulon. Encore faut-il préciser que celui-ci travaillait pour le service des sociétés secrètes du commandant Labat... et que l'on peut donc attribuer la chute à une absence de discernement dans le choix des hommes et, pour le moins, à certaines ambiguïtés politiques 53 H. NOGUÈRES, op. cit., t. 2, p. 440 et 552.. Ce réseau est présent aussi à Hyères où Louis Mangin (le frère de Stanislas Mangin, l'un de ses créateurs) est officier, chargé de l'instruction contre un débarquement... britannique. C'est l'un des rares réseau du BCRA dans la région, un BCRA dont l'activité est restée jusqu'ici non seulement limitée, mais assez malheureuse. Ses grands réseaux ne commencent à se mettre en place qu'à l'automne 1942. Il s'agit de Gallia d'une part et, d'autre part, de ceux qui dépendent de Phratrie, repliée sur le littoral azuréen, c'est-à-dire Tartane (à Nice avec Le Crom), Cotre (avec Sénouillet qui commence à recruter à Fréjus) et Goelette (où Bernard Hollebecque supervise les informateurs qui surveillent la côte entre Cannes et Toulon) 54 Colonel PASSY, op. cit., p. 329. Jacques Robert, chef de Phratrie, s'est replié de la zone occupée dans la région dans l'été 1942. Tém. Hollebecque dont les informateurs se trouvent à Toulon, Le Lavandou, Le Rayol et La Croix-Valmer en particulier..
Ces réseaux sont inséparables de l'organisation que les services britanniques renforcent dans le même temps. Non sans tiraillements entre l'Intelligence Service et le SOE, ils fournissent à tous le support de leur logistique et plus ou moins de moyens. Ils favorisent la prolifération des réseaux ce qui rend malaisées les distinctions, d'autant qu'ils se greffent les uns sur les autres et reposent sur nombre d'agents communs. Il en va ainsi des deux organisations les plus importantes, Alliance et Carte qui émergent durant cette période grâce à des actions, des liaisons en fait, spectaculaires.
Le réseau Alliance s'est étendu à Toulon avec l'aide de Bardanne en 1942. Affecté par une trahison (ne serait-ce pas celle qui touche le réseau Ali ?), son état-major se replie sur Le Lavandou à l'automne. Il trouve là une aide précieuse en la personne du contrôleur des contributions directes, Ulysse Richard, un franc-maçon que ses opinions gaullistes ont désigné à la vindicte du PPF en 1941. Avec l'aide des résistants locaux, Alliance fait embarquer le général Giraud de la plage de la Fossette le 5 novembre en direction de l'Afrique du Nord 55 Sur le réseau, M.-M. FOURCADE, L'Arche de Noé, Paris, 1968. Elle fixe le repli au Lavandou à juillet 1942 tandis qu'U. Richard (tém., s.d., Fonds Masson) date l'arrivée d'Alliance aux environs du 20 octobre ce qui semble plus vraisemblable. Sur l'embarquement Giraud, entre autres récits, M.-M. FOURCADE, op. cit., p. 335 et suivantes, H. NOGUÈRES, op. cit., t. 3, p. 23 et général GIRAUD, Mes évasions, Paris, 1949, p. 221 et suivantes.. Les moyens financiers dont les réseaux disposent facilitent leur tâche. Le pêcheur qui conduit non sans réticences le général de la plage au sous-marin est rémunéré. Ils ont - autre avantage sur les mouvements - des possibilités de liaisons.
Ces liaisons sont assurées par les Anglais (reprendre). Dans notre région, elles sont avant tout maritimes, servies par des sous-marins et des felouques, camouflées en bateaux de pêche, venues de Gibraltar et conduites par des équipages polonais. Le Var est encadré par deux zones d'embarquements et de réceptions. À la lisière des Alpes-Maritimes, le secteur d'Agay-Anthéor (commune de Saint-Raphaël) inaugure le système en janvier 1942, semble-t-il, dans les calanques que Germaine Sablon et son voisin, M. Labbe, ont repérées. Cassis, dans les Bouches-du-Rhône, est le deuxième point de liaison important. Cette activité qui dure jusqu'en novembre permet l'arrivée de plusieurs agents britanniques qui se dispersent ensuite dans toute la zone non occupée et le départ de dizaines de militaires polonais et de résistants notoires (Henri Frenay, André Gillois, Gilberte Brossolette, etc.). Le succès n'est pas au rendez-vous de toutes les opérations. Jean Moulin, le général d'Astier de la Vigerie, et Jean-Pierre Lévy restent ainsi en attente plusieurs jours durant, à Agay, fin septembre, alors que la police, sans doute prévenue d'une opération, est sur les dents de Menton à Saint-Raphaël 56 Sur ces embarquements qui ont une importance considérable pour toute la Résistance à cette époque, les sources étaient contradictoires. Des indications se trouvaient chez plusieurs auteurs déjà cités, H. NOGUÈRES, t. 2, PASSY, t. 2 (par ex. p. 329, embarquement raté de Massigli, de Guiringaud, etc. à la pointe de l'Esquillon, à Théoules), J. GIRARD, op. cit. (chapitre spécial sur ce sujet), Y. COURRIÈRE, op. cit. (p. 155 et suivantes), plus sur Cassis, les témoignages d'H. FRENAY, op. cit., p. 222 et suivantes, de G. BROSSOLETTE, Il s'appelait Pierre Brossolette, Paris, 1976, p. 135, et du professeur J. BERNARD, Mon beau navire, Paris, 1981, p. 44 et suivantes. Il a fallu attendre la publication de É.. pour y voir enfin clair..
Pourtant à la tête de ces réseaux se trouve une avant-garde souvent non-gaulliste (voire antigaulliste) ou gaulliste de droite, bien différente de celle qui dirige les mouvements (venue de la gauche non communiste ou évoluant rapidement dans ce sens). Elle annonce de ce fait les bataillons plus nombreux que l'Occupation va fournir.