L'époque recèle bien des ambiguïtés, ou plutôt elle illustre ce que l'histoire des mentalités a mis en lumière et qui rend plus complexe l'analyse politique, c'est-à-dire la coexistence au sein des mentalités de " vérités " différentes et logiquement incompatibles 2 M. AGULHON, Histoire..., op. cit., in " Conflits et contradictions dans la France contemporaine ", p. 303 et P. VEYNE, interview déjà cité, p. 71.. Dans une période où les émotions sont plus vives qu'en temps ordinaire et influent plus que de coutume sur le comportement, ces contradictions sont avivées par la complexité des sentiments qui traversent les groupes et les individus et parfois les déchirent.
1 - Anglophiles quand mêmeIl est des sentiments relativement simples et de longue durée. Nourrie de xénophobie classique ou antifasciste, l'hostilité à l'Italie et aux Italiens est de ceux-là. Si l'on se réjouit des revers qu'elle connaît en Grèce et en Libye, c'est aussi parce que sa présence, aux côtés de l'Allemagne, dans le camp vainqueur, scandalise 3 ADV, 1 W 74, Gend., 3 janvier, 1 W 5, Pol. Draguignan, 10 février, préfet, 24 février et Pol. Saint-Raphaël, 22 mai 1941. . La déclaration de guerre a effacé la sympathie que la droite avait pour le Duce. L'Italie l'a déçue et son rejet des immigrés, naturalisés ou non, s'en trouve accru. Aussi ne se fait-elle pas faute d'utiliser contre les élus de gauche l'argument de prétendues faveurs accordées aux étrangers (sous-entendu au détriment des Français) 4 Nombreux exemples de dénonciations de ce type (Bandol, Hyères, Cuers, Le Castellet, etc.).. Pourtant, à gauche, la répulsion n'est pas moins vive, bien qu'elle épargne les antifascistes ou francophiles reconnus. Entre Italiens pro fascistes et Français, entre les membres de la commission d'armistice et la population, les relations sont émaillées d'incidents. Retenons seulement celui qui se produit à Hyères dans la nuit du 9 octobre 1940 lorsque, sous les fenêtres de la commission d'armistice, une douzaine de soldats viennent crier " A bas le Duce " et chanter La Marseillaise. Il est d'autant plus révélateur d'un sentiment général qu'il s'agit de Marocains 5 ADV, 1 W 63, Pol. Hyères, 10 octobre 1941. ...
La force et la discipline allemandes suscitent une certaine admiration. Mais la crainte d'une occupation de la zone Sud en janvier 1941 suffit à la faire s'évanouir 6 ADV, 1 W 5, Préfet, 4 février 1941. . La germanophobie est partagée par tous. La droite maréchaliste qui jouit d'une certaine liberté de paroles ne la cache pas toujours... au moins jusqu'à l'attaque de l'URSS 7 ADV, 1 W 5, 5 mai 1941 pour constater que la masse reste germanophobe, et 1 W 44, Lorgues, lettre du maire (radical-socialiste) en instance de révocation à l'amiral Darlan pour protester de ses bons sentiments et se plaindre de ses adversaires légionnaires dont le chef a dit publiquement qu' " Hitler, maître du jour, ne sera pas celui de demain " (lettre du 13 juin 1941). . Il n'y a là rien de surprenant ou de déterminant.
En revanche, l'anglophilie est tellement répandue qu'elle n'est pas seulement le décalque inverse de l'hostilité à l'Allemagne. Hors la région toulonnaise, l'impact des " agressions " anglaises reste limité. Il s'estompe rapidement. " Les anglophobes semblent perdre du terrain ", note la Police spéciale en janvier 1941 8 ADV, 25 janvier 1941. . La guerre qui s'éternise et les échecs n'entament pas le capital de sympathie dont les Anglais jouissent. La majorité de la population veut leur victoire et nous ne suivrons donc pas Paxton lorsqu'il croit percevoir " une animosité croissante envers Londres " 9 R. PAXTON, op. cit., p. 229, alors que D. PESCHANSKI, op. cit., p. 43 souligne bien l'anglophilie de la population.. Délateurs de village et policiers affirment le contraire tant à Barjols qu'à Saint-Tropez où l'on compterait 70 % d'anglophiles en décembre 1940 10 ADV, 1 W 79, Pol. Saint-Tropez, 27 décembre 1940 (malgré le grand nombre d'habitants d'origine italienne, précise-t-on...). . Quatre mois plus tard, le préfet estime qu'il s'en trouve dans tous les milieux. Il évalue leur proportion à 60 %, au moins, de la population varoise 11 ADV, 1 W 5, 2 avril 1941.. Cette sympathie sur laquelle repose le gaullisme naissant n'est pas encore entrée en contradiction avec les " sentiments de confiance et d'attachement qu'éprouve la population pour le Maréchal Pétain " 12 ADV, 1 W 5, Pol. spéc., 25 janvier 1941., surtout au lendemain du renvoi de Laval, sauf pour la minorité anti-maréchaliste.
Entre ce maréchalisme et cette anglophilie dont le rapprochement peut paraître singulier, le lien est assuré par l'amitié que l'on porte aux États-Unis. Les Anglais comme le Maréchal bénéficient du soutien qu'ils leur apportent. L'accueil populaire chaleureux que l'amiral Leahy reçoit à Toulon en avril 1941 est l'illustration de cette unanimité 13 ADV, 1 W 5, Préfet, 16 avril 1941. Le prédécesseur de Lahilonne avait déjà remarqué que l'aide américaine au Royaume-Uni renforçait la position des anglophiles (4 février). .
Les événements du printemps et de l'été 1941 accélèrent la clarification des opinions. Si l'on en croit les rapports de police de l'époque, l'affaire de Syrie ferait perdre des partisans aux Anglais, devenus odieux, tandis que l'attaque de l'URSS apporterait à l'Allemagne l'appui d'anticommunistes réticents jusque-là, voire anglophiles. La collaboration s'en trouverait confortée 14 ADV, 1 W 5, Pol. spéc., 26 juin et 10 juillet, préfet, 3 juillet et 1er août 1941. L'idée de collaboration " commence à être acceptée comme une nécessité indubitable par la majorité de la population qui semble enfin avoir compris l'attitude odieuse de notre ancienne alliée " (3 juillet). . Pourtant, le sentiment le plus général est bien la joie de voir l'Allemagne s'enfoncer en Russie pour évidemment s'y perdre comme la France en 1812 15 ADV, 1 W 5, Pol. d'État, 26 juin 1941. . Les jugements hâtifs portés par la police sur l'évolution de l'opinion sont démentis rapidement. Malgré l'avance de la Wehrmacht, la majorité continue à ne pas croire à une possibilité de victoire en URSS 16 ADV, 3 Z 4 6, Pol. spéc., 10 août et 24 septembre 1941. Coups de sifflet et murmures le premier jour de la projection d'un documentaire sur la guerre en URSS au cinéma de Saint-Raphaël (1 W 5, 12 août 1941). . Cette période n'est pas encore celle des engagements décisifs, du moins est-elle celle des choix selon que l'on fait prévaloir l'anticommunisme, la germanophobie ou l'antifascisme. La confusion des genres sera plus difficile à assumer désormais 17 Constat fait aussi par P. LABORIE, op. cit., p. 183 et suivantes, pour lequel la période juin-novembre 1941 est déterminante. .
Si l'anglophilie a pu baisser en région toulonnaise dans les milieux où gravitent les enquêteurs de la police, elle n'en reste pas moins majoritaire et s'accompagne de plus en plus de gaullisme. Les deux ne se confondent pas encore, mais ils rassembleraient dans le village de Puget-Ville 80 % de la population, au désespoir de la Légion 18 ADBdR, M6 III 40, président local de la Légion, 24 octobre 1941. . Les petites localités du Var n'ont pas varié dans leurs sentiments, et surtout pas dans le sens de la collaboration. Pourtant la Résistance est loin d'y être organisée. Elle ne le sera parfois jamais. Mais, sans induire forcément une attitude d'opposition au régime, le refus de la collaboration et l'anglophilie servent d'ingrédients de base à ceux qui commencent à la construire. Cependant, il y en a d'autres plus importants pour l'engagement.
2 - Pétainisme ?On ne peut suivre avec précision l'évolution de l'opinion qu'avec le début de l'année 1941. Les rapports policiers et préfectoraux sont désormais réguliers comme si le régime voulait suivre pas à pas les cheminements de sa décomposition. Quelle est cette opinion qu'ils prétendent refléter sans jamais en préciser les contours ? Quelles sont leurs sources et leurs méthodes ? Notre impression est qu'ils rendent compte avant tout des sentiments de leur propre milieu. Même s'ils déforment la réalité dans le sens de l'adhésion au régime, ils restent cependant précieux par la continuité qu'ils offrent. S'ils ne représentent pas " l'opinion ", catégorie indéfinissable, du moins répercutent-ils une opinion dont l'évolution est révélatrice.
Il y a peu à ajouter à ce qui a déjà été dit du " pétainisme élémentaire " et de " cette sorte d'attachement irrationnel de type affectif " 19 Expressions de P. LABORIE, fin analyste du phénomène, op. cit., p. 335. . Il est si général que l'on en trouve des manifestations même dans les milieux que le régime n'épargne pas. Nous avons évoqué l'attitude de certains élus de gauche et l'on pourrait multiplier les exemples de proclamations de fidélité. Les conseillers municipaux du village vigneron de Pourrières (SFIO) protestent contre la dissolution qui les sanctionne le 25 juillet 1941, mais terminent leur motion en demandant au Maréchal de veiller au salut de l'Empire avec ses " amis " ce qui sous-entend avec des gens comme eux et non avec les " Blancs " semeurs de discorde qui les ont dénoncés 20 ADV, 1 W 47, Pourrières. Même position à Bargemon où le conseil municipal (USR) démissionne le 8 février 1941 en affirmant son unanime fidélité au Maréchal et en se disant prêt à répondre à son appel dans n'importe quelle circonstance (1 W 35). . Le mythe Pétain bénéficie toujours de la facette " général républicain " du personnage. Le Maréchal est donc à part, entouré, d'après le préfet, d'une " unanime vénération ". Mais elle ne s'étend ni à son entourage, ni à son successeur désigné 21 ADV, 1 W5, 16 avril 1941. . Au contraire. Un prétendument communiste de La Londe est dénoncé pour avoir dit clairement et sans doute un peu trop fort ce que beaucoup pensent : " Je respecte le vénéré Maréchal, mais j'emmerde toute sa suite. " 22 ADV, 1 W 117, dossier Bon., date non précisée en 1941.
La collaboration ne lui est pas attribuée. On le crédite au contraire d'une résistance aux exigences allemandes 23 ADV, 1 W 5, Pol. Draguignan, 10 février 1941 : la démission de Flandin et le voyage de Darlan ont accrédité l'idée de heurts avec les Allemands et d'une résistance du Maréchal. . Très justement, la police constate que les inscriptions gaullistes tracées à Toulon en août 1941 n'attaquent que Darlan, tandis que le Maréchal " reste au dessus de la mêlée " 24 ADV, Pol. spéc., 26 août 1941. . Remarquons que l'idée d'un double jeu n'est jamais évoquée comme répandue dans le public. N'aurait-on pas exagéré son importance après la Libération ?
Puisque le roi est " bon " par nature, la responsabilité des malheurs du pays incombe donc à ses " mauvais " ministres. Dès novembre 1940, Laval est sifflé dans les salles de cinéma de Toulon, alors que les applaudissements ponctuent l'apparition du Maréchal 25 ADV, 4 M 55, Pol. spéc., 5 novembre 1940, incidents au cinéma Eden, et propositions du chef des services de la Police d'État au préfet du même jour pour la citation suivante.. C'est précisément " pour éviter le retour des incidents visant la personnalité de Monsieur Laval " que la projection des actualités se fait désormais avec un éclairage et sous la surveillance de deux agents (au lieu d'un). Si le discrédit de Laval est immédiat, celui de l'amiral Darlan est plus limité. Il garde de nombreux fidèles, du moins à Toulon où il est encore accueilli en octobre 1941 par des transports enthousiastes. Par contre, au même moment, deux paysans du petit village de Figanières, près de Draguignan, sont inculpés pour avoir donné son nom à leurs chevaux, ce qui montre que sa popularité n'est pas aussi générale que la lecture du Petit Var pourrait le laisser supposer 26 Le 10 octobre 1941. Sur Figanières, ADV, 02916, Gend., 9 décembre 1941. . Cependant les coups de sifflet que son apparition sur les écrans provoque sont couverts par les applaudissements 27 ADV, 3 Z 4 6, Pol. spéc., 10 mai 1941 aux cinémas Royal et Casino. .
De telles manifestations spontanées permettent de mesurer la réalité de l'unanimité qui semble toujours entourer le régime. Elle tranche sur la prudence ou l'opportunisme des " politiques " non ralliés. Toutes les enquêtes le confirment : les notables de gauche les plus réticents sont anglophiles, mais gardent " une attitude réservée " selon l'expression consacrée 28 Par exemple, Roger Mistral, maire et conseiller général SFIO de La Farlède ou Baylon, président de la Fédération varoise du Parti radical-socialiste qui seront des résistants notoires peu après. . Il faut attendre la fin juin 1941 pour qu'un maire se signale par son attitude ouvertement hostile. Maître Arnaud, ancien responsable radical-socialiste, franc-maçon, avocat toulonnais, maire du petit village d'Aiguines, à l'entrée des gorges du Verdon, où il réside l'été, s'est fait remarquer par une écoute de Londres ostensible et des propos irrévérencieux sur " Philippe le religieux ". Révoqué, il ne se défend pas en protestant de son admiration pour le Maréchal comme d'autres, mais en conseillant aux légionnaires - la dénonciation vient d'eux - d'appliquer à eux-mêmes le slogan ressassé à la radio : " Pensez et agissez français " 29 ADV, 1 W 33, Aiguines, Gend., 27 juin et 20 juillet, lettre du maire au chef départemental de la Légion, 6 août 1941. .
Dans les milieux populaires, au sens large, on trouve trace d'un courant " déviant " précoce. Encore faut-il le chercher dans le domaine le moins directement politique, le plus élémentaire, celui du chant, de l'injure, du mouvement d'humeur. Les lacunes et l'hétérogénéité des sources limitent la portée d'une étude statistique des inculpations pour propos antinationaux 30 ADV, 1 W 74, relevés mensuels, mais ils ne sont établis que depuis décembre 1940. Nous avons pu nous rendre compte d'erreurs ou d'omissions. Voir graphique en annexe.. Les délits qu'elles rassemblent sont d'une gravité variable, et pour tout dire très relative. Les outrages au chef de l'État sont parmi les plus significatifs. Le premier signalé - " J'emmerde Pétain et heureusement que De Gaulle viendra virer le gouvernement " 31 ADV, cabinet 875, affaire Naldini, rentier toulonnais, ancien forain et ancien combattant, décembre 1940.- est sans ambiguïté. Ceux qui suivent tournent en général autour du thème : Pétain s'est trompé, c'est un vendu. D'autres délits plus ordinaires mais non moins anti-nationaux sont constitués par les critiques du gouvernement et particulièrement de l'Amiral, par les éloges du général de Gaulle et par les chants " séditieux ". Le tout connaît une nette poussée au printemps 1941 et culmine en juin juillet. La décrue s'amorce en août. L'interprétation de cette chronologie est délicate. Reflète-t-elle un mouvement d'opinion ? Ce n'est pas sûr. Elle se greffe plutôt sur le rythme des habitudes saisonnières qui conduit à vivre davantage à l'extérieur avec les beaux jours. Dans ce cas, elle ne ferait que révéler une tendance apparue les mois précédents.
C'est ce que laisse penser un autre type d'inculpation qui concerne l'audition de la radio anglaise. Son écoute est interdite le 24 novembre 1940, ce qui est déjà un signe. Précisons qu'il s'agit de l'écoute publique seulement. Contrairement à ce que l'on croit même à l'époque, l'écoute privée n'est prohibée qu'un an après. Il y a peu d'inculpations jusqu'aux beaux jours. Par contre, avec le mois de juin, la répression est fructueuse. En une semaine (18-23 juin), la police hyèroise confisque sept postes de TSF. Les autorités crient victoire à la fin de l'été : le 24 septembre, elles laissent entendre que l'écoute de la BBC a baissé 32 ADV, 3 Z 4 6, Pol. spéc., rapport mensuel, 24 septembre 1941. . En réalité, la seule tendance que révèle cette source policière est climatique. Avec les beaux jours, les fenêtres s'ouvrent ce qui permet aux policiers et aux légionnaires zélés de traquer les imprudents qui ne les ont pas fermées avant d'écouter Londres. Quant à la baisse de l'automne, elle a un rapport évident avec le rafraîchissement de la température et une attention rendue plus vigilante après les affaires précédentes. D'ailleurs, le préfet maritime est moins satisfait que la police et réclame toujours au préfet une surveillance accrue à ce sujet 33 ADV, 3 Z 4 33, intervention du 9 septembre 1941 à propos d'Hyères où le commissaire de police se vante pourtant d'avoir mis fin à cette pratique (1 W 13, 13 septembre).. Qu'en était-il avant juin ? Diverses indications laissent supposer que l'écoute de la BBC est déjà généralisée. En mars 1941, le préfet signale que les radios anglaise et américaine ( ? ) " sont toujours très écoutées " et les commissaires de police de Fréjus et Draguignan utilisent eux aussi l'adverbe " toujours " 34 ADV, 1 W 5, Préfet, 2 avril 1941, rapport mensuel du mois de mars, Pol. Fréjus, 10 mai et Pol. Draguignan, 25 mai. . On peut le vérifier à travers le différend qui oppose un hôtelier bandolais et ses clients (Parisiens réfugiés dont quelques Juifs) au sujet de l'utilisation de la radio. Une interdiction par voie d'affichette étant inefficace, il en vient à supprimer le poste 35 ADV, 3 Z 4 6, Pol. spéc., 6 mai et 1 W 35, enquête du 7 mai 1941. Un autre hôtel de Bandol (le Grand Hôtel) connaît les mêmes problèmes, mais la femme du directeur, conseillère municipale, veille... ! S'agissant de réfugiés, la chose ne surprend pas, mais, au même moment, le maire du petit village " rouge " de Claviers admoneste par voie d'affiche ses concitoyens pour les mêmes raisons : " Vous écoutez les causeries funestes de la radio de Londres qui le soir même annihilent vos décisions... " 36 ADV, 202 974, Claviers, affiche du 16 mai 1941. Ce maire est un ancien SFIO et franc-maçon.. On donnera par ailleurs d'autres exemples qui vont dans le même sens d'une écoute précoce et générale de cette radio. L'importance du geste est à souligner. C'est le souvent le premier acte de résistance, parfois le seul, en tout cas le plus élémentaire. Il est le préalable à tout engagement et l'accompagne. On ne s'étonnera donc pas de trouver parmi les auditeurs dénoncés le futur patron des Mouvements Unis de la Résistance du Var, Henri-Emile Amigas 37 ADV, 3 Z 4 33, dénoncé par un légionnaire, il est inculpé le 20 septembre 1941 et reconnaît écouter Londres depuis 5 mois. . De son côté, Henri Michel dit très bien que ses amis et lui " ne vivaient plus que par la radio " 38 H. MICHEL, op. cit., p. 16.. Bien qu'il ne le précise pas, il s'agit aussi de Sottens. Il ajoute d'ailleurs qu'ils se passaient les journaux suisses. Cet engouement se traduit dans les chiffres : 11 210 exemplaires du Journal de Genève ont été vendus à Toulon en février 1941 39 ADV, 1 W 5, Pol. spéc., 24 mars 1941. On ne possède pas les chiffres d'autres mois. Par comparaison, le même mois, Signal se vend à 2 550 exemplaires, L'Illustration à 1 680, mais 7 Jours a significativement grimpé à 48 575. .
Les relevés policiers permettent de savoir de qui est composée cette couche primaire d'une résistance en voie de formation. Elle est diverse, avec une forte représentation des catégories les plus portées à cet expressionnisme spontané. L'outrage au chef de l'État est le fait d'hommes du peuple, autochtones, assez âgés que l'ivresse rend audacieux. Les propos antinationaux plus bénins comportent une part de femmes et d'étrangers. Mais la " propagande gaulliste " à ce niveau informel vient des plus jeunes, souvent ouvriers, parfois étudiants, autochtones et quelquefois réfugiés. En revanche, l'audition de la BBC touche un éventail plus large sur le plan social - classes moyennes - et sur celui de l'âge (mais une dominante des 20-30 ans). Ces caractéristiques valent tout aussi bien pour la période postérieure.
Les délateurs sont en général des légionnaires et des militaires qui habitent des zones de tension. Le Var rural n'est guère affecté par ce type de délation. La région toulonnaise et le littoral le sont davantage. Ainsi à Cavalaire, plusieurs affaires révèlent une situation conflictuelle où se mêlent rivalités politiques traditionnelles (la municipalité a été limogée), lutte de clans entre résidents plus ou moins anciens et fractures nouvelles (anglophiles-pétainistes), le tout étant avivé par une section légionnaire d'une rare hargne. On la voit dénoncer un couple assez âgé pour " outrage au Chef de l'État et propos de nature à porter atteinte au moral de l'armée et de la population ". Quelques paroles bien senties devant des solliciteurs du Secours National conduiront l'homme en prison quatre mois après, ce qui sera pour lui l'antichambre de la mort 40 ADV, cabinet 883 1, affaire Guien, inculpation en avril 1941 pour avoir fait connaître leurs sentiments sur le Maréchal en décembre 1940. Le mari meurt peu après sa sortie de prison. Sa femme bénéficiera d'un non-lieu..
Ces affaires, mineures en apparence, ces cris parfois après boire sont significatifs d'un courant qui trouve là l'un de ses exutoires. Mais il y en a d'autres que nous verrons aussi informels du côté de la rumeur ou de la jeunesse, à peine structurés du côté des réseaux clandestins. Aussi peut-on se demander si les sources et les témoignages ne surévaluent pas le conformisme dominant. Derrière les attitudes publiques et de façade, n'y a-t-il pas, dans une fraction de la population que l'on soupçonne moins négligeable qu'il n'y paraît, autre chose que l'idolâtrie et la résignation, que la confiance aveugle et l'indifférence ? Il nous semble en effet, avec Jean-Pierre Azéma, que, dès 1941, la grande majorité de la population reste " à la rigueur maréchaliste ", mais qu'elle n'est " plus pétainiste " 41 In L'œil et l'oreille de la Résistance, action et rôle des agents des PTT dans la clandestinité au cours du second conflit mondial, Toulouse, 1986, p. 86. . Cette distinction que l'on doit à cet historien est fondamentale. Oui, le maréchalisme perdure ou se mue, y compris chez des résistants, en indulgence à l'égard de celui que beaucoup considèreront toujours comme un vieillard glorieux, vite dépassé par les événements. Le pétainisme, c'est autre chose. La majorité de la population l'a-t-elle été ? L'adhésion à la Révolution nationale qui seule peut justifier l'utilisation de l'expression " pétainisme " a-t-elle été aussi générale ? Dès le 22 avril 1941, la Légion n'éprouve-t-elle pas la nécessité d'expliquer dans la presse que " Révolution nationale ne veut pas dire " réaction " mais tout le contraire " 42 Le Petit Var, 22 avril 1941 dans le " Courrier légionnaire ", rubrique régulière de la Légion.. L'auteur dit, on ne peut plus clairement, que cette opposition est faite " des mécontents, des exprébendiers de l'Ancien Régime soi-disant républicain, des ambitions déçues ". Où sont les quarante millions de pétainistes ?
3 - Une opposition informelle à gauche ...Tous les témoins insistent sur l'isolement des premiers temps. Il n'est pas niable, mais sans doute est-il majoré par ces hommes qui appartiennent à des minorités traumatisées pour lesquelles le peuple de référence a trahi. Henri Michel laisse poindre sa déception devant l'indifférence de la population, sa confiance béate et les collègues qui " retournent leur veste " 43 H. MICHEL, op. cit., p.15. Tém. identique de PIERRE-BLOCH qui relève qu'à Marseille beaucoup de socialistes lui refusent le contact (Jusqu'au dernier jour. Mémoires, Paris, 1983, p. 167). Idem pour C. d'ARAGON, op. cit., p. 8. . Cette impression est encore plus forte pour les réfugiés de zone occupée et pour ces révoltés précoces qui fondent les mouvements (Frenay, Bourdet, Guillain de Bénouville par exemple). À les lire, ils paraissent étrangers au milieu local et gravitent dans des cercles bourgeois assez fermés. Leurs souvenirs grossissent peut-être le phénomène. Ne sont-ils pas oublieux de leurs propres ambiguïtés ? Ne cultivent-ils pas une certaine fierté élitiste pour avoir eu raison les premiers ? Quels contacts, autres que superficiels, ont-ils alors avec la population locale ? N'ont-ils pas trop tendance à confondre l'inaction - l'attentisme - et l'adhésion au régime ?
Car les adeptes de l'ordre nouveau font un constat tout à fait inverse et ils ne sont pas tous des maniaques de la persécution, lisant Gringoire et militant au PPF. Ils sont au moins aussi bons connaisseurs du pays que les témoins précédents. On sent la persistance d'une opposition à travers les articles que fait paraître la Légion ou à travers tel propos du jeune maire vichyste de La Valette qui admet que l'opinion n'est pas totalement convaincue de la nécessité de la Révolution Nationale 44 Le Petit Var, 12 juin 1941. . Réticence à l'égard du fondement même de la politique de Vichy, anglophilie dominante, que reste-t-il du pétainisme ?
En revanche, le gaullisme (et plus seulement l'anglophilie) est largement répandu. Dans les localités, très diverses, qu'ils concernent (Saint-Zacharie, Figanières, Vidauban, Puget-Ville, Bormes, Saint-Tropez, La Roquebrussanne, Collobrières), les rapports de la Légion s'émeuvent d'une proportion élevée de gaullistes : 50 %, précisent-ils, à Bormes et La Roquebrussanne, 40 % à Puget-Ville 45 ADV, 1 W 36, Bormes, 25 octobre et cabinet 864 1, Gend., 8 juillet : la population serait gaulliste et anglophile à 90 % ; La Roquebrussanne, 22 octobre, et Puget-Ville, 24 octobre 1941. . Le maire du village de Claviers demande à la population " de renoncer à la propagande gaulliste. Il faut abandonner l'idée que nos anciens alliés qui nous ont trahi puissent débarquer à Toulon, puissent être vainqueurs " 46 ADV, 202 974, Claviers, affiche du 16 mai 1941. , mais celui de Toulon paraît avoir les mêmes problèmes avec ses employés puisqu'il menace de sanctions ceux qui expriment des sentiments gaullistes 47 ADV, 1 W 119, dossier Co., affiche du 25 avril 1941. .
Ce gaullisme que la police confirme, qui ne sourd que des conversations privées et que l'écoute de la BBC révèle davantage encore, n'est pas forcément antinomique du vichysme. Il l'est cependant souvent. À La Seyne, de Gaulle incarne déjà, pour une grande partie de la population, " la France future, libre et prospère " 48 ADV, 202 974, La Seyne, Rapport sur l'état d'esprit de la population du Var et des Bouches-du-Rhône, inspection de la police administrative, 25 novembre 1941. , au moins à l'état latent. Défenseurs du régime, gendarmes et policiers s'accordent pour mettre sur le compte du Var " rouge " le gaullisme qu'ils décèlent. On peut admettre qu'il y a là une part de phobie. Les légionnaires de Saint-Raphaël n'hésitent pas à écrire à leur direction départementale que " le Var rouge tant qu'il n'aura pas fait ses preuves doit être considéré comme suspect " 49 ADV, 0271, Saint-Raphaël, lettre à l'UD de la Légion, 11 septembre 1941. . Ils ne l'écrivent pas sans raisons locales cependant. Il est vrai aussi que ses adversaires confondent le gaullisme et l'anglophilie, ce qui est parfois abusif. La gauche " politique " est alors plus anglophile que gaulliste. Mais le " peuple de gauche ", lui, paraît plus spontanément gaulliste. La carte de ce gaullisme se calque sur celle de la gauche socialiste. Il n'est pas synonyme d'action et, là, réside sans doute le décalage, l'incompréhension entre les créateurs de la Résistance et cette population trop passive pour eux. Les villages de l'intérieur sont précocement touchés par le gaullisme, mais la Résistance ne s'y organisera que bien plus tard (et pas toujours). Pour la gendarmerie qui les surveille de près, le gaullisme est propagé par les " communistes et sympathisants ", ce qui est un abus de langage dont la droite sectaire est familière, on le sait bien, et qui recouvre plus de socialistes que de communistes 50 ADV, 1 W 74, 30 avril 1941. Encore faut-il remarquer que nombre de communistes connus avant-guerre se révèlent dès ce moment des anglophiles convaincus. . Des renseignements plus précis le confirment. À Barjols, le conseiller général Guérin, SFIO et franc-maçon, est dénoncé par les gendarmes pour son hostilité à l'Amiral et ses sympathies gaullistes. À La Roquebrussanne, une lettre anonyme, bien renseignée, signale le gaullisme d'anciens SFIO, dont le boulanger Clavel. À Collobrières, comme dans la commune rivale de Bormes, " les gaullistes sont tous les anciens SFIO ", mais les communistes, évalués à 5 %, auraient des positions identiques 51 ADV, 1 W 36, Bormes, questionnaire de la Légion, 25 octobre 1941, reproduit in J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 27. Même constat déjà le 30 décembre 1940 dans une enquête sur le maire (3 Z 4 19). On remarquera que la Maréchal est dédouané sous le prétexte qu'il " ne se rend pas compte de ce qui se passe autour de lui " ; 1 W 35, Barjols, 26 mai 1941 (et déjà dénonciation par un PPF le 21 novembre 1940) ; La Roquebrussanne, 27 février 1941. Idem à Collobrières (rapport légionnaire, 14 novembre 1941), à Vidauban (1 W 56, dénonciation d'un PPF, 25 janvier 1941), Ampus, Cogolin, etc. . Le même constat peut être fait à Toulon où la Police spéciale surveille de près certains salariés de l'arsenal. Les 30 enquêtes qu'elle boucle en janvier 1941 concernent des militants de gauche, sympathisants communistes présumés en général, plus un socialiste, un pivertiste, quatre partisans du Front Populaire et trois francs-maçons, or 26 d'entre eux sont considérés comme des " partisans de la victoire anglaise " 52 ADV, 1 R 103, 20 janvier et 20 février 1941. Enquêtes postérieures dans la même liasse ou en 3 Z 4 6. . Les recherches postérieures vont dans le même sens. À Hyères, on relève en mai de fréquentes inscriptions " Vive la victoire anglaise " dans l'autorail que les employés de l'arsenal empruntent 53 ADV, 202 974, Hyères, Gend., 18 juin 1941. . Tous les anciens socialistes, francs-maçons ou communistes ne sont pas devenus d'ardents gaullistes ou anglophiles. Néanmoins l'équation anglophile-gaulliste = ancien militant ou sympathisant de gauche se vérifie très souvent. Pour beaucoup d'entre eux, le choix est fait, mais l'heure de l'action n'a pas sonné et ne sonnera peut-être jamais. On n'en ressent pas encore la nécessité, d'autant qu'elle romprait avec les habitudes, y compris les habitudes politiques. Ou plutôt, on agit comme avant, là où la sociabilité n'a pas été trop perturbée par les événements. Ainsi à Bormes, les gaullistes " agissent " au café. C'est là qu'ils vantent l'entente avec les Anglais et qu'ils critiquent la collaboration. Le café, et, on le soupçonne, la place publique, le carrefour où l'on a ses habitudes restent les lieux privilégiés de cette " action " politique. Nombre d'incidents se produisent tout au long de la période dans ces lieux de rencontre et de production de rumeur. Les mœurs politiques locales n'ont guère été modifiées. À côté de la masse des indifférents, il y a toujours ceux dont on dit qu'ils " font " de la politique, un peu plus prudents sans doute, en famille ou avec les connaissances sûres que l'on retrouve sur le banc (public) ou au café. Jusqu'en novembre 1942 (et dans nombre de villages même après), tout continue comme avant sur ce plan. Cette continuité, jointe à l'absence de l'Occupant, constitue certainement un frein à la mise en place d'organisations clandestines dont la nécessité locale ne saute pas aux yeux.
C'est malgré tout par la mise en mouvement d'individus, puis de fractions issues de cette masse critique que la Résistance organisée se constitue. Son histoire est aussi celle de la conquête de ces opposants passifs. Encore faut-il que les événements ou les personnes viennent les solliciter, ce qui prendra un certain temps.
4 - ... mais aussi à droiteCette gauche " classique " qui forme le gros de l'opposition fournit peu d'initiateurs de la lutte clandestine. Son intégration est un frein, mais aussi l'aspect militaire et " apolitique " (sinon approbateur de la politique intérieure du régime) que paraît d'abord revêtir la Résistance qui s'organise et dont les pionniers sont souvent des " marginaux " politiques ou des " étrangers " (à la région), pas toujours, mais parfois plus pétainistes que ceux dont ils auraient voulu avoir l'appui.
Telle gaulliste précoce, maîtresse d'un agent du réseau Interallié (F2), installée à Carqueiranne depuis 1937, ne cache pas ses sentiments ce qui lui vaut divers " ennuis ", mais elle déclare à qui veut l'entendre que les gens du Midi, mâtinés d'Italiens, ne peuvent pas comprendre ce que c'est que d'être français. Elle est, de plus, une admiratrice du Maréchal sous les ordres duquel l'un de ses frères a été tué à Verdun 54 ADV, cabinet 883 1, dossier Claire P., dénoncée dès décembre 1940 pour écoute de Londres et propos gaullistes, inculpée un an après tandis que son ami est en prison. . Cette maurrassienne est sans aucun doute un cas extrême. Mais il montre que le gaullisme et l'anglophilie débordent sur une partie de la droite, à vrai dire beaucoup plus minoritaire encore que la gauche par rapport à son milieu d'origine. Deux groupes sont particulièrement concernés :
- Tout d'abord, certains militaires de l'armée de terre, toujours en activité. Plus anglophiles que gaullistes, maréchalistes, cela va sans dire, ils attirent l'attention des dénonciateurs et des autorités à plusieurs reprises, en particulier à Fréjus où se trouve le centre des camps coloniaux. Dès novembre 1940, une lettre anonyme venue des Alpes-Maritimes signale l'activité d'un assureur de Fréjus-Plage qui diffuserait des tracts aux militaires favorables au gaullisme. Que l'enquête soit vaine n'est en rien probant puisque l'on sait qu'une résistance s'y installe précocement 55 ADV, 1 W 79, dénonciation du 15 novembre et enquête du 26. Nous avons déjà mentionné l'activité de Frenay et de ses hommes.. Pour la police, ce milieu est " un des plus accessibles à la propagande anglaise ", ce que Frenay traduit plus justement sans doute en disant l'armée " en majorité anti-allemande " 56 H. FRENAY, op. cit., p. 61 et 1 W 5, Pol. Fréjus, 10 mai 1941. Même jugement le 10 avril, repris par le préfet dans son rapport du 16. . Il est lui-même le plus éminent représentant de cette tendance. Humiliés par la défaite, ces militaires de carrière aspirent à la revanche. Mais, à la fin du printemps 1941, les événements paraissent tarir le recrutement et avoir des effets inverses de ceux que l'on observe ailleurs. Les conséquences des combats de Syrie et l'antibolchevisme s'additionnent pour faire prévaloir la fidélité au Maréchal. Très proches des militaires par leur passé et leur idéologie, quelques ecclésiastiques campent sur les mêmes positions patriotiques. Ils sont rapidement remarqués par leurs ouailles. Le curé de Cavalaire est dénoncé par la Légion locale comme l'âme du parti gaulliste le 27 janvier 1941, mais il n'en continuera pas moins à défrayer la chronique vichyste par ses sermons. Celui du 11 novembre 1941 scandalise car, prenant pour thème Judas Macchabée, il en profite pour affirmer qu'il est préférable de périr par les armes plutôt que de constater passivement les maux de la patrie 57 ADV, 1 W 39, Cavalaire et Cour de Justice d'Aix-en-Provence, dossier 192, lettre du président de la Légion, 27 février et rapports mensuels du 2 avril et 3 décembre 1941. Le curé de La Croix-Valmer est l'objet de dénonciations semblables (1 W 79, 29 décembre 1940). Il faut cependant constater que les curés dénonciateurs sont moins rares que les curés dénoncés. . Anti-allemands, et parfois antinazis, mais attachés à certains aspects de la Révolution nationale, ces ecclésiastiques connaissent les mêmes contradictions que les militaires. L'une des figures les plus marquantes de ce clergé non-conformiste est le supérieur des Maristes de Toulon, le Père Olmi, qui a fait éclore ici un christianisme social avant-guerre. Il assure de son appui les démocrates-chrétiens résistants, mais prononce encore l'éloge du salazarisme et du Maréchal en novembre 1941, dans une conférence publique consacrée à " L'Eglise et l'État " 58 Publiée dans La République du Var, édition du soir du Petit Var, à partir du 29 novembre 1941. Tém. G. Havard : le père Olmi a servi de guide spirituel au Secrétariat social et à la jeune CFTC. Il sera sanctionné sous l'occupation italienne. .
Souvent originaires de régions alors occupées, ces militaires et ces ecclésiastiques sont, par là, proches du deuxième groupe notable qui fait déborder le gaullisme des frontières de la gauche. Il s'agit des réfugiés ou des repliés de la zone soumise directement aux Allemands. Souvent aisés, parfois d'origine juive, ils ont afflué sur la côte. Ce sont les cibles commodes de nombreuses dénonciations. On en retrouvera beaucoup dans les réseaux naissants. Certains ne cachent pas leurs sentiments, ainsi, à Sainte-Maxime, Madame Paul Reynaud qui devient très vite la " bête noire " de la municipalité vichyste. Aux positions tranchées de l'une, l'autre répond par de régulières et inefficaces plaintes. Autre représentant notoire de ces milieux, Raymond Philippe qui est surveillé dès son arrivée dans le Var dans l'été 1940. Banquier, associé aux Lazard, administrateur de Citroën, il est interné à Vals-les-Bains avec Paul Reynaud d'octobre 1940 à février 1941, puis astreint à résider à Bandol. Là, sa correspondance est interceptée, ses conversations écoutées et sa chambre fouillée 59 ADV, cabinet 591 : il est soupçonné d'envoyer des tracts à Marx Dormoy. À Bandol, il loge au Grand Hôtel où la moitié des clients est d'origine juive. Après la perquisition du 26 mars, il part résider à Giens avec sa compagne, Mme Worms. On trouvera quelques indications dans le journal publié à la Libération par son fils, Roger Worms, plus connu ultérieurement sous son nom de Résistance, R. STÉPHANE, qui se trouve lui aussi à Giens et qui s'engage peu après dans l'action clandestine (Chaque homme est lié au monde, Paris, 1946).. Les milieux alsaciens-lorrains ne sont pas unanimes dans le gaullisme, mais c'est un réfugié lorrain qui crie " Vive de Gaulle " au milieu de la harangue d'un chef JFOM au Lavandou, le 4 juillet. Il en est d'autres pour porter la croix de Lorraine et afficher ainsi leurs sentiments au risque de se faire verbaliser 60 ADV, cabinet 861 1, Gend., 8 juillet sur l'incident du Lavandou : le géomètre Gaston Fournier crie après que l'orateur, un avocat niçois antisémite, aie lancé " A bas de Gaulle ". Sur le port de la croix de Lorraine, 3 Z 4 6 et cabinet 864, mais les Lorrains ne sont pas seuls et l'on verbalise pour ce motif une cousine d'Antoine Pinay en villégiature à Bandol, le 14 août 1941. .
Une constatation générale s'impose pour tous les milieux qui abritent cette opposition de la première heure, surtout dans ses formes spontanées. À droite comme à gauche, chez les réfugiés comme chez les autochtones, la jeunesse en est le fer de lance, ce qui est un trait classique de l'histoire de la contestation.
5 - Les jeunes contre le régimeLa contestation juvénile s'exprime sous des formes diverses, certaines traditionnelles, " folkloriques ", qui se placent dans la longue durée ethnologique, d'autres spécifiques de la période. La jeunesse échappe en grande partie au régime, malgré ses tentatives pour la capter, l'embrigader (et la culpabiliser). Celle qui réagit contre lui le fait d'abord par la parole ou les gestes spontanés et provocateurs. Elle ne fréquente pas beaucoup - pas encore - les cercles qui organisent la résistance 61 C'est ce que fait remarquer C. d'ARAGON, op. cit., p. 86, en constatant que la Résistance en zone non occupée ne ressemblait pas à un mouvement de jeunesse. .
À plusieurs reprises, sur la côte, de jeunes réfugiés se font remarquer. Certains tracent des graffitis comme cette Parisienne d'origine juive de 17 ans que l'on surprend gravant un V sur la voiture de la commission d'armistice allemande au Rayol 62 ADV, 3 Z 4 6, Gend., 23 juin 1941. Une autre jeune fille de 17 ans est surprise écrivant " Mort à Pétain " à Toulon peu après (28 juillet). . D'autres heurtent les oreilles chatouilleuses des vichystes locaux, comme Francis Crémieux qui ne passe pas inaperçu à Sanary où sa famille est venue habiter la maison qu'elle loue pour les vacances depuis 1930. Ses amis et lui se font repérer pour les propos qu'ils tiennent. Discutant le 16 avril avec un autre réfugié d'une tentative d'embarquement par des jeunes vers l'Angleterre apprise par la radio suisse, il est pris à partie par deux légionnaires et dénoncé. Pour ces jeunes gens, à tous égards non conformistes, l'air de Sanary est " épouvantable et irrespirable " 63 Lettre de F. Crémieux, 20 février 1985 ; ADV, 3 Z 4 33 et cabinet 594, Pol. spéc. 23 avril et 20 septembre 1941. Son expulsion et celle de Tzara sont datées du 2 août. Tzara est finalement autorisé à s'établir à Saint-Tropez en résidence surveillée. . Le haut du pavé y est désormais tenu par les nombreux retraités de la marine et de l'armée qui, associés aux vieilles familles " blanches ", ont réussi à s'emparer de la mairie. Quelques mois après, Francis Crémieux est expulsé de la localité, en compagnie de son ami Tristan Tzara.
Ces jeunes venus de la zone occupée constituent une catégorie " sensible " et particulièrement surveillée. L'Ecole des apprentis de la marine de Saint-Mandrier est considérée de ce fait comme un foyer de gaullisme. Le constat est le même sur les croiseurs de la flotte où ces jeunes marins sont plutôt anglophiles (sauf sur le navire amiral, le Strasbourg) 64 ADV, 1 W 5, Pol. spéc., 10 juin 1941, ce qui tranche avec l'ambiance générale dans la marine, en particulier chez les officiers où le seul cas d'anglophilie possible (et non prouvé) est celui de jeunes enseignes de vaisseau sanctionnés pour avoir ramené des tracts d'Angleterre (1 W 79, Pol. spéc., 27 novembre 1940, trois sanctions).. Les deux tiers des Compagnons de France réfugiés sont réputés avoir un " mauvais " état d'esprit pour un quart seulement des autres 65 ADV, 1 W 2, Pol. spéc., 29 mai 1941, et cabinet 861 1, Pol. d'État, 21 avril 1941. À Signes, une dizaine de Compagnons ont tracé des inscriptions gaullistes sur le mur de la coopérative. Les cinq plus âgés sont déférés en correctionnelle. Ce sont probablement de jeunes réfugiés (1 W 74, Pol. spéc., 25 juin et préfet, 10 juillet).. Mais les autochtones eux-mêmes se montrent moins prudents que leurs aînés.
Dès novembre 1940, l'impact du gaullisme dans les lycées inquiète déjà l'Amirauté. Celui de Toulon, qui a pour spécificité locale liée à l'importance du milieu maritime la présence d'un petit groupe de lycéens antigaullistes, compterait cependant un tiers d'anglophiles. La proportion n'est pas négligeable, mais elle serait inférieure à celle que l'on trouverait à Nice, Aix-en-Provence et surtout Marseille 66 ADV, 1 W 79, enquête vraisemblablement du 2e Bureau Marine, 30 novembre 1940 : 50 % en classe de philosophie à Marseille et nombreux tracts reproduisant les appels de la BBC, propagande active à la Faculté de Droit, en particulier, à Aix-en-Provence, " bon " état d'esprit à Nice, mais préférence pour les Anglais, beaucoup d'hésitants à Toulon. . La situation y est donc assez " saine " aux yeux de la police même lorsque, trois mois après, apparaissent quelques papillons et des inscriptions dans les toilettes. Le noyau " national " que cristallise désormais la JFOM mène la lutte et colle " Servir de Gaulle, c'est servir l'étranger " 67 ADV, 1 W 80, Pol. spéc., 26 février 1941. Les gaullistes effacent le dernier mot du papillon de la JFOM. . Mais, à Draguignan, le collège connaît une tension plus grande. Le président de la Légion dénonce la propagande gaulliste qui s'y fait depuis environ trois mois par inscriptions. Pour la police, qui sait raison garder, ces graffitis ont commencé après la rentrée de Noël, ils ont redoublé après ce qui est apparu comme une provocation, c'est-à-dire la défénestration du buste de Marianne le 17 février environ par les élèves " nationaux " (au premier rang desquels se trouvait le fils du président de la Légion). Cette riposte républicaine par slogans gaullistes interposés n'est pas sans signification 68 ADV, 1 W 79, Pol. spéc., 5 et 16 mars 1941. . Les semaines suivantes, l'attention se reporte sur les établissements toulonnais où l'on signale des inscriptions et des projets de départ vers l'Angleterre par des élèves qui écoutent la BBC au collège Rouvière, des inscriptions et lacérations de portraits du Maréchal, une tension entre clans de professeurs et d'élèves surtout après l'exclusion d'un " philosophe " qui avait écrit " A bas le gâteux " sous le portrait du Maréchal au lycée, inscriptions en classe de troisième chez les Maristes de l'Externat Saint-Joseph où un clerc qui enseigne l'histoire et la géographie est soupçonné de propagande. L'émoi est assez profond pour que la police s'en occupe et que le procureur de la République en vienne à proposer des conférences pour montrer que la seule voie possible est celle que le Maréchal a ouverte 69 ADV, 3 Z 4 43 et 1 W 79, Pol. spéc., 12 juillet, procureur, 21 juillet, exclusion du lycéen reproduite in J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 39. Les inscriptions chez les Maristes ont commencé en février et le professeur soupçonné, le Père Triboulet, est inculpé pour propagande gaulliste en juillet 1941.. Le rejet du régime n'est pas le propre d'une fraction de la jeunesse intellectuelle. Peut-être est-il plus important dans les milieux plus populaires, du moins les plus familiers de la vie politique. Les nombreuses affaires qui éclatent aussi bien sur le littoral que dans le Var intérieur à partir de 1941 en fournissent maintes illustrations. Elles revêtent souvent dans les villages des formes traditionnelles qui témoignent, comme en d'autres temps, de la politisation du folklore. Le charivari n'a pas disparu comme on le voit à La Cadière où une vingtaine de garçons de 14 à 18 ans chantent L'Internationale dans la rue et vont sonner chez le curé 70 ADV, 1 W 38, La Cadière, plainte du chef de la Légion, 30 mai 1941 qui en profite pour réclamer une fois de plus le remplacement du maire SFIO. . Tout à côté, à Bandol, un groupe de jeunes gens assez gais lance de retentissants " A bas le fascisme ", " À bas les lieutenants d'Hitler " dans la nuit du 21 octobre et montre clairement ce que ça signifie pour lui en s'en prenant, toujours oralement, au président de la Légion. Parmi les trois que l'on peut identifier, se trouve le fils d'un adjoint socialiste de la municipalité dissoute. Le fait peut être rapproché d'un incident qui avait perturbé le grand rassemblement folklorico-politique de la Jeunesse rurale le 15 août précédent. Dans la nuit, le monument aux morts avait été couvert d'inscriptions hostiles ce qui avait conduit à l'internement immédiat de trois communistes tout à fait étrangers à la chose 71 ADV, 3 Z 4 6 et 1 W 35, Bandol, Pol. spéc., 16 août et 21 octobre 1941. . Même si ces affaires n'étaient que des phénomènes bien classiques de bandes adolescentes, elles ne seraient pas sans signification. Elles en ont d'autant plus que certains de leurs acteurs se retrouveront plus tard dans la Résistance organisée. À la fin juillet 1941, au Lavandou, un estivant qui s'est fait repérer durant tout son séjour par un antisémitisme et un antigaullisme virulents est pris à partie par un groupe de jeunes de la commune. Bagarre classique, rivalité entre " étrangers " et autochtones, clans, la forme est traditionnelle, mais le cri de ralliement des assaillants est " Vive De Gaulle " et ce sont presque tous des communistes ou sympathisants, plus tard FTP. L'un d'eux, Paul Louis, mourra en déportation 72 ADV, 02 926, Le Lavandou, altercation du 27 juillet, neuf inculpations. Parmi les inculpés, Paul Louis qui participe déjà à la reconstitution locale du PCF.. Le 19 juin 1941, Gabriel Unia, 16 ans, est inculpé pour avoir tenu des propos hostiles au Maréchal à Salernes. En fait, il a dit qu'il voulait s'engager dans l'armée de de Gaulle 73 ADV, cabinet 875 2. Peu après, à Barjols, trois jeunes gens sont arrêtés, le 9 août, pour avoir chanté L'Internationale dans la rue. L'un d'eux sera fusillé comme otage le 27 juillet 1944 au Bessillon. Un peu fruste, ce garçon reproduit les sentiments dominants dans ce bourg ouvrier à forte implantation communiste (3 Z 4 30, Gend., 9 août 1941). . Gaminerie ? Imprudence sans signification ? Le même pourtant sera fusillé le 16 juin 1944 en montant au maquis avec un groupe de garçons de son âge. Il n'est pas sûr qu'il ait milité entre temps dans la Résistance. L'engagement est peut-être tardif, mais les positions sont prises très tôt. Entre les adolescents contestataires de 1941 et les maquisards de 1944, il n'y a ni contradiction, ni révélation soudaine, mais bien continuité. Le mouvement insurrectionnel de 1943-1944 prend racines dès 1940-1941. Il n'est pas seulement lié à la conjoncture de l'Occupation.
Les attitudes spontanées que nous avons relevées ne sont le fait que d'une minorité tant chez les adultes que chez les jeunes. Mais elles traduisent des sentiments plus largement partagés. Le terrain sur lequel va se greffer la Résistance organisée n'est pas aussi hostile qu'il n'y paraît. Le conformisme n'est pas aussi général qu'on le croit, encore moins le vichysme qui a d'ailleurs peu de prise sur la jeunesse populaire.
6 - Actes élémentairesLes cris, les injures sont de fugaces expressions d'opposition. Mais le régime se méfie de ces paroles qui sapent sa crédibilité. En tant que contre information, la rumeur est traquée. Or, comme tout régime totalitaire, Vichy en sécrète beaucoup. La rumeur est un des faits de communication majeur de toute la période. Elle a le moyen de contrebalancer (et de combattre) une " information " trop dirigée pour être honnête aux yeux d'une opinion finalement moins servile qu'on le prétend. De nombreux " bobards " circulent donc que la BBC alimente. C'est par là que l'on connaît l'autorisation donnée aux Allemands de traverser la Syrie, la concession de bases navales en Afrique du Nord ou la conclusion prochaine d'une alliance. D'où la fureur de la préfecture maritime qui dénonce " la propagande abjecte répandue par des Juifs " à propos de ces bruits incontrôlables 74 ADV, 1 W 5, Pol. spéc., 24 mai, et J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 23, communiqué de la préfecture maritime du 15 juin 1941. . Le bouche-à-oreille est l'arme principale du " mouvement gaulliste " et de tous les adversaires. C'est du moins ce que prétendent la Légion et la police 75 ADV, 26 juin 1941. Ce constat revient régulièrement. Illustration locale à Puget-Ville où il est dénoncé par la Légion (20 2974, rapport du 24 octobre). .
Le port de la croix de Lorraine demande un certain courage, car sa signification qui est très vite connue entraîne une répression qui, pour être ridicule, n'en est pas moins réelle. Le 11 novembre 1940, on s'émeut à Toulon de sa mise en vente par la librairie Montbardon, une vieille maison, tout comme, un peu plus tard, de celle de pastilles portant les initiales RAF par le magasin Toulonna, non moins connu localement. Il faut dissuader les audacieuses, car ce sont surtout des femmes, qui osent arborer l'insigne gaulliste. Mais l'interdiction doit être réitérée en avril 1941 76 ADV, 1 W 79, Pol. spéc. sur l'affaire Montbardon et 3 Z 4 33 sur celle des pastilles " Royale donne Air et Force ", 21 juin 1941 ; cabinet 864, 21 avril, sur la vente persistante des croix de Lorraine. Un exemple de chasse aux croix in J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 24. On remarque aussi le retrait des Prophéties de Nostradamus d'une librairie de Fréjus, le 20 novembre 1940, car on les sait utilisées par les germanophobes pour prédire la défaite allemande (1 W 57). .
Il s'écoule presque six mois entre les premiers graffitis de Saint-Raphaël (25 juin 1940) et les suivants. Le PPF occupe le terrain entre temps. Une seule inscription " résistante " est signalée pendant le dernier trimestre de 1940. Elle est très particulière puisqu'elle associe l'anglophilie (" Vive l'Angleterre "), l'antipétainisme (" Assassin de Pétain ") et le communisme (faucille et marteau). Elle est trop isolée pour que l'on puisse l'interpréter plus largement 77 ADV, 4 M 59, Pol. spéc., 12 novembre 1940, inscription trouvée à Carqueiranne.. Les premières campagnes d'inscriptions commencent en janvier 1941 pour les communistes et en février, à Toulon, mais aussi à Draguignan, pour les gaullistes. Ce type de propagande ne s'affirme qu'à partir de la fin mars avec l'explosion des V, faits à la sauvette, à la craie ou au charbon de bois. La police qui paraît n'en découvrir l'origine (la BBC) et la signification que le 29 mars en signale dans de nombreuses localités. S'il fallait une preuve de l'impact de la France Libre et de l'étendue de l'écoute de la radio anglaise, cette seule affaire suffirait 78 ADV, 1 W 79, inscriptions signalées à Toulon depuis le 26 mars, Barjols le 28, Saint-Raphaël le 2 avril, Signes le 6, Saint-Tropez au même moment, Draguignan le 10, Sainte-Maxime le 20, Anthéor le 22. Reproduction d'une inscription à la craie, à Brignoles, du 28-29 mars (" Vive la France Libre " ) in J.-M. GUILLON, Le Var..., op. cit., document 38.. Ces graffitis que l'on signale au même moment partout en France sont tracés aussi bien par des résistants déjà organisés que par des individus isolés et souvent jeunes. Les V s'accompagnent tantôt de slogans plus explicites, anglophiles et gaullistes le plus souvent, tantôt hostiles à l'Amiral (Sainte-Maxime, Toulon, Cavalaire), aux Allemands et à la Collaboration (Draguignan, Brignoles, Toulon), à la Légion et même au Maréchal (Cavalaire, Sainte-Maxime, Signes). À Signes, les inscriptions tracées dans la nuit qui précède la prestation de serment légionnaire associent de Gaulle, Blum et la RAF 79 ADV, 1 W 79, Gend., 6 avril 1941, l'inscription porte " Vive De Gaulle, vive Blum, vive la RAF. Celui qui l'effacera est un traître " . . Il y a malgré tout un " Vive Pétain " à Toulon à côté d'une inscription favorable à la Yougoslavie, mais a-t-il été tracé par les mêmes mains ? Se faire prendre n'est pas sans risques : à Hyères, les deux auteurs d'un modeste graffiti à la craie surpris par un gendarme alors zélé écopent de quinze jours de prison avec sursis 80 ADV, 1 W 33, dossier Lé. : on ne connaît pas l'identité des deux auteurs qui écrivaient " Vive De Gaulle " dans la nuit du 17 au 18 avril 1941, mais le gendarme sera, plus tard, résistant. . La vigilance accrue des autorités fait baisser le nombre des inscriptions au mois de mai. À Hyères toujours, le commissaire continue pourtant à se plaindre de " cette espèce de gaminerie désagréable " 81 ADV, 1 W 5, 10 juin 1941. . Il est vrai qu'elles sont parfois faites par des gosses. À Toulon, dans le quartier ouvrier de La Loubière, une bande se livre à ce petit jeu, mais c'est à l'instigation des clients d'un bar du quartier et si quatre de ses membres ont moins de 17 ans (entre 11 et 17), les six autres sont plus âgés 82 ADV, 3 Z 4 33, diverses pièces, mais surtout rapport de synthèse, 12 juillet 1941.. Les auteurs sont le plus souvent des adolescents ou des jeunes gens qui n'agissent pas sur commande. La lycéenne de 17 ans qui, à La Garde, trace avec son épingle à cheveux un V sur la voiture de la commission d'armistice italienne, le fait sciemment, tout comme les quatre garçons qui couvrent Cavalaire d'inscriptions diverses au goudron (V, croix de Lorraine, " Légion = Gestapo ", " Vive De Gaulle ", " Darlan traître ", " Vive Churchill " ) 83 ADV, 3 Z 4 33, Pol. spéc., 5 juin 1941 pour l'affaire de La Garde. Sur Cavalaire, idem et 1 W 79, plusieurs pièces dont les interrogatoires de certains inculpés, entre le 30 avril et le 24 juin 1941. Les amis ont commencé à La Croix-Valmer à la craie, puis ont pris du goudron à la gare et s'en sont servi à deux reprises (nuits des 28-29 et 29-30 mars). R. Porte, étudiant, est arrêté le 30 avril et ses copains (A. Lacaule, P. Brondello et C. Raymond) le 4 juin. Sont condamnés avec eux le 24 décembre suivant les parents de Régis Porte et un photographe qui a exposé les photos des inscriptions. Les peines vont de deux à six mois de prison. À noter que ces inscriptions sont désapprouvées par le correspondant local du général Cochet (AN, 72 AJ 435 Fonds Cochet, lettre de Guittard, 4 avril 1941). . Dans cette commune déchirée, l'affaire fait d'autant plus de bruit que les pères de deux des auteurs font partie du " clan " des amis de Gaillard, le maire socialiste déchu. Mais les jeunes gens ont agi d'eux-mêmes. Le plus âgé est un étudiant de 21 ans, le plus jeune un lycéen de 17 ans. Les deux autres, 17 et 18 ans, sont des ouvriers agricoles du père du premier. Ils font donc tous partie d'un milieu oppositionnel où raisons générales et raisons locales se conjuguent pour rejeter l'État Français ainsi que ceux qui le servent et pour soutenir la France Libre. Le père de l'étudiant sera plus tard le président local du Front National et du Comité de Libération. Le lycéen, César Raymond, engagé lui aussi dans la résistance active, disparaîtra en déportation. On relèvera le processus familial de transmission des convictions, mais les jeunes agissent (ou ont l'impression d'agir), tandis que les pères discutent et s'organisent discrètement. Il n'y a pas d'instigateurs, bien que l'association des fils de bourgeois de village et des employés des pères soit révélatrice de liens de clientèle : l'étudiant est gaulliste, le lycéen, fervent auditeur de la BBC, mais c'est l'un des ouvriers qui a eu l'idée des inscriptions. Cette résistance, informelle, spontanée est particulièrement importante dans cette période où les organisations de résistance n'existent pour ainsi dire pas encore. Elle ne disparaîtra jamais tout à fait. Elle continuera par la suite sous la même forme, surtout dans les milieux (géographiques et sociaux) où le vide résistant persiste. Elle exprime déjà la révolte d'une partie de l'opinion. Elle est souvent un préalable à l'engagement ultérieur dans des réseaux qui commencent non sans peine à éclore au même moment.